G.H.C. Numéro 27 : Mai 1991 Page 324

LES CARAIBES A LA GUADELOUPE AU XVII° SIECLE
Yvain Jouveau du Breuil

     Quand  les  français  arrivèrent  en  Guadeloupe  les
caraïbes  les accueillirent avec la plus grande  bienveil-
lance,  les aidant  dans les travaux de défrichement,   de
culture,  leur  donnant  les plants nécessaire  aux  dites
cultures,  leur apprenant à chasser la tortue et le lamen-
tin  et leur apportant les vivres indispensables  pour  le
maintien  de  la  colonie en attendant  que  les  cultures
produisent le nécessaire.   Malheureusement cette quantité
de vivres apportée par les caraïbes était loin de suffire.
Il  n'en est pas moins vrai que sans l'aide des  caraïbes,
la  colonisation aurait encore plus mal commencé,  car  en
ces débuts très difficiles,  le  principal problème  était
le  cruel  défaut d'intendance.  La colonie  naissante  ne
reçut pratiquement aucune aide extérieure.

  La disette aidant,  l'aigreur prit les colons,  et après
le décès du gouverneur DUPLESSIS, L'OLIVE, resté seul pour
gouverner,  entama  la  première guerre contre  ces  mêmes
caraïbes qui les avaient aidés.  Il attaqua l'un des  plus
gros carbets situé à la pointe du Vieux Fort.  Après avoir
chassé  les  caraïbes,  les colons s'installèrent sur  les
lieux puis rapidement à la Basse Terre et à la Capesterre.

  Devant  cette avancée,  les caraïbes quittèrent alors la
Guadeloupe et se réfugièrent en Grande Terre, aux Saintes,
à  Marie Galante et à la Dominique,  tout en continuant  à
harceler les français dès qu'ils osaient s'aventurer  hors
de leurs habitations. Ainsi débuta une guérilla qui devait
durer 5 ans, jusqu'à l'arrivée, comme gouverneur, d'AUBERT
dont  le  premier acte fut de conclure la  paix  avec  les
caraïbes au début de l'année 1641,  paix qui fut maintenue
avec le plus grand soin par HOUëL. Lors du dernier conflit
avec  les caraïbes survenu à la fin de  l'année  1653,  la
Guadeloupe ne fut pas concernée directement.  En  revanche
l'île de Marie Galante fut saccagée et,  dans l'expédition
punitive  organisée  par HOUëL,  certains caraïbes  de  la
Dominique servirent d'auxiliaires aux français.  Les rela-
tions sont donc restées excellentes entre les caraïbes  et
les français de la Guadeloupe.

     De  ces faits,  il est licite de penser que,  lors du
premier  conflit,  les seuls caraïbes que l'on  aurait  pu
trouver,  vivant  avec les colons,  étaient des  esclaves.
Après  la signature du traité de paix par AUBERT au  début
de  l'année 1641,  quelques caraïbes revinrent s'installer
au  sein de la nouvelle colonie,  certains même se  mélan-
geant  aux  habitants comme le  rapportent  les  registres
d'état civil de la Capesterre qui débutent en 1639, soit 3
ans  après  l'arrivée des français,  et dans  lesquels  on
remarque des baptêmes d'enfants issus d'une union entre un
européen  et une caraïbe;  ces enfants étaient appelés des
"tapouys".

