G.H.C. Numéro 26 : Avril 1991 Page 310
"UN ETRANGE ACCIDENT" SURVENU A TROIS-RIVIERES EN 1702
Jean-Christophe Germain
"Ce qui arriva à la Guadeloupe dans l'année 1699 (1)
est encore plus funeste. Une négresse du sieur GRESSIER
(2), habitant du quartier des Trois-Rivières, s'étant
prise au moulin et criant de toutes ses forces, le raffi-
neur (3) courut à son secours; il prit et tirait fortement
les deux bras de cette femme, qui avaient été pris succes-
sivement parce que, se sentant une main prise, elle y
avait porté l'autre pour se soulager. Un nègre, qui
voulait mettre une pince de fer dans les dents pour
arrêter le mouvement pendant qu'on détournait l'eau, se
pressa trop et mit la pince trop bas, de sorte qu'une dent
se rompit et la pince glissa entre les tambours qui la
repoussèrent si violemment contre celui qui la tenait
qu'un des bouts lui creva l'estomac et l'autre lui
fracassa la tête : cependant, la roue s'étant chargée
d'eau, son mouvement redoubla et le raffineur se trouva
pris avec la négresse qu'il avait voulu secourir et passa
entre les rouleaux et fut fracassé avec elle."
Labat (R.P.) Nouveau voyage aux Isles de l'Amérique
tome 2, page 193 (Editions des Horizons caraïbes)
(1) Le père Labat commet ici une légère erreur sur la
date, comme en témoigne le registre paroissial de Trois-
Rivières :
"Le seize août mille sept cent deux, a été enterré dans
l'église N.D. des Trois-Rivières Jean-Baptiste DUMOUCHEL,
raffineur chez Mr GRESSIER, mort d'un étrange accident,
ayant été pris dans les dents du moulin où il a resté sans
pouvoir être secouru. F. Etienne de St-Quentin Rx Carme."
.PA
(2) André GRESSIER était créole de la Guadeloupe, né à
Trois-Rivières. Il était le fils d'André GRESSIER, né vers
1629, ancien sucrier et lieutenant d'une Compagnie d'in-
fanterie, et d'Anne SAUVAGE. Ses parents étaient tous deux
protestants, originaires de Dieppe. André GRESSIER père
avait tout d'abord fait l'acquisition d'une habitation à
la Martinique sur laquelle travaillaient quatre engagés.
En 1662 (a), il s'embarqua à Dieppe avec Jean SAUVAGE, son
jeune beau-frère, âgé seulement de quinze ans, pour aller
prendre possession en Guadeloupe d'une habitation dont
Etienne SAUVAGE, son beau-père, et lui étaient proprié-
taires chacun pour moitié. Il s'agissait vraisemblablement
de leur habitation de Trois-Rivières, qui était située
entre la rivière du Petit-Carbet et celle du Trou-au-
Chien. Les affaires prospérèrent et , en 1669, la sucrerie
de Monsieur GRESSIER pouvait produire 34.000 livres de
sucre par an (b). Après la mort d'André GRESSIER, l'habi-
tation resta indivise entre ses deux fils, André et Jean,
encore pendant de nombreuses années. Le 20 avril 1698,
André GRESSIER fils épousa à Trois-Rivières Pauline POYEN,
fille de Jean et Lucrèce VAN GANSPOEL, eux aussi sucriers
protestants. Le père Labat, qui rapporte avec force détail
ces deux morts atroces, curieusement ne souffle mot des
autres déboires récents d'André GRESSIER. L'année précé-
dente, en effet, le sieur GRESSIER avait dû prendre la
fuite, ayant tué en duel l'un de ses alliés (c) nommé
Corneille CLASSEN, après avoir "été obligé de mettre
l'épée à la main pour se défendre" (d). André GRESSIER
fut condamné à mort par contumace et ses biens confisqués
au profit de l'Intendant ROBERT, du Gouverneur AUGER et
des Religieux de la Charité (e).
(a) Tabellionage de Dieppe, 22 3 1662
(b) Col. C/7a/1
(c) Corneille CLASSEN était frère d'Anne-Elisabeth
CLASSEN qui avait épousé Jean GRESSIER, frère d'André
(d) Col. C/7a/5
(e) Col. C/8a/13
(3) Jean-Baptiste DUMOUCHEL était aussi créole de la
Guadeloupe, né et baptisé à Capesterre le 16 janvier 1663.
Il était le fils de Jean-Baptiste DUMOUCHEL et de
Madeleine BERNARD. Il avait épousé à Trois-Rivières, le 1°
avril 1698, Anne GUILBERT, fille de Jacques et de
Madeleine de GOUGES, dont il eut :
Marie-Anne DUMOUCHEL b Trois-Rivières 6 septembre 1699
Baptiste DUMOUCHEL b Trois-Rivières 22 12 1704
(4) Le père Labat, toujours très pragmatique, n'omet
pas de préciser : "En de pareilles occasions, le plus
court remède est de couper promptement le bras d'un coup
de serpe; et, pour cela, on doit toujours tenir sur le
bout de la table une serpe sans bec, bien affilée, pour
s'en servir au besoin." Et il ajoute, très justement : "Il
est plus à propos de couper un bras que de voir passer une
personne au travers des rouleaux d'un moulin."
DROIT DE REPONSE
Lucy (GHC page 273) ayant vécu en Ethiopie il y a
plus de trois millions d'années, découverte en 1974 et
baptisée "la plus ancienne ancêtre connue des hommes", ne
peut établir, avec preuves généalogiques à l'appui, la
filiation entre elle et la famille LUCY de FOSSARIEU de la
Martinique. En revanche, elle porte à la connaissance de
.PA
la lectrice qui a posé la question dans un courrier, que
son nom vient d'une chanson des Beatles à la mode lors de
son exhumation.
Dernière minute : d'après une étude scientifique récente,
Lucy serait en fait Lucien !
Révision 26/08/2003