G.H.C. Bulletin 3 : Mars 1989 Page 16
Les députés des îles à la Constituante
Pierre Bardin
On ne peut que rester songeur et irrité de l'absence
quasi complète de l'Outre-Mer, à l'époque "les colonies",
et plus particulièrement des Antilles dans la commémora-
tion de la Révolution Française et dans les différentes
célébrations du bicentenaire : livres, revues, éditoriaux,
parutions littéraires en tous genres, émissions de télévi-
sion, représentations théâtrales ou musicales.
Cela en dit long sur le désintérêt voire la méconnais-
sance de l'importance économique et commerciale qu'avaient
pour la France "les isles à sucre" au XVIIIè siècle.
Pourtant l'influence des îles était telle au plus haut
niveau du royaume, par l'intermédiaire des grands colons,
que l'un des futurs députés GOUY d'ARCY pourra dire à
Louis XVI "Sire votre Cour est créole". Quant à l'impact
de la Révolution, des idéaux imaginés, et des répercus-
sions sur la vie économique et sociale aux îles de la
"Déclaration des Droits de l'Homme", leur exégèse n'est
pas encore terminée et donne lieu à bien des controverses
chez les spécialistes. Un fait est sûr : ils aboutirent,
même provisoirement, à l'abolition de l'esclavage et à
l'indépendance puis à la création de la première Républi-
que noire du Monde : Haïti.
Nous allons évoquer ici les députés qui furent désignés
pour participer aux travaux de la première Assemblée
Nationale dite aussi Constituante. Pour nous en tenir au
titre de cette revue les députés seront ceux de St Domin-
gue, Martinique et Guadeloupe. La Guyane n'eut pas de
député à la Constituante et à la Législative.
Nous donnerons dans un prochain numéro la liste des
suppléants qui furent beaucoup plus nombreux.
Deux remarques s'imposent avant toute chose :
a) S'il est vrai que le nom de "député" prend son sens
actuel avec la première Assemblée Révolutionnaire, il
n'est pas nouveau : des députés étaient élus par les
colonies pour représenter les "habitants" auprès du Con-
seil du Roi, des compagnies ou des cours européennes;
ainsi Robert DESHAYES, capitaine de milice à la Guade-
loupe, est député de cette colonie à la Cour de Londres en
1759 puis à Paris en 1765.
b) Dans le texte de convocation des Etats Généraux le 8
août 1788, aucun article ne permet aux colonies d'être
présentes. Elles sont oubliées. Pire, les responsables de
cette convocation sont contre leur présence.
Les colonies vont réagir. A St Domingue le gouvernement
invite les habitants à exprimer leurs doléances. (Les
habitants étant uniquement les blancs). A l'exception du
Nord de St Domingue il n'y eut pas de cahiers de doléances
comme ceux des provinces de France. Une délégation d'envi-
ron 20 personnes fut envoyée à Versailles.
La Martinique et la Guadeloupe procédèrent, tant sur
place que dans les Comités séant à Paris, à des élections,
pour avoir des représentants à l'Assemblée Nationale.
Le 26 février 1789 l'Assemblée Coloniale de la Guade-
loupe demande "si dans les circonstances où les Etats
Généraux du Royaume vont être assemblés, il ne serait pas
avantageux à la colonie d'y être représentée. Il a été
arrêté que la colonie devait solliciter cette faveur et
qu'en conséquence, MM. du Comité seraient chargés de rédi-
ger un mémoire à cet effet qui devrait être adressé au
ministre". 35 personnes ont signé parmi lesquelles :
CLUGNY, LE COINTRE de BERVILLE, FOULLON d'ECOTIER, BOYER
de LETANG, GODET, CHABERT de LA CHARRIèRE etc...
St Domingue "la perle des Antilles" voit sa délagation,
après une bataille juridique, admise par la commission de
vérification à être représentée. Paradoxe : bien que com-
posée de nobles, la noblesse la refuse et c'est le bureau
du Tiers Etat qui la reçoit, permettant au députés de St
Domingue d'être présents le 20 juin 1789 pour le "Serment
du Jeu de paume".
A l'Assemblée Constituante, Saint Domingue présente 12
députés et en demande 20. MIRABEAU s'y oppose arguant
qu'ils ne sont que les représentants des blancs.
La Société des Amis des Noirs abonde dans ce sens, alors
que les membres du club MASSIAC sont hostiles à toute
nomination de députés de couleur. Résultat : St Domingue
n'aura que 6 députés :
2 pour la province de l'Ouest : COCHEREL et GOUY d'ARCY
2 pour la province du Nord : THéBAUDIèRES t LARCHEVêQUE-
THIBAUD
2 pour la province du Sud : TAILLEVIS de PERIGNY et GéRARD
La Martinique aura 2 députés élus par le Comité de
Colons séant à Paris : Arthur DILLON et Médéric Louis Elie
MOREAU de SAINT MERY.
Ils seront admis à siéger le 14 octobre 1789.
La Guadeloupe aura deux députés élus à Paris par "l'as-
semblée de MM. les habitans et propriétaires dans la
colonie de la Guadeloupe tenue le 25 septembre 1789...Les
scrutins levés et vérifiés par les commissaires nommés à
cet effet, M. de CURT a été nommé premier député à une
très grande majorité et il a accepté... Pour le choix du
second député M. le marquis de DAMPIERRE a réuni en sa
faveur la grande majorité mais il a observé qu'obligé de
s'absenter pour des affaires importantes il priait l'as-
semblée d'accepter sa démission". L'assemblée exprime ses
regrets, procède à un troisième scrutin et M. de GALBERT
réuni le maximum de voix. L'Assemblée Constituante ayant
décidé le 22 septembre que deux députés représenteraient
la Guadeloupe, MM. Louis de CURT et Gaspard vicomte de
GALBERT vont siéger à titre provisoire car des contesta-
tions s'élèvent avec les habitants qui décident d'élire
leurs députés représentant les trois sénéchaussées de
Basse-Terre, de Grande Terre et de Marie Galante. "Il a
été reconnu nécessaire de désapprouver l'établissement
actuel des représentants de la colonie à Paris, et leurs
démarches, en ce qu'elles pourraient avoir de préjudi-
ciable aux intérêts de la colonie et que cependant il
serait fait à ce comité une adresse de remerciements pour
le zèle qu'ils ont bien voulu manifester".
Ces députés élus par l'Assemblée tenue au Petit-Bourg le
9 décembre 1789 sont :
Sénéchaussée de la Basse-Terre : Hilaire François CHABERT
de LA CHARRIèRE
Sénéchaussée de la Grande Terre : Jean NADAL de SAINTRAC
Sénéchaussée de Marie-Galante : Robert COQUILLE
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