G.H.C. Numéro 27 : Mai 1991 Page 325
LES CARAIBES A LA GUADELOUPE AU XVII° SIECLE
ancêtres de ces caraïbes que l'on retrouve dans l'état
civil de la seconde moitié du XVIII° siècle, notamment
dans le nord de la Grande Terre, où semble vivre une forte
communauté à cette époque ? En revanche il n'y a aucune
trace d'une descendance caraïbe dans les registres de
Bouillante. Leurs descendants se sont-ils fondus par
mariage dans la communauté des hommes de couleurs libres
qui demeurait dans ce quartier ?
Ces deux recensements nous renseignent sur des caraïbes
beaucoup plus intégrés dans la nouvelle société coloniale,
car recensés en 1664 comme maîtres de case. Mais ils ne
sont pas très nombreux. Il s'agit de Marie la sauvagesse
recensée en 1664 à la Montagne Bellevue avec ses deux
enfants, et que l'on retrouve au quartier de l'Islet à
Goyave en 1671 mariée avec Jean Baptiste TRICOTTé, avec
trois garçons et deux filles. C'est le cas aussi de la
veuve Jacques JAN ou JEAN, au quartier de l'Islet à
Goyave, avec ses enfants; elle est "Galibie" et avait
épousé en premières noces Charles LA RIVIèRE dit DES
FOSSéS dont elle avait eu deux enfants, baptisés à Capes-
terre en 1643 et 1644. En secondes noces elle avait épousé
Jacques JEAN dont elle eut quatre enfants, tous tapouys.
En 1671 ils ne sont pas recensés mais possédent une petite
habitation et la rivière qui la borde porte le nom de
Jacques Jean. Enfin le dernier de ces groupes est, tou-
jours dans le quartier de l'Islet à Goyave où se trouvent
concentrées toutes les familles tapouys de l'île, celui de
la famille SANCE sur laquelle nous allons nous attarder.
Tout d'abord, Jean SANCE était-il négre libre comme le
veulent les recensements de 1664 et 1671 ou amérindien
comme le laisse supposer son patronyme ?
En effet, comme l'écrit Gérard Lafleur dans son ouvrage
sur Bouillante, commune qu'il a beaucoup étudiée, ce
patronyme semble indiquer une origine amérindienne. C'est
le nom d'une rivière et le nom d'un capitaine caraïbe:
Il s'agit de la Rivière-Sens, située entre la rivière
des Galions et les contreforts du Houëlmont et qui se
trouve actuellemnt sur la commune de Gourbeyre. Elle était
appelée au XVII° siècle, la rivière "à" ou "de" Sance ou
Sence. Les noms des lieux et des rivières ont été donnés
très tôt; il s'agit souvent du nom du propriétaire des
terres au milieu desquelles la rivière ou le morne se
trouve, par exemple les rivières "LOSTAU", "BEAUGENDRE"
etc. Le R.P. BRETON nous donne un exemple dans le quartier
de la Capesterre où il fit bâtir en 1640 une chapelle au
lieu appelé "Case du Borgne" "à cause d'un sauvage borgne
qui y avait demeuré, depuis HOUëL fit appeler cet endroit
le fort de Ste Marie". Pour en revenir à notre rivière,
les premiers colons s'installaient sur les lieux des
anciens jardins des caraïbes dont la terre était défrichée
et cultivée, donc prête à être exploitée, les dits
jardins se trouvant le long du littoral et des rivières.
Les rives de notre rivière furent colonisées dès l'arrivée
des français à la Basse Terre au début de l'année 1636 et
ils donnèrent le nom de l'ancien Carbet qui s'y trouvait
et qui devait être celui du capitaine YANCE ou SANCE.
