G.H.C. Bulletin 3 : Mars 1989 Page 17
Les députés des îles à la Constituante
Le 27 juillet 1790 un décret de l'Assemblée Constituante
permet aux deux députés élus à Paris et aux trois élus en
Guadeloupe d'être définitivement admis à siéger.
Tous ces députés ne représentaient que les blancs et
bien qu'acquis aux idées nouvelles ils restaient partisans
de l'esclavage et ne pouvaient admettre que les mulâtres
et les noirs libres, comme eux propriétaires, cultiva-
teurs, artisans etc... , participant à toutes les charges,
puissent avoir une existence civile, juridique et légale.
Dès le 22 octobre 1789 les mulâtres de Paris avaient
demandé à siéger. Dix d'entre eux conduits par M. de JOLY
furent reçus par le Président qui les assura de sa sympa-
thie, leur accorda les honneurs de la séance mais on en
resta là.
L'abbé GRéGOIRE dans un "mémoire en faveur des gens de
couleur" demandait leur assimilation totale et l'admission
provisoire de cinq députés, en attendant de nouvelles
élections auxquelles participeraient tous les gens libres,
sans distinction de couleur. Le temps passant et rien ne
se décidant en leur faveur certains mulâtres pensèrent que
le recours aux armes était la seule solution; parmi eux
OGé qui devait payer de sa vie l'echec de l'insurrection à
St Domingue.
Malgré l'influence prépondérante des membres du Club
MASSIAC, malgré les atermoiements, les renvois, les procé-
dures les plus compliquées, en un mot l'obstruction, il
fallut bien en venir, si la Déclaration des Droits de
l'Homme avait un sens, à une reconnaissance des droits des
hommes de couleur libres. Ce fut chose faite lors des
séances de la première quinzaine de mai 1791.
MOREAU de SAINT MERY dès le 7 mai déclarait "j'ai enten-
du parler ici de la Déclaration des Droits de l'Homme. Eh
bien si vous voulez la Déclaration des Droits de l'Homme
quant à nous il n'y a plus de colonies". Il s'élève de
violents murmures.
Le 13 mai ce fut la célèbre déclaration de ROBESPIERRE
si souvent dénaturée. Répondant à divers orateurs qui
discutaient l'article 1 du décret, Robespierre dans une
longue tirade qui suscite des mouvements divers déclare :
"Périssent les colonies si les colons veulent par des
menaces nous forcer à décréter ce qui convient le plus à
leurs intérêts! Je déclare au nom de l'Assemblée...., au
nom de ceux des membres de cette Assemblée qui ne veulent
pas renverser la Constitution, au nom de la Nation entière
qui veut être libre, que nous ne sacrifierons aux députés
des colonies ni la nation, ni les colonies ni l'humanité
entière!" Pour la première fois, au milieu d'une certaine
agitation, RAYMOND, un homme de couleur, intervient à la
barre de l'Assemblée le 13 mai. Enfin le 15 mai un décret
bien timide, sur lequel la Constituante reviendra en
septembre 1790, décide que "les gens de couleur nés de
père et de mère libres, seront admis dans toutes les
assemblées paroissiales et coloniales futures, s'ils ont
d'ailleurs les qualités requises" (la salle retentit
d'applaudissements).
C'est ce texte qui va causer la démission des députés de
St Domingue, Martinique et Guadeloupe. Dès le lendemain
les députés de la Guadeloupe écrivent et signent la lettre
qui suit. Celles des députés de la Martinique et de St
Domingue seront presque identiques.
Quels étaient ces députés? D'où venaient-ils?
C'est ce que nous essaierons de voir lors de prochains
articles.
**************
Monsieur le Président.
Le décret que l'Assemblée Nationale a rendu concernant
les hommes de couleur libres nous met dans la nécessité de
nous abstenir de ses séances. Inviolablement attachés à
l'intérêt de nos commettants et à celui de la Nation nous
en servirons mieux l'un et l'autre. Si la Guadeloupe s'est
rendue recommandable par l'obéissance aux décrets du corps
législatif et par une confiance aveugle dans ses pro-
messes, si elle a eu le bonheur de conserver la paix
intérieure malgré les orages qui l'ont environnée, nous
osons croire que l'assiduité de nos soins y a concouru.
Nous ne cesserons pas dans les circonstances imprévues et
critiques où cette colonie va se trouver de remplir à cet
égard le devoir de français et de citoyen.
Nous vous prions, Monsieur le Président, de vouloir bien
faire part de nos dispositions à l'Assemblée Nationale.
Nous sommes avec respect
Monsieur le Président
vos très humbles et très obéissants serviteurs
Les députés de la Guadeloupe
Paris ce 16 mai 1791
signé : COQUILLE, NADAL de SAINTRAC, CHABERT de
LACHARRIèRE, GALBERT, de CURT.
Lu à la séance du dit jour 16 mai.
La lettre de la Martinique est signée MOREAU de St MERY
et A. DILLON; celle de St Domingue : Louis Marthe de GOUY,
REYNAUD, de VILLEBLANCHE, PERRIGNY, GéRARD.
Sources :
"Les Constituants" A. Brette B.N. 8 Le 26 33A.
"Convocation des Etats Généraux" A. Brette B.N. usuels
N185
Archives parlementaires A.N. usuels tome 6 page 235 art. 9
Le Moniteur universel B.N. usuels mai 1791 page 390 à 404
A.N. B III 159 pages 513 et suivantes; C30 dossier 247;
C70 dossier 683 (Guadeloupe)
Mémoire en faveur des gens de couleur et des sang-mélés de
St Domingue et des autres îles françaises de l'Amérique
par M. Grégoire, curé d'Emberménil, député de Lorraine.
B.N. LK 9 70
TROUVAILLES
Mme. Huguette VOILLAUME nous a communiqué un article paru
dans le n° 76, Novembre 1986 (20frs), de la revue
"Archistra" 42 Rue Capus, 31400 Toulouse, "Un petit fils
de Karl Marx repose au coeur des Pyrénées" de M. Robert
Molis.
Il s'agit de Marc Laurent LAFARGUE, o 31 1 1871 Bordeaux
dont l'ascendance paternelle fait apparaître les noms de
LAFARGUE (St Domingue et Cuba), ARMAIGNAC (St Domingue, la
Jamaïque et Cuba), TRIPIE (St Domingue) et PIRON (St
Domingue). Son père, le docteur Paul LAFARGUE, né à Cuba,
épousa Laura MARX fille cadette de Karl.
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