G.H.C. Bulletin 20 : Octobre 1990 Page 205
A propos du colloque sur SONTHONAX : la mort de POLVEREL
Pierre Bardin
Ce colloque, qui a vu pendant deux jours communica-
tions et débats d'un très haut niveau, a ceci d'assez
paradoxal qu'il ne fut jamais tant parlé d'un homme dont,
à part la période dominguoise, on sait finalement peu de
choses, le nom de SONTHONAX ayant même totalement disparu
des encyclopédies et autres dictionnaires, le plus surpre-
nant étant son absence des parutions engendrées par le
bicentenaire de la Révolution. Son action et l'importance
de son geste lors de sa première mission ne peuvent être
dissociées de celles d'un autre homme qui en est peut-être
le véritable animateur : il s'agit d'Etienne de POLVéREL.
C'est ce que fit remarquer Jacques de Cauna (voir son
article dans GHC 13 page 108) qui signale une nette pro-
pension à citer POLVéREL avant SONTHONAX. Ceci est confir-
mé également lors de leur mise en accusation et de leur
procès où on parle du "Tigre POLVéREL" : la lecture des
papiers du Comité de Salut Public et des journaux montre
que POLVéREL est considéré comme le véritable responsable.
A St Domingue même, c'est POLVéREL qui raffermit la
volonté chancelante de SONTHONAX, celui-ci voulant tout
abandonner et rentrer en France au moment de l'affaire
GALBAUD. POLVéREL ira jusqu'à lui dire : "S'il en est un
qui doit rentrer le premier, c'est bien moi, POLVéREL, qui
n'ai plus que quelques temps à vivre, une maladie impla-
cable réduisant le cours de mes jours". Tous deux rentrés
en France au lendemain de thermidor an 2, arrêtés, amenés
à Paris et jugés, POLVéREL meurt avant la fin du procès.
Ce décès parut tellement opportun pour les uns, suspect
pour les autres, que le Comité de Sûreté Générale décida
de l'exhumation. Les Archives de la Préfecture de Police
ont conservé ce document :
Préfecture de Police AA 251
Le 18 germinal an 3, le commissaire de Police de la
section des Tuileries, Barthélemy CHARBONNIER, reçoit
l'Agent national de la même section, Joseph NIEL, qui lui
remet un arrêté du Comité de Sûreté Générale daté de ce
jour, signé des représentants du peuple CLAUREL et
GAUTHIER, par lequel il est ordonné de suspendre l'inhuma-
tion de POLVéREL décédé hier, dans une maison de la rue de
Rohan, et d'exhumer le corps au cas où l'enterrement ait
eu lieu. Il s'agit de reconnaître que le corps est bien
celui de POLVéREL, ci-devant commissaire à St Domingue.
Comme on ne discute pas un ordre du Comité de Sûreté
Générale, le commissaire se rend au cimetière, situé sec-
tion du Montblanc sous Montmartre, accompagnés des cito-
yens Jean Baptiste DEZAROT, membre du comité civil de la
section du Montblanc, Louis Jean CLAUSSON, Cézar Dominique
DUNY, tous deux commissaires de St Domingue, demeurant
maison du Carousel section des Tuileries, Jean Baptiste
FOURNIER, demeurant rue Neuve Marc maison du Camp section
Lepelletier, Jean Louis COSSE, demeurant place Michel n°
505 section des Termes, Jean Baptiste TESSIER, rue des
Deux Ecus n° 23 section de la Halle au bled, Jean
DUBREUIL, rue du licée section de la Butte des Moulins,
tous colons réfugiés de St Domingue ou déportés.
"En vertu du susdit arrêté", le citoyen DUBRAY, fosso-
yeur, ouvre le cercueil où se trouve le corps "qu'il avait
inhumé le matin et qu'il avait fait porter d'une maison
rue de Rohan n° 18 section des Tuileries." Le commissaire
fait prêter serment aux colons qui déclarent "en leur âme
et conscience, qu'ils reconnaissent le corps pour être
celui du citoyen Etienne POLVéREL, cy-devant commissaire à
St Domingue, ayant demeuré rue de Vaugirard section de
Mutius Scaevola et ensuite susdite rue de Rohan."
