G.H.C. Bulletin 25 : Mars 1991 Page 294
La succession de Jean LISTRY
Pierre Bardin
En 1723, de l'imprimerie Quilleau, rue Gallande à Paris,
sort un mémoire intitulé:
"Mémoire pour DUBROIS GODET, marchand habitant à la
Guadeloupe et Dame Allette VAN SUSTEREN son épouse,
défendeurs Contre Jacques CLERC DUGUESTEAU, négociant de
La Rochelle et Dame Anne LISTRY son épouse, demandeurs
en cassation."
De quoi s'agit-il? D'une de ces procédures en justice
comme en affectionnaient nos aïeux, qui traînaient pendant
des années, et, dans le cas présent, aggravée par les
distances séparant les lieux et les faits objets du
litige, en l'occurence la Guadeloupe et La Rochelle.
Qu'on en juge. On apprend tout d'abord que cette demande
"est de la plus noire ingratitude" car GODET "tuteur par
amitié, dans une famille étrangère" a eu, sur le compte de
cette tutelle, plusieurs procès au Conseil Supérieur de
l'île, qui lui ont été très défavorables. Ce mémoire est
donc destiné à rétablir La vérité des faits. Essayons d'y
voir clair.
Jean LISTRY, "habitant" de la Guadeloupe, vient loger
chez son ami GODET en 1704. Il a quatre enfants, Jean,
Mathieu, Marie et Anne. Mathieu et Marie sont envoyés à
l'étranger "pour apprendre le commerce et y être élevé",
Jean part pour France mais, pendant le voyage, l'équipage
du navire sur lequel il est embarqué se mutine, tue son
capitaine, et va se réfugier en Virginie, où les Anglais
les font prisonniers. Ce fait sera un élément important
pour la suite des événements.
Le 9 mai 1702, Jean LISTRY avait remis à GODET un
testament le nommant tuteur de ses enfants "sans avoir de
compte à rendre". Il nommait DAGUERNY (1) subrogé tuteur.
Le 11 août 1704, il fait un autre testament confirmant le
précédent, mais en ajoutant que Jean NOORDINGH, Consul du
Roi du Danemark à La Rochelle, serait tuteur principal de
ses enfants, conjointement avec le sieur GODET. On
pouvait peut être faire plus simple, mais c'est ainsi.
Jean LISTRY meurt le 15 février 1705; le 9, les Juges
du Conseil Supérieur de la Guadeloupe donnent la tutelle,
comme le veut le testament, à GODET, mais oublient de
faire prévenir NOORDINGH à La Rochelle, ce qui, on s'en
doute, va aggraver les choses. Un inventaire des biens est
effectué "on peut penser qu'il fut fidèle, car rien
n'obligeait cet étranger (GODET) qui n'était pas de la
famille a être tuteur, il ne le faisait que pour la
mémoire de son ami". Les biens consistaient en une habita-
tion que GODET géra avec soin, "en bon père de famille",
il fit des remises à NOORDINGH à La Rochelle, comme
l'avait souhaité LISTRY, "soutint les périls de la guerre
dans l'île et défendit l'habitation contre les ennemis."
C'est à cette époque que commence un procès contre
Jean Hubert LISTRY, le fils, parti sur le bateau livré aux
anglais. Il sera accusé d'être complice, jugé et condamné
comme fugitif, déserteur, tous ses biens devant être sai-
sis. Il pourra se défendre, ester, et sera remis en pos-
session de ses biens en 1722, car il prouvera que "sa
demeure en Angleterre a toujours été violente et forcée".
Tout est donc pour le mieux, pensez-vous. Que non ! Comme
on dirait aujourd'hui, un "flash back" s'impose.
La première condamnation de LISTRY fils est de 1712,
mais le procès par contumace avait commencé en 1710, le 2
août très précisément, GODET avait dû rendre des comptes
de tutelle, le 22 may 1713 il avait été déchargé de celle-
ci, et, en exécution du jugement, avait remis tous les
papiers au Greffe, les biens étant mis en régie. Ajoutons
que LISTRY étant "religionnaire", cela facilitait les
choses.
GODET pense qu'il va enfin être tranquille, quand
débarque dans l'île quelqu'un que l'on n'attendait pas, le
sieur CLERC DU GUESTEAU époux d'Anne LISTRY, la soeur de
Jean Hubert, la dite Anne ayant obtenu du Conseil d'Etat
le 24 may 1714 la mise en possession des biens de son père
"par absence des deux enfants (Mathieu et Marie dont on ne
parle plus) et confiscation des biens de son frère Jean,
et aussi parce qu'elle est "bonne catholique".
Ce dernier point sera contesté par un certificat de la
Supérieure des Ursulines où la dame fut élevée avant son
mariage et par le curé de la paroisse (à La Rochelle)
déclarant qu'elle a refusé de donner son certificat (de
baptême) et qu'il ne l'a jamais vue "en aucun temps faire
son devoir de catholique". Avant d'arriver dans l'île, DU
GUESTEAU et sa dame (Mlle LISTRY) font un procès à La
Rochelle au sieur NOORDLINGH pour lui demander des comptes
de sa tutelle, ainsi que d'un legs de 10.000 livres que
Hubert VAN SUSTEREN en Hollande avait fait à Anne LISTRY
par testament en date du 7 novembre 1710.
NOORDLINGH répond qu'il n'a jamais été tuteur. Quant
aux 10.000 livres, il leur conseille de s'adresser à la
légataire universelle de VAN SUSTEREN, sa fille Allette
(2), qui entre temps est devenue Madame DUBROIS GODET...
Je pense que vous suivez.
Les Juges de La Rochelle ordonnent quand même que
NOORDLINGH devra fournir un état des remises à lui faites
par LISTRY et GODET, qu'il "pourra mettre ce dernier en
cause si bon lui semble" et convertissent la demande du
legs en saisie arrêt. A propos de ce legs, GODET se défen-
dra en arguant qu'il n'a pu faire aucun usage de cette
somme, la guerre et les ennemis l'en empêchant, qu'il
avait proposé à DU GUESTEAU de la lui envoyer en France,
mais que ce dernier, toujours à cause de la guerre, crai-
gnant de se la voir confisquer, avait refusé, et que de
toute façon, les intérêts et les intérêts des intérêts qui
lui sont demandés ne pourraient courir qu'à partir du 18
novembre 1713, jour de la publication de la paix, et non
du jour du décès du sieur LISTRY.
Toujours est-il que DU GUESTEAU, en même temps qu'il
vend les biens de son beau-père en Guadeloupe, intente un
procès à GODET, lequel arrive à La Rochelle où l'attendent
NOORDLINGH et les Juges de la ville. Nous sommes le 24
décembre 1714. Dix ans plus tard, rien n'est réglé, et le
mémoire de 15 pages se termine par ces mots :
"Si le défendeur a exposé son droit au Parlement dans des
écritures que les demandeurs trouvent trop longues, il ne
s'ensuit pas qu'elles le soient, ni que le fond y soit
traité, mais il a fallu développer, comme dans ce mémoire,
une malheureuse intrigue de procédure, multipliée, redou-
blée, portée en même temps devant deux Juges différents,
et ce n'est pas en peu de mots qu'on parvient à démêler
une longue chicane et une artificieuse persécution". C'est
le moins que l'on puisse dire !
Ajoutons pour terminer que le sieur GODET avait sans
doute un goût pour les tutelles et les chicanes procédu-
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