     Il  faudra  attendre  plus de vingt  ans  pour  avoir
d'autres  renseignements  sur ces caraïbes  à  travers  le
recensement de 1664 et surtout celui de 1671.
  Le  premier n'est pas très précis,  car son but était de
recenser les personnes qui payaient les droits.  On trouve
dans  la  case de Pierre BRUN de  BEAUPEIN,  "deux  petits
sauvages"  et à la Montagne de Bellevue,  dans la case  de
Mathieu MAHON, "quatre sauvages"; cette seconde habitation
était une sucrerie.
  Le second recensement est beaucoup plus intéressant bien
qu'il ne soit probablement pas exhaustif,  au moins sur ce
point.  Il en dénombre une cinquantaine dont trois groupes
principaux :
  le premier se trouve à la montagne Bellevue sur  l'habi-
tation  de Monsieur de CHASTEAU du BOIS avec "10 sauvages,
8 sauvagesses et 8 enfants".  Il s'agit peut-être du  même
groupe  recensé en 1664 sur l'habitation de Mathieu MAHON,
ou tout au moins d'une partie.
  le  second  en Grande Terre au quartier Saint  Marc  sur
l'habitation d'Isaac LE VASSEUR avec "8 sauvages et sauva-
gesses  que  le dit JARDIN ignorait". Le dit JARDIN est  le
beau père d'Isaac LE VASSEUR et l'interprête dont il a été
question dans un article de GHC (N° 19 pp. 186 à 189).
  le troisième au quartier de l'Islet à Goyave sur l'habi-
tation de Jacques MONET avec "2 sauvages, 2 sauvagesses et
2 enfants".
  Les  individus formant ces groupes ne semblent pas  être
des esclaves et je ne pense pas non plus qu'il s'agisse de
"réserve" avant la lettre.  Il est plus vraisemblable  que
ces caraïbes vivaient  à cet endroit avant que cette terre
ne fût concédée à un colon et que ce dernier,  n'ayant pas
tout défriché ou possédant une partie inculte,  soit resté
dans l'ignorance de cette présence,  comme c'est le cas du
sieur  JARDIN pour le groupe vivant en Grande  Terre,  (en
effet  l'habitation  fait  environ  50  hectares  dont  35
restent encore à défricher) ou bien dans l'indifférence de
cette présence car une partie de la concession est inhabi-
table,  comme c'est le cas pour Jacques MONET dont l'habi-
tation fait 17 hectares mais seulement 3 sont cultivés,  2
sont  en savannes et le reste,  soit 12 hectares,  est  en
friche et inhabitable.  Ce lieu semble d'ailleurs  corres-
pondre aux "Grottes Caraïbes",  qui sont en fait des abris
sous  roches,  sous   lesquelles  ont été  retrouvées  les
traces  d'une présence que l'on pense caraïbe;  le  recen-
sement semble dans ce cas confirmer cette hypothèse.
  Le  cas  du  groupe vivant sur  l'habitation  de  M.  de
CHASTEAU  DU  BOIS  est particulier  car  ce  propriétaire
participa  activement à la christianisation  des  caraïbes
avec  le  R.P.  DUTERTRE et cette activité explique  cette
forte concentration sur son habitation.
  Pour  les  autres  caraïbes,  ils vivent par  deux  chez
Pierre  FILLON,  artisan vivant sur les cinquantes pas  du
Roi  à la  montagne Bellevue,  peut être en  collaboration
avec l'habitation de M.  de CHASTEAU DU BOIS,  et chez  le
sieur Pierre BRUN de BEAUPEIN, (mais dans ce cas il s'agit
certainement  des "deux petits sauvages" recensés en  1664
et  qui ont grandi);  également à la Montagne  Beausoleil,
dans la case de M.  DU COUDRAY, sont recensés un tapouy et
deux filles.  Pour la dizaine restante,  ils sont recensés
soit  seuls,  soit  avec des esclaves.  Eux-mêmes  étaient
peut-être  soumis  à  l'esclavage ou tout au  moins  à  un
régime  proche,   bien  que  celui-ci  soit   formellement
interdit  envers  les caraïbes.  A moins que ces  caraïbes
n'aient accepté de vivre sur l'habitation,  s'occupant  de
la  chasse et de la pêche,  arts dans lesquels ils  excel-
laient. Le fait qu'ils soient recensés dans la colonne des
esclaves ne peut être un argument pour cette condition. En
effet, certains nègres libres sont recensés également dans
cette colonne;  c'est le cas notamment sur l'habitation de
Médard LANGLOIS à La Capesterre.

  Que sont devenus ces groupes caraïbes ? Il est difficile
de le dire car,  une fois de plus,  nous manquons de docu-
ments  les  concernant.  Sont-ils restés et  sont-ils  les




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