G.H.C. Bulletin 17 : Juin 1990 Page 143

SAINT-DOMINGUE ET LA GUILLOTINE
Paul Henri Gaschignard

     Dans la liste des guillotinés ayant une relation avec 
Saint-Domingue (GHC n° 14),  aucun  nom  de  guillotiné  à
Saint-Domingue ne figure. Cela vient-il du fait que, à  ma
connaissance, la guillotine ne servit  que  peu  à  Saint-
Domingue ? Ou est-ce le résultat de l'exclusive  portée  à
l'encontre de Saint-Domingue dans le numéro 2  de  février
1989 ? A ce propos : cette exclusive  porte-t-elle  seule-
ment sur ceux qui sont morts à Saint-Domingue ou aussi sur 
ceux qui, originaires de Saint-Domingue,  sont  morts  "en
émigration", aux Etats-Unis, à la Jamaïque ou  ailleurs  ?
Je vois qu'elle ne porte pas, en tous cas,  sur  ceux  qui
sont morts en France  -  au  moins  par  la  guillotine  -
puisque la liste publiée  dans  le  n°  14  mentionne  six
personnes qui, originaires de Saint-Domingue  ou  y  ayant
vécu, ont été guillotinées en France. (1)

     Quoiqu'il en soit, je pense qu'on pourrait ajouter  à
cette liste le nom de Nicolas Henri, comte  de  GRIMOUARD,
né à Fontenay le Comte le 25 janvier  1743,  guillotiné  à
Rochefort le 7 février 1794.
     Capitaine de frégate à l'époque de la guerre d'Améri- 
que, "il se distingua aux Antilles pendant  les  premières
opérations navales de cette guerre (1778-1780)". Blessé et 
pris par les anglais au printemps de 1781 mais échangé peu 
après, il retourna aux Antilles sous l'amiral de GRASSE  à
la prise de Tobago. Puis "il alla croiser sur les côtes de 
Saint-Domingue où, le 17 octobre 1782, il livra un  combat
acharné à une division anglaise"; il reçut alors de  Louis
XVI le titre de comte.

     Après avoir commandé au Sénégal, il revint  aux  îles
Sous le Vent et à Saint-Domingue où,  en  1791,  il  était
chef de la station navale, commandant des  forces  navales
de la partie française de l'île avec le grade  de  contre-
amiral à compter du 1er  janvier  1792.  Aux  prises  avec
l'agitation qui, dès 1790, règna parmi les  équipages,  il
parvint à y maintenir l'ordre. Lors des graves difficultés 
qui, à la fin de 1790, opposèrent les patriotes de Port au 
Prince aux hommes de couleur et aux blancs plus modérés de 
la Croix des Bouquets, au nord de la ville, il  s'entremit
- sans grand succès - entre les parties.
     C'est, en fait, aux gens de  la  Croix  des  Bouquets
qu'allait sa sympathie. Il  considérait,  en  particulier,
que le seul moyen pour les blancs de s'assurer le concours 
des gens de  couleur  pour  empêcher  un  soulèvement  des
esclaves de la Partie Ouest (comparable à celui qui  rava-
geait la Partie Nord) était de leur  accorder  les  droits
politiques qu'ils revendiquaient. "Je regarde  comme  cer-
tain que, si les blancs voulaient agir avec  eux  franche-
ment et ne pas chercher à s'opposer  à  la  jouissance  de
leur nouvelle prérogative,  tout  serait  tranquille  dans
cette partie, les hommes de couleur ne voulant plus  alors
s'occuper que d'arrêter le soulèvement des ateliers qui en 
avaient le projet" (lettre à  THEVENARD,  ministre  de  la
marine, le 15 octobre 1791). Et le 4 décembre suivant,  il
écrivait aux Commissaires nationaux civils arrivés  depuis
peu dans la colonie : "Le  désordre  est  au  comble  dans
cette partie de la colonie. Elle est  perdue  si  vous  ne
vous hâtez de fixer le sort des hommes de couleur".  Atti-
tude qui lui valut  l'hostilité  des  blancs  de  Port  au
Prince, vivement opposés aux revendications  des  gens  de
couleur.
     Rentré en France  à  la  fin  de  1792,  l'amiral  de
GRIMOUARD décida de quitter le service et de se retirer  à
Rochefort; il refusa  le  grade  de  vice-amiral  que  lui
offrait MONGE, alors ministre de la marine. "Dénoncé  dans
les clubs comme  agent  de  l'étranger",  il  fut  traduit
devant le tribunal révolutionnaire de Rochefort,  condamné
et guillotiné le 7 février 1794 (2). Parmi ses accusateurs 
figuraient deux français de Port au Prince,  LIGNIèRES  et
BRUDIEU. Dès le lendemain de l'exécution, le premier écri- 
vait aux "commissaires de Saint-Domingue près  la  Conven-
tion : "GRIMOUARD, vice-amiral, a été (...) condamné à  la
peine de mort, convaincu d'être complice  de  BLANCHELANDE
(lui-même guillotiné à Paris  le  15  avril  1793),  notre
activité a démasqué ce traître...".

