G.H.C. Bulletin 21 : Novembre 1990 Page 220
MESSIEURS LES OFFICIERS DE LA GARNISON DU PORT AU PRINCE
Document appartenant à François Macé de Lépinay
Présentation de Bernadette et Philippe Rossignol
Le document que vous lirez ici est représentatif des
premiers graves troubles de St Domingue, du passage du
pouvoir du Roi à celui de la Nation et du temps de trans-
mission entre la métropole et les îles.
Vous remarquerez en effet l'inscription LE ROI, rayée
sur l'en-tête et sur le cachet de la fin : c'était encore
le pouvoir royal (mais après "La Nation et la Loi") quand
le document fut rédigé à St Domingue le 10 mai 1792, mais
le 22 juin Louis XVI était arrêté à Varennes!
A St Domingue, le mulâtre Vincent OGé, arrivé de
France au Cap le 16 octobre 1790 avec l'espoir de faire
promulguer le décret de l'Assemblée Nationale du 28 mars
sur le droit d'admission de tous les citoyens libres à
toute charge ou fonction, a été exécuté avec ses compa-
gnons le 25 février 1791. A la suite de ces événements les
Blancs s'affrontent en deux partis, les révolutionnaires
qui veulent une île indépendante où les libres seront
abaissés, et ceux fidèles au Roi et à la France, qui
veulent des réformes progressives.
Pierre Pluchon, dont le "Toussaint Louverture" nous
sert ici de guide, dit que, le 5 mars 1791 "les soldats
des régiments d'Artois et de Normandie, récemment débar-
qués, se mutinent et se coalisent avec les 'pompons
rouges' (les révolutionnaires). Les affrontements et les
désordres secouent le Port-au-Prince. MAUDUIT, colonel du
régiment de la capitale, héros de la guerre d'indépendance
américaine, est assassiné. Avec ce royaliste libéral,
respectueux des instructions du nouveau régime, la colonie
perd le seul chef vers qui se tourner pour rétablir l'or-
dre, pour imposer aux petits blancs l'application du
décret du 8 mars 1790". Ce décret permettait aux assem-
blées locales de proposer une assemblée coloniale; il
avait été aménagé par l'instruction du 28 mars qui préci-
sait que les assemblées paroissiales (qui désigneraient
les députés à l'Assemblée coloniale) seraient formées des
propriétaires ou contribuables de plus de 25 ans. C'était
ces décrets des 8 et 28 mars, qui n'excluaient pas les
libres de couleur, qu'OGé avait voulu, en vain, faire
promulguer.
L'insurrection des esclaves commence dans les habita-
tions du Nord en août 1791. Le 22 novembre de la même
année, débarquaient au Cap les trois commissaires de l'As-
semblée nationale dont les noms apparaissent en tête du
document ci-contre. Ils apportaient le décret du 24 sep-
tembre qui abrogeait la loi du 15 mai accordant l'égalité
des droits aux gens de couleur nés de parents libres.
Les colons blancs durcissent leur position tandis que
les commissaires tentent de négocier avec les généraux
noirs. Mais l'insurrection noire reprend en janvier 1792.
MIRBECK s'embarque le premier pour la France le 1° avril
1792, SAINT-LéGER le suit le 8 avril. Philippe-Rose ROUME
de SAINT-LAURENT, créole de la Grenade, est le seul à
rester (il quittera l'île le 6 janvier 1793 pour y revenir
en 1796); c'est donc lui seul qui signe le texte ici
présenté. Et, le 20 septembre 1792, arrivera la deuxième
commission, celle de POLVéREL, SONTHONAX et AILHAUD, déjà
évoquée dans des numéros précédents de GHC.
Qui connaîtrait le sort de "Messieurs les officiers
de la garnison du Port-au-Prince" à leur retour en France?
Et que sait-on de MIRBECK et SAINT-LéGER ?
Ignace-Frédéric de MIRBECK, Philippe-Rose ROUME et Edmond
de SAINT-LéGER, commissaires nationaux-civils, délégués
par le Roi aux Iles françaises de l'Amérique sous le vent,
pour y maintenir l'Ordre et la Tranquillité publique, en
exécution des Lois des 11 février et 28 septembre 1791.
Messieurs les officiers des trois bataillons en garnison
au Port-au-Prince rendront compte à l'assemblée nationale
et au roy de l'événement particulier qui les force à
passer en France.
L'assemblée nationale et le roy reconnaîtront en eux
des officiers fidèles à leurs devoirs, qui, respectant la
réquisition d'un Commissaire National civil dictée par
l'amour de l'ordre et de la tranquillité publique, n'ont
pas voulu se rendre les bourreaux de leurs concitoyens en
exécutant des réquisitions contraires que dictait l'aveu-
gle férocité des factieux du Port-au-Prince.
L'assemblée nationale et le roy sauront que l'assem-
blée provinciale de l'Ouest et la municipalité du Port-au-
Prince ont fait conduire au Cap ces officiers comme s'ils
eussent été des criminels, que l'assemblée coloniale,
approuvant la démarche arbitraire des deux corps popu-
laires, a requis le chef du pouvoir exécutif d'envoyer en
France les mêmes officiers et qu'enfin le représentant du
roy a obéi servilement à des arrêtés dont il devait pro-
noncer la nullité.
Quoique Messieurs les officiers de la garnison du
Port-au-Prince n'aient pas besoin de mon intervention pour
obtenir la justice qui leur est due, je m'empresse de
joindre mon attestation à celle que mes deux collègues se
feront également un devoir de donner du patriotisme, de la
sagesse, de l'humanité, du zèle et du courage qui caracté-
risent la conduite qu'ont tenue Messieurs les officiers de
la garnison du Port-au-Prince, parmi les complots et les
crimes atroces qui se sont alternativement succédés au
Port-au-Prince depuis l'assassinat du colonel MAUDUIT.
Fait au Cap le 10 mai 1792
Signé : ROUME
LEBORGNE, secr. de la commission nationale civile.
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