G.H.C. Bulletin 18 : Juillet-Août 1990 Page 166
GRABUGE A LA GRENADE
Arnaud Vendryes
Au début de 1795, le citoyen Victor HUGUES tente de
soulever l'ensemble des îles du Vent contre l'Anglais. A
la Grenade, FEDON et ses insurgés vont passer bien près de
la victoire.
Les différentes informations qui suivent sont tirées,
d'une part, d'un ouvrage de Raymund P. DEVAS, "a history
of the island of Grenada, 1498-1796", et d'autre part des
archives conservées au CARAN (série Colonies C/10A/4).
1/ Les événements d'après R.P Devas.
Février 1795 : Charles NOGUES et Pierre LA VALETTE,
nommés capitaines, reviennent de la Guadeloupe, porteurs
de commissions nommant FEDON commandant général des insur-
gés de la Grenade.
La rébellion éclate dans la nuit du 1er au 2 mars.
FEDON et BESSON, avec une centaine de gens de couleur et
d'esclaves, prennent par surprise le Marquis (Grenville);
ils exécutent le père PEISSONIER dont la conduite leur a
paru suspecte. Pendant ce temps, une autre bande d'in-
surgés, guidés par Etienne VENTOUR et Joachim PHILIP,
attaquent Gouyave (Charlotte Town). A noter la présence
parmi eux d'un prêtre catholique, Pascal MARDEL. Le gou-
verneur anglais, Ninian HOME, et son entourage sont faits
prisonniers près de Gouyave.
Dans les semaines qui suivent, les Anglais tentent à
plusieurs reprises de reprendre la situation en main, mais
sans succès. Réduits à la défensive, ils se bornent à
empêcher les insurgés de recevoir de l'aide de la Guade-
loupe. Ils capturent ainsi un navire sur lequel se trouve
un insurgé, Pierre ALEXANDRE, qui sera pendu le 2 mai.
Le 8 mai, les Anglais lancent un assaut général;
c'est un échec complet, dont la seule conséquence est le
massacre par FEDON de 48 prisonniers, dont Ninian HOME.
Les opérations s'interrompent pendant l'été. La fiè-
vre jaune ("bulam fever") fait des ravages chez les An-
glais.
Le 10 octobre, deux bateaux français, le Brutus et le
Républicain, sont pris avec des renforts à bord; néan-
moins, quelques troupes, menées par le citoyen JOSSéE, ont
pu débarquer. Les insurgés passent de nouveau à l'offen-
sive, prennent plusieurs bateaux ennemis; en février 1796,
l'île entière, sauf la capitale, est entre leurs mains.
L'arrivée de renforts britanniques et la désunion qui
règne parmi les insurgés vont mettre un terme à leurs
succès : le 22 mars, le général britannique NICHOLLS
reprend Post Royal Hill. FEDON est blessé lors de cet
engagement.
Le 9 juin, le lieutenant général Ralph ABERCROMBY
fait une tournée d'inspection à la Grenade. Il organise la
suite des opérations. FEDON et ce qui reste de ses troupes
sont encerclés au mont Qua Qua (Morne Fédon ou Fedon's
camp), où ils massacrent à nouveau leurs prisonniers avant
de se rendre. FEDON lui-même disparaît, et son sort reste
un mystère.
La capitulation est signée par JOSSéE le 10 juin
1796. 120 hommes, prisonniers de guerre, sont envoyés en
Angleterre où ils subissent 17 mois de captivité. 38
Français sont exécutés, d'autres déportés sur la côte du
Honduras.
On cite l'histoire d'un certain Jacques CHADEAU, qui
ne fut pris et exécuté qu'en juin 1807, après dix ans de
recherches.
2/ La liste des Français exécutés
Colonies C/10A/4 donne les noms de 29 des 38 Français
exécutés les 6 et 8 juillet 1796.
BARBEROUSSE, âgé de 66 ans
BATARELLE femme et 4 enfants
BEAU Pierre
BONTEMS
BOUCAUD âgé de 60 ans femme et 3 enfants
CHARPENTIER âgé de 62 ans
CHAUTENEL Clovis, de couleur
CLAUZIER Sainte-Marie femme et 6 enfants
DARCOEUIL-CLAUZIER âgé de 80 ans
DELISLE
DESUZE, âgé de 75 ans 6 enfants
DOLABAILLE Alexandre femme et 5 enfants
DOUDUN
DROST femme et 2 enfants
DUMONT Gerbert femme et 4 enfants
FOURTEAU Jean femme et 4 enfants
FURGERIE Charles, de couleur
HOULINGUE femme et 4 enfants
Hypolite, de couleur
LABASTIDE femme et 3 enfants
LABATTE
LORENCY femme et 5 enfants
MARASSE de FAROTTE femme et 5 enfants
MORILLON femme et 5 enfants
le père PASCAL, curé de la Goyave
RALPH Pierre
RAPIERRE Edmond, de couleur
SIBILAQUE femme
VILLAR
3/ Et la prose de Victor HUGUES
La série Colonies C/10A/4 du CARAN contient une série
de messages envoyés de la Guadeloupe aux insurgés de la
Grenade. On y remarque, outre l'habituelle verve caracté-
ristique de Victor HUGUES, la difficulté des relations
avec la Grenade soumise à un efficace blocus anglais, une
relative méconnaissance des événements survenus dans
l'île, et des commentaires amers sur la désunion qui
semble régner parmi les insurgés.
* AUX CITOYENS NOGUET ET LA VALLéE, officiers de la Répu-
blique à la Grenade (25 ventôse III - 15 03 1795)
Courage, frères et amis. Nous avons appris vos premiers
succès sans néanmoins en connaître les circonstances. Nous
expédions Edmond RAPIER avec 8000 cartouches. Nous ne
vous envoyons pas d'argent : LA VALLEE n'a pas encore dû
dépenser les 150 moïdes que nous lui avons remises en
partant. Mettez nous à même de vous secourir plus puissam-
ment, en nous instruisant par l'aviso de ce qui se passe.
Exterminez les Anglais, ils sont les ennemis du genre
humain : point de grâce; non contents de vouloir nous
asservir ils ont eu l'idée de nous faire mourir de faim;
point de quartier, frappez fort. Saint-Vincent et Sainte-
Lucie sont attaqués, bientôt les Anglais le seront par-
tout, il faut que nous en effacions jusqu'au nom.
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Révision 26/08/2003