     A noter que, dans sa lettre  du  15  octobre  1791  à
THEVENARD, l'amiral de GRIMOUARD  ajoutait  :  "Ne  doutez
pas, messieurs, de tous mes efforts à concourir  (...)  au
salut public quoique je n'aie  plus  rien  à  perdre  dans
cette colonie puisque toute  la  fortune  de  mes  enfants
située au Quartier Morin (à l'est du  Cap)  consistant  en
une portion de sucrerie est entièrement  réduite  en  cen-
dres". Il n'y a pas de GRIMOUARD à l'état civil  du  Quar-
tier Morin, qui ne s'étend que de 1777 à 1790. Je n'ai pas 
poussé plus loin les recherches sur ce point (3).

Sources :
- Biographie universelle.
- Encyclopédie universelle.
- Rapport de GARRAN-COULON au  Corps  Législatif  sur  les
  troubles de Saint-Domingue, tomme III, Paris an VII.
- "L'amiral Henri de GRIMOUARD au Port au  Prince  d'après
  sa correspondance et son journal  de  bord  (mars  1791-
  juillet 1792)", par le vicomte Henri de GRIMOUARD, Paris 
  1937.
- CARAN : D/XXV/3, 69 et 110, Colonies CC/9a/5.  

                          *****

     En ce qui concerne  la  Partie  française  de  Saint-
Domingue, il apparaît que la  guillotine  n'y  a  que  peu
fonctionné, au moins dans les débuts de la Révolution.
     GARRAN-COULON écrit même : "Jamais la guillotine  n'a
été établie à Saint-Domingue  du  temps  des  commissaires
civils". Mais le Père CABON est moins affirmatif  puisque,
pour lui, "les commissaires ne firent pas de la guillotine 
un moyen ordinaire du gouvernement (alors qu')ils se  ser-
virent sans scrupule de la proscription"  (aux  Etats-Unis
ou en France).

     De fait, la présence  de  la  guillotine  à  Port  au
Prince dès novembre 1793 est signalée par l'auteur anonyme 
du "Précis historique des annales de la colonie  française
de Saint-Domingue" selon lequel un économe-gérant de l'ha- 
bitation MICHAUX, de la plaine du Cul de Sac (près de Port 
au Prince), nommé PELON, qui avait menacé de son fusil  un
nègre de l'habitation fut condamné par la Cour martiale  :
le 19 novembre 1793 "il tomba sous le couteau de la  guil-
lotine que MONTBRUN (4) par les ordres de POLVEREL,  avait
fait élever sur la place du marché, en vue  de  la  maison
qu'il occupait".
     De même, l'auteur, également anonyme,  du  "Cri  d'un
colon de Saint-Domingue contre les prétentions électorales 
de M. le lieutenant  général  MAYNAUD,  comte  de  LAVEAUX
(...)" mentionne-t-il "la guillotine  élevée  au  Port  au



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Révision 26/08/2003