G.H.C. Bulletin 20 : Octobre 1990 Page 206
THESE
Marine royale, corsaires et trafic dans l'Atlantique
de Louis XIV à Louis XVI
Thèse pour le doctorat ès lettres
soutenue à Paris le 12 mai 1990 par Patrick Villiers
Compte-rendu par Michel de Sachy de Fourdrinoy
La publication du "Commerce colonial atlantique et
Guerre d'Indépendance américaine", en 1976, suivie en 1982
de "Traite des noirs et navires négriers au XVIII°
siècle", puis de "Marine de Louis XVI" en 1985 et 1986,
sans compter les multiples articles et communications à
des colloques, avait permis aux amateurs d'histoire mari-
time de découvrir que Patrick Villiers développait depuis
près de quinze ans pour sa thèse d'état une vaste problé-
matique. Il fallait avoir un bel appétit pour oser s'atta-
quer simultanément à la tactique et la stratégie, la
guerre de course, le commerce colonial et les convois, la
construction navale comme l'analyse des budgets de la
marine de 1661 à 1783.
Tous les membres du jury ont salué l'étendue du champ
historique embrassé et la qualité des recherches. Dès
lors, quel plan adopter ? M. la professeur Perrot, de
Paris I, rapporteur et directeur de la thèse de Patrick
Villiers, a brillamment montré ce qu'un plan exclusivement
thématique aurait pu apporter. Patrick Villiers a souligné
que son plan était à la fois historique, avec un découpage
de la période en trois règnes, et thématique : l'analyse
budgétaire précédant l'évolution des constructions
navales, puis l'étude de la tactique et de la stratégie,
avant d'aborder la guerre de course, les convois et les
résultats économiques. Il a justifié le "classicisme" de
son plan par la nouveauté de l'approche simultanée de ces
domaines.
Comme l'a noté le professeur Bergeron, si, aux Etats-
Unis, l'histoire militaire et la "new economic history"
font bon ménage, en France, en matière maritime, cette
approche est rarissime. L'amiral Chatel et le professeur
Bertaut de Paris I ont remarqué que, pour les futurs
lecteurs -et ils seront nombreux-, un tel plan permet de
retrouver aisément la période et le problème recherchés.
L'ouvrage est si riche qu'il est difficile d'en rap-
porter les multiples enseignements. Une première évidence
s'impose : à l'exception des années Colbert et de la
guerre d'Indépendance américaine, la Marine a toujours
reçu un budget insuffisant pour les missions qui lui
étaient allouées. Les impératifs de la guerre continentale
à partir de 1693, puis les choix diplomatiques adoptés par
FLEURY sous Louis XV en furent la cause principale. Les
secrétaires d'Etat à la Marine eurent alors à "maximiser
sous contrainte", pour utiliser le langage des économistes
contemporains.
L'étude de l'archéologie navale et spécialement des
plans de navires révèlent alors qu'à partir de SEIGNELAY
tous les secrétaires d'Etat à la Marine tentèrent de
compenser l'infériorité numérique de la flotte française
par l'avance technologique. Il en résulta une conséquence
imprévue : un véritable blocage de la tactique navale.
TOURVILLE, à la bataille de Barfleur, réussit ainsi à
tenir en échec une flotte anglo-hollandaise deux fois plus
nombreuse. MAUREPAS et DUHAMEL du MONCEAU reprirent ce
pari technologique. Les constructeurs virent leur statut
s'améliorer. A partir de 1740, ils vinrent à Paris rece-
voir une formation scientifique. Aux générations issues
des maîtres de hache succéda celle de GROIGNARD et de
J.M.B. COULOMB Ce n'est cependant qu'après la Guerre de
Sept Ans que s'imposa une évidence : dans une escadre,
pour manoeuvrer de conserve, les vaisseaux les plus ra-
pides doivent s'aligner sur le plus lent. L'uniformisation
rêvée par COLBERT pour des raisons économiques ne devint
une évidence tactique qu'en 1780. Elle fut la base de la
révolution suffrénnienne que NELSON devait porter à son
apogée. Il appartint à SANé de proposer de 1781 à 1786 les
plans types des vaisseaux de 74, 80 et 110 canons.
L'incompréhension des problèmes maritimes amena la
Cour à des erreurs stratégiques, particulièrement le choix
erroné de stratégies directes visant à débarquer en Angle-
terre. Ces échecs amenèrent la France à se livrer sur mer
à une guerre d'usure pour laquelle elle n'était pas prépa-
rée. De SEIGNELAY à CASTRIES, les secrétaires d'Etat à la
Marine tentèrent, avec plus ou moins de succès, une stra-
tégie périphérique où la course et l'escorte des convois
jouèrent un rôle souvent essentiel.
VAUBAN fut des premiers à le comprendre, d'où ses
propositions, reprises par les PONTCHARTRAIN. Au XVIII°
siècle, la course eut une forme très différente. Elle doit
être replacée dans le cadre de la croissance du commerce
colonial et dans celui de ses rapports avec la marine
royale.
Le désastre de Vigo fit oublier aux contemporains les
succès que DUCASSE et CASSARD remportèrent en matière de
convois pendant la Guerre de Succession d'Espagne. Cette
expérience ayant été oubliée, il fallut réinventer pendant
la Guerre de Succession d'Autriche. Après l'échec de la
route patrouillée, MAUREPAS reconnut la nécessité d'une
escorte sur tout le trajet. Pendant la Guerre d'Indépen-
dance, SARTINE reprit et développa les mêmes principes,
qui furent perfectionnés par CASTRIES et les commandants
de port.
La réussite des convois en fit un élément décisif des
succès de la stratégie périphérique. L'économie maritime
et coloniale en fut profondément modifiée. Durant ces
conflits, les ports de l'Atlantique, et principalement
Bordeaux, bénéficièrent d'un avantage géographique de
premier ordre. Dès lors, doit-on penser que le système des
convois anéantit la course ?
Le déclin de la course au XVIII° siècle, pour être
incontestable, doit cependant être fortement relativisé.
La situation varia d'une guerre à l'autre. Deux facteurs,
entre autres, furent déterminants : la puissance de l'An-
gleterre et de ses alliés et l'absence d'escadre royale
aux côtés des corsaires français. Les forces anglaises
furent de mieux en mieux organisées et les capitaines
marchands durent accepter la discipline, rude mais effi-
cace, des convois escortés par la Royal Navy.
Dès lors, il était logique que la course se déplace
vers Bayonne, la Martinique et Saint-Domingue pendant la
Guerre de Succession d'Autriche. Elle connut une hausse
spectaculaire pendant la Guerre de Sept Ans, puis déclina
pendant la Guerre d'Indépendance. La rentabilité fut in-
discutable aux Antilles et à Dunkerque. Elle fut beaucoup
plus aléatoire à Saint-Malo et à Bayonne.
La carte de l'armement corsaire au XVIII° siècle
dessina ainsi le négatif du commerce colonial maintenu par
les convois. Les ports tels Dunkerque, Saint-Malo, et
Page suivante
Retour au sommaire
Révision 26/08/2003