G.H.C. Bulletin 7 : Juillet-Août 1989 Page 52
Les "lettres de famille CHAUVITEAU"
E. Boëlle
Il s'agit d'un ensemble très important de lettres et
de documents dont une partie des courriers familiaux a été
publiée, à une date inconnue, chez Dumoulin et Cie, 5 Rue
des grands Augustins à Paris, sous le titre "1797-1817;
Lettres de Famille; retrouvées en 1897".
Bien que comportant 228 pages, cet ouvrage n'est
qu'une faible partie de l'ensemble conservé par les
descendants et que j'ai entrepris d'exploiter.
Pour mieux comprendre cet ensemble de lettres de
famille et en goûter le charme un peu désuet, il est bon
de retracer le cadre général dans lequel elles ont été
écrites.
En 1797 nous trouvons à Providence, petite ville
américaine proche de Boston, un couple de français, agés
d'environ 50 ans : Joseph CHAUVITEAU et sa femme Sophie,
née BIOCHE.
Ils se sont réfugiés là depuis quelques années, ayant
quitté la Guadeloupe vers 1794 (date plus vraisemblable
que 1788, indiquée dans la préface), fuyant les troubles
dus à la Révolution et aux guerres avec l'Angleterre, se
retrouvant avec un certain nombre de familles françaises
dans la même situation.
Ils étaient réfugiés là avec 3 de leurs enfants,
Jean-Joseph dit le plus souvent "Salabert", on ne sait
pourquoi, âgé de 22 ans, Hilaire dit "Chalon", du nom
d'une ancienne propriété des CHAUVITEAU en Vendée, âgé de
16 ans, et leur soeur Sophie dite "Toute", âgée de 21 ans.
Cette dernière est la primesautière de la famille,
écrivant en vers, morigénant gentiment père, frères et
amis.
Ils avaient laissé à la Guadeloupe le fils aîné
Louis, âgé de 23 ans, surnommé "CHAUVITEAU", à charge pour
lui de débrouiller et conserver au mieux les intérêts
qu'ils avaient sur place (une grande maison, des intérêts
dans le commerce du sucre), le tout en crise à cause des
événements.
Louis, contrairement aux autres enfants, semble faire
la désolation de ses parents, à la fois par un mariage
avec une personne jugée indigne et par sa négligence
générale.
Ils avaient également laissé à la Guadeloupe la
soeur de Mme CHAUVITEAU : Mme GUENET née BIOCHE, dont le
fils Antoine est le plus souvent appelé "Solange", et qui
réside au Moule. Il épousera ultérieurement sa cousine
Sophie.
De plus deux frères de Mme CHAUVITEAU : Hilaire et
Jean-Baptiste BIOCHE habitaient dans l'île de la Domini-
que, antille anglaise située entre Guadeloupe et Martini-
que, et qui n'avait été colonisée qu'au 18° siècle,
restant longtemps sans être attribuée.
Joseph CHAUVITEAU venait lui-même de la Dominique où
il était né avant de s'installer à la Guadeloupe.
Enfin un frère de Joseph CHAUVITEAU, Louis, habitait
Rivière Pilote, à la Martinique.
Tous vivaient avec beaucoup de difficultés et
d'inquiétudes. Le courrier était assuré par des bateaux de
commerce, mais certains étaient pris par les Anglais ou
les corsaires. Il fallait souvent compter plusieurs mois
et l'envoi de plusieurs exemplaires eventuellement identi-
ques pour arriver à ce qu'une partie de ce courrier arrive
à destination.
Joseph CHAUVITEAU, malgré ses plaintes répétées,
semble arriver à garder une certaine aisance dans son
émigration, arrivant malgré tout à faire quelque négoce
sur le sucre ou autre.
Nous trouvons en 1797 la famille n émoi. Salabert,
l'espoir de la famille, vient de partir pour La Havane où
il travaillera dans une maison de commerce appartenant à
M. HERNANDEZ dont il épousera dans quelques années la
belle-soeur.
On lui écrit avec mille recommandations sur sa santé,
on lui donne des nouvelles de Providence; on commente les
nouvelles de France, chacun espérant bien pouvoir y
retourner un jour.
Salabert se révèle un excellent homme d'affaires,
avisé, travailleur, sachant parler et écrire français,
anglais et espagnol. Il va réussir et, du coup, se dévouer
pour sa famille. En effet dès 1798, il fait venir auprès
de lui son jeune frère "Chalon" pour le mettre au travail
avec lui, et un peu plus tard son cousin "Solange" GUENET,
dans la même intention.
Pendant ce temps là, en 1799, les parents CHAUVITEAU
changent de maison à Providence, tout en souhaitant
repartir pour la France : les Etats-Unis sont décidement
bien froids pour des habitués des Antilles. Des amis leur
écrivent de France pour leur donner des nouvelles fraîches
(Vendée, Bonaparte). En 1801 Chalon retourne à New-York
voir ses parents. La paix semble proche, on se remet à
voyager. Salabert va, lui aussi, à New-York en début 1802.
A ce moment-là on apprend le décès brutal à la
Martinique du frère aîné Louis CHAUVITEAU. Il a du être
tué en duel, peut-être à cause de sa femme, mais nous ne
savons rien de cette affaire.
Son père et son frère Salabert se trouvent à la
Martinique. Toute la famille, Mme GUENET au Moule, les
deux frères BIOCHE à la Dominique, écrit à Salabert pour
lui exprimer leurs regrets et lui donner quelques nouvel-
les fraîches sur leur vie.
Mais, grande nouvelle, Salabert annonce qu'il va se
marier à La Havane avec Serafina ALOY, espagnole, belle-
soeur de son associé HERNANDEZ. Du coup sa soeur Sophie
repense à son cousin GUENET qu'elle n'a pas revu depuis
quatre ans, depuis qu'il est parti à La Havane et pour
lequel elle a gardé une tendre inclination. C'est récipro-
que et cela va finir par un double mariage...
Entre temps Joseph prolonge son séjour aux Antilles,
va rendre visite à sa famille à la Guadeloupe, reprend
espoir; les émigrés commencent à rentrer en France... Il
se débat pour essayer de tirer parti des biens qu'il a
conservé à la Guadeloupe, en particulier une grande
maison, utilisée comme préfecture et qu'il appelle "la
grande auberge", mais dont nous ne connaissons rien.
En septembre 1802 il repart pour New-York accompagné
de sa belle-soeur Mme GUENET et de la fille de celle-ci,
Mme VALLEE. La traversée est rude (ou les dames de cette
époque ont facilement des vapeurs). Il est obligé de
laisser au passage à Antigue (petite antille britannique)
Mme GUENET et sa fille, et arrive au bout de deux mois de
voyage à New-York.
En février 1803 on fète le mariage de Sophie et
Solange, ce qui amène à parler argent, les comptes étant
exprimés en "gourdes" qui étaient en fait le dollar. Au
passage on annonce que Bonaparte va être Empereur.
Hélas, la guerre à nouveau menace, elle va éclater en
juillet 1803, les parents déménagent et vont s'intaller
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