Cet article a été publié dans Les trésors du patrimoine créole, éditions de l'Arsenal, Paris, 1995, ISBN 2-910470-11-3, à l'occasion des manifestations du " Printemps créole ".
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C'est avec les îles que Christophe Colomb et l'Europe eurent le premier contact historiquement prouvé avec l'Amérique. Ces îles qui se situaient avant le continent furent donc les Ante-islas ou Antilles.
On distinguait les îles du vent, les premières que rencontrait un navigateur venant d'Europe, et les îles sous le vent, en particulier Saint Domingue.
A l'heure actuelle, sous l'influence des USA, on parle des îles de la mer caraïbe par référence aux habitants qui, avec les Taïnos et les Arawaks, peuplaient alors ces îles.
Ce n'est qu'au XVIIe siècle que la France put commencer à s'établir aux Antilles malgré le traité de Tordesillas qui partageait les terres nouvelles entre l'Espagne et le Portugal, à l'exclusion de toutes les autres nations.
A la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe certaines expéditions furent montées, en particulier par des Normands, vers les Amériques, ou comme l'on disait alors vers La Mérique. Ce ne furent que des voyages "privés" soit pour le commerce soit pour piller convois et villes de l'Amérique espagnole. La recherche de l'or mais aussi la plantation et le commerce de produits exotiques tels que le tabac ou les teintures entraînaient des voyages longs, périlleux et quelquefois lucratifs.
De nombreuses "chartes parties", ou contrats d'association, conservées dans les archives de Normandie témoignent de ces expéditions. Une expédition de flibustiers partie du Havre en 1618 finit lamentablement à la Martinique où les caraïbes accueillirent et nourrirent les survivants.
C'est en 1625 que Richelieu créa, avec quelques associés parisiens, la "Compagnie de Saint Christophe" qui avait pour objet d'exploiter la moitié de l'île de St Christophe, aujourd'hui St Kitts. Son gouvernement en était confié à Belain d'Esnambuc, un normand qui n'avait pas réussi dans la flibuste.
Partagée entre Anglais et Français cette île eut une vie mouvementée et finit par être cédée en 1713 à l'Angleterre qui avait déporté ses habitants français d'une façon horrible, séparant les membres d'une même famille pour qu'ils ne puissent pas se retrouver ni revenir.
En 1635 alors qu'un riche habitant de St Christophe, L'Olive s'associe à Duplessis et à des marchands normands pour coloniser la Guadeloupe, le gouverneur de St Christophe, Poincy, envoie l'un de ses neveux, Duparquet, coloniser la Martinique.
La "Compagnie de St Christophe" se transforme en "Compagnie des Isles d'Amérique" et obtient le monopole du commerce avec les Antilles.
En 1649, la Compagnie des isles d'Amérique ayant fait faillite chaque île est revendue.
St Christophe est achetée par l'ordre de Malte dont Poincy était commandeur, la Guadeloupe par Houël et son beau-frère Boisseret, la Martinique par Duparquet. C'est alors le temps des "seigneurs propriétaires" qui est raconté par le père Dutertre, dominicain, dans son "Histoire Générale des Antilles habitées par les Français", parue en 1667.
L'année 1665 marque un autre tournant historique :
Louis XIV, ou plutôt Colbert, décide de créer une "Compagnie des Indes occidentales" qui rachète les îles à ses seigneurs; c'est une quasi-expropriation.. Houël et les enfants Boisseret sont d'ailleurs réexpédiés en France de force. Cette deuxième compagnie fait faillite à son tour en 1674 et les colonies sont réunies au domaine royal.
Ces cinquante premières années de colonisation marqueront profondément les mentalités:
Les guerres avec l'Espagne, l'Angleterre et la Hollande apprennent aux habitants à se défendre seuls, la France étant loin et elle-même occupée sur le continent européen.
La guerre de course, avec sa codification plus ou moins floue, est un moyen de faire fortune pour les nombreux corsaires, flibustiers ou même forbans. L'île de la Tortue, dès 1625, sera la base où se retrouveront des aventuriers de tous pays et de toutes conditions dont la légende se répandra partout occultant souvent le travail dangereux, ingrat et utile des premiers colons.
Aventuriers, ces premiers habitants l'étaient tous car il fallait aimer l'aventure pour entreprendre un voyage qui pouvait durer plusieurs mois et dans des conditions très pénibles.
A l'incurie des différentes compagnies successives qui provoquaient famines et révoltes s'ajoutaient, les guerres avec les caraïbes, les maladies, les cyclones etc.
L'attrait de la richesse était probablement un moteur puissant mais parmi ces "engagés" qui signaient un contrat de trois ans pour 300 livres de "pétun" (tabac) combien ont survécu? Combien ont fait fortune ? Combien se sont fait prendre par la publicité, déjà enchanteresse, sur les pays au climat merveilleux ?
Si le début de la colonisation a vu la prépondérance de la culture du tabac ou de l'indigo, les dernières années du XVIIe siècle et le XVIIIe ont vu l'explosion de la culture de la canne à sucre.
Les hollandais réfugiés du Brésil dont ils avaient été chassés en 1656 se réfugient en Martinique et principalement en Guadeloupe avec leurs esclaves et la connaissance de la culture de la canne ainsi que de la fabrication du sucre.
Dès lors une profonde transformation se fera aux Antilles car l'apport massif d'esclaves transformera une société où les engagés et petits colons n'ont plus leur place et la grande propriété prendra le pas sur la petite habitation.