Qui était donc ce capitaine TANCE, YANCE, SANCE ou
LAUCE ? Il nous faut revenir à la première guerre avec les
caraïbes. Les difficultés que connurent les premiers
colons les poussèrent, derrière L'OLIVE, à vouloir faire
la guerre aux caraïbes, ceux-ci ayant pressenti cette
volonté après la visite d'un lieutenant de l'Olive, le
sieur LAFONTAINE ou FONTAINE ou de LAFONTAINE suivant le
chroniqueur, au carbet de la pointe du Vieux Fort et la
chasse qu'il fit à la barque anglaise qui avait rendu
visite au dit carbet. Ils avaient donc préféré évacuer le
Carbet et lorsque L'OLIVE arriva, il ne restait plus qu'un
vieillard, le capitaine YANCE, bien connu des français,
ses deux fils et deux autres jeunes caraïbes. L'OLIVE les
fit prisonniers et reprocha au vieillard d'avoir voulu
attaquer les français. Un des fils fut envoyé pour recher-
cher les femmes du carbet mais comme il ne revenait pas,
le capitaine YANCE et les trois jeunes furent alors embar-
qués sur la barque; une violente dispute eut lieu; le fils
du capitaine et lui même furent tués. Des deux caraïbes
restant, l'un, le nommé MARTINET, sautera d'une falaise et
s'échappera et, la nuit venue, le dernier s'enfuira égale-
ment. L'OLIVE rentrera alors à Sainte Rose et viendra
s'installer, peu après, sur le carbet de la pointe du
Vieux Fort puis à la Basse Terre.
Le fait que le capitaine YANCE était bien connu des
français est également en faveur de l'hypothèse évoquée
plus haut sur l'origine de la rivière de Sance.
Revenons à la famille SANCE dont le capitaine pourrait
être l'ancêtre. Quand cette famille s'installa-t-elle à
l'Islet à Goyave ? En partant de l'origine amérindienne,
je suppose, comme je viens de le dire, qu'ils vivaient au
bord de la rivière de Sance, emplacement qu'ils quittèrent
en 1636 avant la descente de L'OLIVE. Ils se réfugièrent
probablement à la Capesterre puis plus loin ou sur une
autre île. Après la paix signée avec AUBERT en 1641, cer-
tains caraïbes revinrent s'installer avec les français.
Nous l'avons vu à travers les registres de la Capesterre
avec la naissance des tapouys en 1643/4/8. La famille
SANCE ne put vraisemblablement pas s'installer sur le lieu
de son ancien carbet, le lieu était déjà bien occupé,
défriché et cultivé car, dés 1664, il y avait au moins
deux sucreries importantes, celle de M. MILLET et celle de
M. HINSELIN. Ce qui laisse supposer que la place fut
occupée très tôt, vers 1636/7.
Ils s'installèrent donc là où il restait encore de la
place, les terres n'étant pas toutes concédées, c'est-à-
dire bien plus haut, dans le quartier de Bouillante dont
le bourg principal existait dès 1638 (si l'on en croit le
Père BRETON). La famille SANCE s'implanta au nord de ce
quartier, au niveau du bourg de Pigeon, peu après 1641/2.
Une des premières particularités de ce groupe caraïbe
est qu'ils sont catholiques: ils sont recensés comme tels
dans le recensement de 1671 et ils portent tous des
prénoms bien catholiques : Jean, Marie...
La seconde particularité de ce groupe est la place
sociale que Jean SANCE réussit à obtenir et qui était au
moins équivalente aux autres colons, ce qui peut paraître
imposssible mais qui, en fait, était tout à fait possible
au début de la colonisation où les préjugés raciaux
n'avaient pas encore pris leur place.
En effet, Jean SANCE possède une habitation d'environ 6
hectares; il est recensé en 1664 comme maître de case,
"payant droit" et les hollandais lui ont prêté la somme
de 2279 livres de pétun, somme qu'il leur doit en 1664,
d'après la liste de l'Espérance que Philippe et Bernadette
Rossignol ont étudiée (bulletin de la Société d'Histoire
de la Guadeloupe N° 65-66). Cette somme correspond à l'une
des plus importantes , traduisant par là-même la confiance
qu'avaient les créanciers envers ce débiteur, si l'on part
Révision 26/08/2003