G.H.C. Bulletin 21 : Novembre 1990 Page 221

A BASSE-TERRE SOUS LA REVOLUTION : LES DUJON
Bernadette et Philippe Rossignol

 
     Le 18 août 1794, à Basse-Terre, on enterre "un enfant
ondoyé à la maison,  fille (sic) du sieur Laurent DUJON et
de demoiselle Blanche VERNIER, sa légitime épouse".
     Quand  le  couple est-il arrivé  à  Basse-Terre ?  La
période est confuse et violente et une naissance  prématu-
rée  s'explique fort bien.  Les Anglais ont pris la Guade-
loupe  le 22 avril;  Victor HUGUES est arrivé en  vue  des
côtes  de  la  Grande-Terre début juin;  le  7  juin,  les
troupes  françaises  sont entrées  à  Pointe-à-Pitre;  les
Anglais tenaient toujours la Basse-Terre et les royalistes
y pourchassaient les patriotes.  Le camp Saint-Jean ne  se
rendra  que  le 7 octobre et l'armée républicaine  prendra
possession du Fort Saint-Charles de la Basse-Terre dans la
nuit du 10 au 11 décembre.
     Laurent DUJON était commerçant à  Basse-Terre.  Natif
de  l'Aveyron,  il  avait épousé Blanche  VERNIER,  née  à
Montauban  dans le Lot mais dont le  père,  Jean-François,
vivait à Bordeaux. C'est peut-être dans cette ville qu'eut
lieu le mariage.
     On  trouve  aussi à Basse-Terre un oncle de  Blanche,
Joseph VERNIER. Nous en reparlerons plus loin.

     Dans  le recensement de l'an IV (G1/500,  44  R°)  on
trouve,  bizarrement,  DUJON,  marchand,  et LAURENT ! Pas
d'épouse, et pas de VERNIER.

     En  1799 naît celle qui sera la seule enfant du  cou-
ple, Marie Victoire Eloïse (qui signera plus tard Eloïsa).

     Le 24 messidor an XI (13 juillet 1803), Laurent DUJON
quitta  la  Guadeloupe  "avec le projet de  se  rendre  en
France où ses affaires et sa santé l'appelaient". Il avait
alors  32 ans.  Or la guerre venait de reprendre avec  les
Anglais et les habitants de la Guadeloupe l'avaient appris
le  24  juin.  La guerre avec les Anglais,  aux  Antilles,
c'était  avant  tout la guerre sur mer et  les  prises  de
bateaux  avec leur chargement et leurs passagers.  Laurent
DUJON voyageait sur le navire américain "Le jeune  aigle",
capitaine ROBINS. Celui-ci fut pris et ses passagers emme-
nés  dans  les prisons de Stapleton.  Laurent DUJON  était
très  malade et il y mourut le 25 octobre 1803,  comme  en
fait  foi le certificat suivant,  que fit  enregistrer  sa
veuve sur les registres de Basse-Terre le 25 brumaire XIII
(16 11 1804) :
"Nous  soussignés passagers à bord du navire américain  Le
jeune aigle, capitaine Robins, certifions et déclarons que
lors  de notre entrée dans les prisons de Stapleton,  Mon-
sieur DUJON, un de nous, étant à toute extrémité de vie et
en  pleine connaissance mais ne pouvant écrire ses  volon-
tés,  a déclaré devant nous lors de son entrée à l'hôpital
des  dites  prisons qu'en cas de mort il  constituait  son
exécuteur testamentaire et réclamant de ses  effets,  pour
faire parvenir à sa famille,  Monsieur BORèS jeune,  négo-
ciant, l'un de nous.
En  foi de ce,  avons délivré le présent à Monsieur BORèS,
Monsieur DUJON étant décédé ce jour 25 octobre 1803.
Aux prisons de Stapleton, le 25 octobre 1803
Signé :  BOUDINET, ROUSSET, BONNET, DUCOUDRAY, SALLET, Ch.
GAUTEAU,   DELAVAIRE,   LEGRAND,   R.  PERPIGNA,  J.  Bte.
PERPIGNA, SOULQUE, JACQUES, LEMAROIR, Fois. HONVRAY
Visé  pour  timbre à Morlaix le 1° frimaire an XII  de  la
République (23 11 1803).
(Cet acte, enregistré par BORèS dès son arrivée à Morlaix,
fut  déposé  par lui en l'étude de M° Jean  François  Ange
Barazer et Salomon Marie Eymarec).

