G.H.C. Numéro 29 : Juillet-Août 1991 Page 355
DEPUTES A LA CONSTITUANTE : LARCHEVESQUE THIBAUD
GOUY d'ARSY, interpelé de certifier les chefs
d'accusation contre ce ministre, répond que tous les actes
sont signés par lui et 13 de ses collègues votants ou
suppléants et que toute la députation de St-Domingue
entend réclamer une sévère justice. Mais l'Assemblée
nationale ne va pas suivre.
En effet, M. GOUPIL de PRESELN fait remarquer que les
accusations contre le ministre de la Marine sont vagues et
que "si les ministres sont responsables envers la Nation,
il ne faut pas qu'ils soient soumis à des dénonciations
hasardées de telle ou telle Assemblée." L'évêque de ...
fait remarquer que "L'Assemblée ne peut avoir foi que dans
des pièces légalisées, elle ne connaît pas la signature de
M. LARCHEVêQUE THIBAUD"; le vicomte de MIRABEAU requiert
que "L'Assemblée prononce la peine contre les dénoncia-
teurs dont les dénonciations porteraient sur des bases
fausses."
L'Assemblée ordonne le renvoi des pièces au Comité des
rapports ainsi que la communication à M. de LA LUZERNE
(5).
Retour en Métropole sur "le Léopard"
S'il n'a pas voulu siéger en métropole, LARCHEVESQUE
THIBAUD va être l'âme des vues autonomistes de St-
Domingue. Comme président de l'Assemblée du Nord, puis
comme membre de celle de Saint-Marc, en s'élevant sans
cesse contre les décisions du gouverneur de PEINIER et des
autorités constituées, à telle enseigne que, ayant peur
d'être arrêtés, les 85 députés de cette Assemblée de
Saint-Marc s'embarquent précipitamment sur le vaisseau "Le
Léopard" le 14 août 1790; avec eux, 22 autres personnes,
parmi lesquelles Victor HUGUES, dont le nom restera le
symbole de la Révolution à la Guadeloupe. LARCHEVESQUE
THIBAUD est porté sur la liste comme habitant du quartier
Vallière et conseiller, créole, né au Boucassin (6).
On peut suivre la progression des événements dans
l'île, puis leurs répercussions en métropole, à travers
une correspondance de 103 lettres entre l'ex-député à la
Constituante et son épouse qui gère l'habitation (7). Il
abandonne tout pour se consacrer à la politique. Pas
question ici d'étudier en détail ces 103 lettres, mais
leur survol permet de percevoir les sentiments des époux
séparés, entre avril 1790 au Cap et le 8 septembre 1791 à
Bordeaux.
Les inquiétudes de l'épouse à propos de "ta santé.
Comment as-tu fait pour prendre un coup de soleil ? ... Je
te recommande beaucoup de bains et de clister afin d'évi-
ter la maladie", les événements, leur conséquence sur la
vie de famille, les rumeurs "on te dit traître à la
Patrie", "avec tes amis, il faut les voir venir avant de
t'ouvrir et encore, le faire avec beaucoup de circonspec-
tion", les soucis que donne l'exploitation agricole "tous
nos nègres travaillent comme à l'habitude, les nouveaux
sont de très bons sujets. Se renfor donnera un bon cout
demain pour la récoltte ... Tu ne m'en voudras pas d'avoir
acheté six mulets." L'orthographe n'étant pas le point
fort de Madame DESFOSSE LARCHEVESQUE, la lecture de ses
lettres est particulièrement ardue : "Cet ma seul consola-
tion que de tesprimer dans mes écrits combien je t'aime et
combien nottre séparation mes cruelle oui cher Mimi ..."
Risquant d'être en position désobligeante de voyeur, il
vaut mieux s'intéresser à la première lettre de l'époux,
datée du 6 août 1790 et là, le ton change. Il est à bord
du "Léopard" appelé aussi "Le Sauveur des Français, nous
partons avec la rage au coeur, c'est assez de te dire la
vengeance que nous comptons demander à l'Assemblée natio-
nale et au Roi contre tous ces scélérats" (PEINIER, de
MAUDUIT, de COUTARD, etc.)
Prisonnier de l'Assemblée
A leur arrivée en France, le 14 septembre, il leur
faudra déchanter; convaincus, croyons-le, de leur bonne
foi, ils ne comprennent pas leur arrestation, qui durera
jusqu'au 28 juin 1791. Ils ne seront pas détenus dans un
établissement pénitentiaire (LARCHEVESQUE THIBAUD sera
logé rue Saint-Thomas du Louvre), mais ils seront prison-
niers de l'Assemblée et ne pourront quitter Paris. C'est
ainsi que, le 5 juin 1791, ils s'adressent au Président de
la Constituante pour se plaindre de leur état : "Débarqués
en France depuis le 14 septembre 1790, le désir seul de
soumettre à l'Assemblée nationale nos oeuvres et nos
intentions nous y avait amenés (...). Nous y avons été
retenus dans la capitale par le décret du 12 octobre 1790
(...). Il doit être mis un terme à notre détention (...);
six de nos collègues ont payé un éternel tribut au change-
ment de climat, nos ressources sont depuis longtemps épui-
sées (...) Nous vous conjurons de nous obtenir la justice
avec la liberté de retourner dans nos foyers et les
secours pour y parvenir." 34 signatures suivent, celles
des membres de la "cy devant Assemblée générale de St-
Domingue" parmi lesquelles le paraphe de LARCHEVESQUE
THIBAUD (8). Le 30 juin, ce dernier peut écrire à son
épouse "Enfin, chère amie, nous avons recouvré notre
liberté. L'Assemblée vient de mettre fin à notre longue
captivité (...). On n'aurait jamais cru qu'un événement
aussi désastreux (la fuite du Roi) dut avoir des suites si
peu redoutables. Adieu l'aristocratie et les aristo-
crates." Première réaction de type "sans-culotte". Il y en
aura d'autres.
Etablissement à Paris
Si les ennuis financiers sont le lot de beaucoup, ce
n'est pas, semble-t-il, le souci majeur de notre fougueux
révolutionnaire qui achète, le 31 janvier 1791, pour
60.550 lt., une fort belle maison de deux étages plus
combles, située rue de Provence, à Jean Joseph SALONNIèRE,
ci-devant chevalier comte de TAUNAY, grand bailli du
Nivernois, devant le notaire Drugeon (9). Veut-il faire
venir sa femme et ses enfants à Paris? Pressent-il les
événements qui vont éclater ? C'est plus que probable.
Comme beaucoup de créoles, LARCHEVESQUE THIBAUD se rend
bien compte que leur situation n'est plus tenable, que les
idéaux dont ils se réclament ne peuvent pas ne pas être
appliqués à toutes les composantes de la société, esclaves
y compris, mais que, dans le même temps, ceux-ci n'étant
pas prêts à assumer cette liberté, voudront prendre leur
revanche et que la ruine de la colonie sera consommée. S'y
ajoutent la séparation et l'attente : "Il y a 16 mois
aujourd'hui que nous sommes séparés, un an que je suis
parti de St-Marc (...). J'ai plus de motifs de craindre la
colère de l'Etre Suprême que d'espérer en sa miséricorde
(...). Je suis comme beaucoup de colons dans la plus
grande appréhension par ce décret (celui du 15 mai), s'il
doit arriver malheur aux blancs, je voudrais bien te
savoir en France avec les enfants (...). Dans les
Révision 26/08/2003