A ce moment, le citoyen DUNY, représentant le Comité de
Sûreté Générale, dit qu'il est intéressant de savoir si le
dit POLVéREL, d'après son état et celui des habits dont il
est couvert, est mort ou non de mort violente. Le commis-
saire présume "qu'il y a eu mort violente et forcée et
décide de le faire constater par deux officiers de santé."
Ceux-ci, Jean Marc JOUSSEAUME, demeurant 66 rue du
Montblanc, et Julien SARRADE, 107 rue du faubourg Montmar-
tre, déclarent en leur âme et conscience "qu'après vérifi-
cation que nous venons de faire en présence des susnommés
d'un cadavre qu'on nous a dit être celui de POLVéREL,
avons reconnu premièrement que le dit POLVéREL était at-
teint d'un maladie vénérienne qui lui a provoqué un épan-
chement d'humeur de la partie droite de la poitrine et que
les foyers sont brûlés par les liqueurs, qu'il n'y a
aucune trace de mort violente et forcée."
Rassérénés, le commissaire, l'agent du Comité, les
colons, se retirent, après avoir signé les différents
procès-verbaux et après que l'agent du Comité ait ordonné
au fossoyeur "d'inhumer le corps du dit POLVéREL."
Cette maladie vénérienne constatée lors de l'exhuma-
tion et de l'autopsie est-elle celle dont il parlait à
SONTHONAX ? C'est plus que probable. Si POLVEREL avait
trouvé la paix, SONTHONAX, lui, ne connaîtra plus jamais
le repos. Après l'échec de sa seconde mission, il restera
toujours suspect et connaîtra les geôles de la Concierge-
rie. Dommage que les papiers de cette prison aient disparu
dans l'incendie de 1871, mais, grâce aux Archives de la
Préfecture de Police (AA 78), on sait que, le 21 brumaire
an 8, GENEST, commissaire de police de la division de
l'Ouest du 10° arrondissement, accompagné de l'adjudant
BISSEAU de la 30° brigade de la Garde nationale, du lieu-
tenant STEIL de la 79° 1/2 brigade d'infanterie et de
plusieurs fusiliers (c'est dire si l'homme était jugé
dangereux), se rendent rue Dominique n° 1053 où, en vertu
d'un mandat d'amener du Bureau central du canton de Paris,
sur ordre des Consuls de la République et du Ministre de
la Police, il force la porte du citoyen SONTHONAX, le
trouve couché, lui donne lecture des ordres reçus.
SONTHONAX s'excuse de sa tenue, donne tous ses papiers,
signe le procès-verbal et n'offre aucune résistance. L'ac-
tion politique de Léger Félicité SONTHONAX était définiti-
vement terminée (1).
Il ne nous reste plus qu'à attendre la parution des
actes de ce colloque qui fut une totale réussite. Je
voudrais rappeler que, parmi les intervenants, certains
ont écrit des ouvrages dont l'autorité n'est pas contesta-
ble, que ce soit Yves Benot, l'historien haïtien Gérard
Laurent, avec notamment "Quand les chaînes volent en
éclat", Jacques de Cauna "Au temps des îles à sucre",
Pierre Pluchon dont le "Toussaint Louverture" fut, avec le
remarquable "Le temps de St Domingue" de Monsieur l'Ambas-
sadeur Jacques Thibau, l'événement de la parution litté-
raire dans l'année du bicentenaire et les références
indispensables si l'ont veut mieux comprendre et connaître
les idées et les faits qui vont bouleverser la vie de la
Nation.
(1) Y-a-t-il un lien de parenté avec Léontine Henriette
SONTHONAX (+ Paris 13 7 1838) et Marie SONTHONAX, veuve de
Michel Clément LARAN DUBREIL (+ Paris 24 11 1851) ?
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