G.H.C. Bulletin 25 : Mars 1991 Page 293
FAIRE FORTUNE A SAINT-DOMINGUE ?
ma façon de pensée la dessus; si il se determine a y aller
seul, je me propose de garder le magasin sinon il faudra
de toute necessités que je prenne un autre party. Mon cher
frere l'architecte me marque que si je ne fais rien de
revenir rejoindre ma patrie qu'il semployra autans qu'il
luy sera possible a pouvoir m'estre utile. Je luy en
conserve toute la reconnoissance mais quesque ce que ce me
procurera une place a etre sous les autres? Je vois peu
dagrement a y avoir me mettre aprendre de nouvelle con-
noissance pour ocuper quel quemploy ! Dalieurs mon cher
Pere quoique je brule d'envie de repondre a votre bonté
paternel qui souhaite me recevoir près d'elle et moi de
vous themoigner ma reconnoissance de tant dobligations ce
ne pouroit (être) qu'avec un certin per (= premier) avoir
qui me mette alabri du necessaire et d'importunité. D'au-
tant plus que divers de mes connoissances partient (=
partis) avec une fortunne a pouvoir vivre a leur aize ont
été contrains de revenire chassés par la rigeur des
froids, notament Mr MONPELIER, qui ma manqué dans la
promesse quil m'avoit fait d'aller vous embrasser mon cher
Pere, ainsi que ma cher Mere et tous mes frer et seures ce
don j'ay été fort surpris apres les peines que j'ay pris a
rendre des services a sa femme quoi que je n'aye jamais
été payé que de cette monoye envers tant d'autre. Si ce
cher frere pouvoit me faire avoir y cy la place que je luy
ait indiqué vacante comme tout le monde me dit qu'il le
peu ce ceroit bien aventageux pour moi je luy en auroit
bien des obligations il ne tarderoit pas a recevoir des
marques de reconnoissances.
Je suis en verité honteux mon cher Pere de navoir
encore rien decouvert de la succession de Pierre ou Charle
MOTET mais je pense que vous n'aurez pas de peine a en
déviner la cause mais mintenans j'espere y reussire par
des moyens que j'ay découvert, ayant perdu l'indice que
vous aviez eu la bonté de me doner je vous seray obligé de
m'en fair passer une autre, un homme de couleur m'ayans
dit avoir travaillé sur son biens qui est une caffeterie
et luy même d'un certin age. J'ay pris le party d'en
ecrire au curé du lieu et a d'autre lesquels ne mont point
fait de reponse.
J'enbrasse tendrement ma chere mere ainsy que mes
chers frere mes chers seurs et leurs moytiés lesquels je
prie d'estre persuadés de mon amitié la plus fraternel.
Mes respects a mes chers oncles et tantes et mille bonne
choses a mes cousins que je felicite d'avoir si bien
prosperé (1) mes respects ausy je vous prie a Monsieur
MAYEU que je revere beaucoup et don je suis fort recon-
noissans des bons souvenires que ma seur Manon me marque
qu'il a pour moi.
J'ay l'honneur d'etre avec un profond respect et la
plus parfaite reconnoissance
Mon cher et digne Pere
Votre tres humble et très
au Cap ce 29 Jer 1785 obeissans serviteur
rüe espagnole HUVé fils tres soumis
(1) Il s'agit notamment de Jacques Antoine HUVé, avocat au
baillage de Mantes, qui avait épousé en 1776 une riche
héritière de Vesly en Vexin, Alexandrine Sophie VINOT de
PREFONTAINES. Leur fils Alexandre HUVé de GAREL épousa une
fille du marquis de LA CARTE dont il eut une brillante
descendance.
Ses héritiers lors du partage après son décès, en 1804 :
Jean Jacques HUVé, architecte demeurant à Versailles
Charles HUVé, ancien notaire à Magnanville, demeurant à
Fontenay Monvoisin (Fontenay-Mauvoisin)
Nicolas Jean HUVé, marchand, demeurant à Ville Neuve
Laguiard (Villeneuve-la-Guyard)
et Michel BALDY BARTET, officier de santé, et Catherine
François Geneviève HUVé son épouse de lui autorisée demeu-
rant à Mantes
Les dits Jean Jacques HUVé, Charles HUVé, Nicolas Jean
HUVé et la dite De BARTET, frères et soeur germains agis-
sant au nom et comme heritiers chacun pour un quart de
Charles Louis HUVé leur frère, négociant au Cap Français
Isle et côte St Domingue, décédé dans la même Isle dans le
cours des révolutions qui y ont existé, et au moyen de
l'abstention verbale faite à la dite succession par Marie
Catherine HUVé, ex religieuse à Mantes leur soeur.
***
N.D.L.R.
Nous avons cherché, dans les dossiers de la Série E
des Colonies, les noms cités dans ces deux lettres et
n'avons trouvé que le parrain, Charles Louis Marie de
PERNAY du RECOURT (E334), qui demandait et faisait deman-
der pour lui avec insistance la croix de Saint-Louis, de
1772 à 1779 où il la reçut enfin, le 12 août. Cela nous
permet de savoir que son grand-père, Charles Nicolas baron
de PERNAY du RECOURT fut le premier à passer à Saint-
Domingue, en 1704, comme major général sous les ordres de
Monsieur le Comte de CHOISEUL-BEAUPRé.
Charles, fils de celui-ci, et père donc de Charles
Louis Marie, fut successivement à St Domingue enseigne
(1704), lieutenant (1710), capitaine (1720), major du
Port-de-Paix (1727) puis du Cap Français (1732), lieute-
nant de roi au Fort-Dauphin commandant en l'absence du
gouverneur (1739) et enfin lieutenant de roi au Port-de-
Paix (1740). Il mourut en 1752, son père et lui ayant
effectué 60 ans de services à eux deux.
Le dernier, celui qui nous intéresse ici, fut cadet
de Rochefort (1757), enseigne des troupes détachées de la
marine à St Domingue (1761), lieutenant dans le régiment
de Foix Infanterie en 1762; mais ce régiment partant pour
France en 1762, il le quitta, s'étant "marié à St Domingue
où il a toute sa fortune". Cependant il continua à servir
comme capitaine de milice et fut aide de camp de quatre
gouverneurs généraux de St Domingue, le comte d'ESTAING,
le prince de ROHAN, le comte de NOLIVOS et enfin le comte
d'ENNERY qui fait une lettre de recommandation pour lui en
en 1776 quand il retourne en France "terminer quelques af-
faires". C'est lors de ce séjour en France qu'il reçut la
première des deux lettres ci-dessus, celle écrite par HUVé
père. Une des lettres de recommandation du dossier de la
série E correspond bien au rôle protecteur que nous le
voyons jouer pour son filleul. En effet, en 1775, un
certain M. BEUDET écrit au ministre : "M. du RECOURT dont
les habitations touchent le Cap, y reçoit les officiers en
santé ou malades et, en cas d'hostilités, le service
trouverait en cet homme naturellement généreux des res-
sources utiles." Il ne semble pas qu'il soit retourné à St
Domingue, sa dernière lettre remerciant pour la croix de
Saint-Louis enfin obtenue étant écrite à Avernes en 1779.
Comment les PERNAY du RECOURT et les HUVé étaient-ils
liés ? Les premiers avaient-ils des terres près de Mantes?
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Révision 26/08/2003