     Le lendemain de l'enregistrement de cet acte sur  les
registres  de  Basse-Terre,  Blanche VERNIER se  remariait
avec  Charles  Louis PIERMé,  officier de l'Etat  civil  à
Capesterre,  fils d'un commerçant de dentelles et de soie-
ries à Paris. Elle même était "commerçante et propriétaire
à Basse-Terre, Grande rue, 3° section". Il est bien préci-
sé  qu'elle  est  veuve avec une fille  de  5  ans,  Marie
Victoire Héloïse (corrigé en Eloïza) DUJON.

     Ce  deuxième mariage ne dura que le temps d'avoir  un
fils et, un an et quatre jours après, Blanche se remariait
pour  la troisième et dernière fois.  Elle était vouée  au
mois de brumaire (décès de son premier mari le 2  brumaire
XII,  premier remariage le 26 brumaire XIII,  second rema-
riage le 30 brumaire XIV) !
     Aux  deux  remariages on trouve comme  témoin  Joseph
VERNIER,  propriétaire, son oncle paternel, que nous avons
évoqué plus haut.  On voit aussi apparaître au mariage  de
l'an XIII "Venture Paradis,  négociant", qui sera le troi-
sième époux.
     Jean  André François Désiré VENTURE de PARADIS  était
donc négociant,  natif de Basse-Terre,  fils d'un officier
du  régiment  de Guyenne;  il avait 29 ans et  Blanche  en
avait  32.  Le  père de Blanche,  Jean-François,  veuf  de
Jeanne MARTIN, vivait alors "de son bien" à Bordeaux.
     Nous ne savons pas si le couple VENTURE eut  beaucoup
d'enfants.  En  1807  naquit  une petite fille  mais  elle
mourut à 9 ans.  Vers 1809 c'était la naissance d'un fils,
Charles Ernest, qui assurera la postérité.

     Le 8 juillet 1817,  Blanche mariait sa fille.  Eloïsa
avait 17 ans et elle épousait Auguste TRUTIé chevalier  de
VAUCRESSON,  sous-commissaire  de  la  marine,  secrétaire
général  de  l'Intendance en Guadeloupe,  natif de  Paris,
fils  de  Messire Jean Baptiste Léger TRUTIé  seigneur  de
VAUCRESSON,  ancien mestre de camp,  maréchal des logis de
la cavalerie de France, chevalier de Saint-Louis, décédé à
Saint Domingue en 1791,  et de dame Anne Marie LE NOIR  de
PASDELOUP  demeurant  au château de Saint Crespin en  Nor-
mandie.
     Dans  l'acte  de mariage de 1817,  la  mère  d'Eloïsa
s'appelle  "dame  Blanche  de VERNIER  épouse  de  Messire
Joseph  André François Désiré Bienvenu  de  VENTURE".  Est
aussi  présent l'aïeul maternel de l'épouse,  octogénaire,
Monsieur Jean François de VERNIER.  La Révolution est bien
terminée !

     Nous n'avons pas trouvé le décès d'Auguste TRUTIé  de
VAUCRESSON   et  le  remariage  d'Eloïsa  avec   Hippolyte
COLLINEAU de MONTAGUèRE (avant 1832,  peut-être en France)
mais  nous comprenons maintenant pourquoi au décès à  Sète
en  1876  de leur fille Elodie,  la mère de  celle-ci  est
appelée Eloïse VENTURE : c'est le nom du troisième mari de
sa mère,  celui qui l'a élevée (GHC 90-23, p. 110 et 132).
Celui-ci est mort sur son habitation à Trois Rvières le 26
juillet  1825 "durant le sinistre ouragan dont la  colonie
fut affligée le même jour."
     Quant  à Hippolyte COLLINEAU de MONTAGUèRE,  il a  eu
l'heureuse idée d'aller mourir à l'hôpital de Basse-Terre,
ce qui nous permet de connaître son origine et l'implanta-
tion de sa famille aux Vieux-Habitants!


Page suivante
Retour au sommaire




Révision 26/08/2003