La dépendance envers la métropole, seule autorisée au commerce du sucre et à son raffinage par la loi de l'exclusif qui interdit tout commerce avec l'étranger, sera complète.
Les ports tels que Nantes, Bordeaux ou, plus tardivement Marseille, profiteront d'un monopole qui liera leur destin aux Antilles.
Le Père Labat, si célèbre aux Antilles, assistera à cette transformation et la racontera avec une verve qui en fait le plus connu de nos chroniqueurs et probablement le plus réédité.
Le gouverneur et l'intendant représentaient le pouvoir royal, l'un dans le domaine militaire et l'autre dans le domaine financier et législatif. N'étant pas soumis l'un à l'autre ils se feront souvent une guerre larvée dont les bureaux du ministère de la marine (ce n'était alors ni les colonies ni les DOM-TOM) seront les arbitres. La mésentente pouvait s'étendre aux habitants et en 1717 les Martiniquais n'hésitèrent pas à rembarquer gouverneur et intendant. Le Conseil Souverain qui se composait des principaux propriétaires avait un pouvoir judiciaire et législatif en ce qui concernait l'île dans laquelle il siégeait.
Chaque quartier, (on ne parlait pas de commune), possédait une milice formée de ses habitants et commandée par un capitaine de milice qui était, en règle général, l'un des propriétaires les plus riches.
Si les petites îles et la Guyane restent habitées par de petits propriétaires demeurant en majorité sur leur habitation, une grande partie de Saint Domingue française, futur Haïti, est aux mains de géreurs d'habitations dont les propriétaires résident souvent en France. Le poids économique et donc politique de Saint Domingue ne cesse de croître. La cour de Louis XVI comprendra un grand nombre de créoles, car la noblesse plus ou moins désargentée n'hésitera pas à faire un "beau mariage" avec une riche héritière dominguoise.
Les maîtres envoyaient certains de leurs esclaves se former en France et des communautés d'affranchis, malheureusement mal connues, vivaient dans les grandes villes telles que Paris, Bordeaux, Nantes et Marseille.
Sur place restent, entre autres, des descendants des premiers boucaniers qui vivaient par deux, partageant tout et héritant l'un de l'autre. Ils doivent leur nom au boucan, sorte de claies sur lesquelles ils fumaient la viande des boeufs et cochons sauvages qu'ils tuaient. N'hésitant pas en temps de guerre à rejoindre les flibustiers pour de plus ou moins fructueuses expéditions ils se feront une réputation de courage et d'indocilité amplement méritée.
Oexmelin nous a laissé un récit de son séjour parmi eux qui, lui aussi, a connu de nombreuses rééditions.
Toute cette richesse repose sur le travail des esclaves regroupés par atelier. Un atelier pouvait comprendre plusieurs centaines d'esclaves créoles, donc nés aux îles, ou bossales, c'est à dire nés en Afrique. "Biens meubles", ils n'avaient aucun droit et il arrivait que les membres d'une même famille soient vendus séparément. Dès 1687 le code noir avait pourtant codifié les rapports de maîtres à esclaves pour éviter des abus cruels.
Cette population, de loin la plus nombreuse, puisque les recensements la montrent de 3 à 10 fois plus nombreuse que celle des blancs et des mulâtres, reste très mal connue.
Peu de documents de cette époque peuvent nous donner une idée précise de la vie des esclaves. Des historiens se sont efforcés d'en reconstituer tout ou partie mais quelquefois en projetant leurs propres idées modernes.
Cette longue période qui s'étend des années 1670 à la Révolution connut de nombreuses guerres entre les états européens. Pointe à Pitre doit sa naissance à l'occupation anglaise de 1759 à 1763.
La période qui s'étend de 1790 à 1802 marqua une fracture entre les îles.
Pendant que la Guadeloupe défendait seule en Amérique les idéaux les plus durs de la Révolution, aidant de ses faibles moyens la Guyane, la Martinique restait dans l'ordre ancien en se gardant au Roi sous la domination anglaise.
Saint Domingue, à travers une révolution sanglante, gagnait son indépendance.
On assiste de 1789 à 1792 à une lutte politique intense entre les différents acteurs antillais.
Des représentants en France des propriétaires blancs siègent à l'Assemblée Constituante.
Avec l'aide de personnalités telles que l'abbé Grégoire, Robespierre et Rebwell, les hommes de couleur libres obtiennent l'égalité des droits en 1790 et 1792. Enfin le 4 février 1794 la Convention "déclare aboli l'esclavage des nègres dans toutes les colonies".
Sonthonnax, commissaire envoyé à St Domingue par la Convention n'avait pas attendu ce décret et avait procédé à l'affranchissement dès le mois d'août 1793. (2)
C'est le premier document officiel en créole que l'on possède :
"Toute nègues & milates, qui zesclaves encore, nous déclaré io toute libe. Io gagné même droit que toutes les autes citoyens Français; mais, io va suive zordonnance que nous va fait."
A la Guadeloupe et à la Martinique la lutte se déroule à deux niveaux :
- "Patriotes" contre royalistes. Les premiers étant principalement constitués par les citadins : commissionnaires, commerçants et artisans des ports de St Pierre, de Basse-Terre ou de Pointe à Pitre; les seconds par les habitants propriétaires.
- Gens de couleur libres contre les précédents. En fonction des "alliances" ils se trouveront partagés entre les deux camps.
Ces luttes fratricides vont provoquer des émigrations et des expulsions qui touchent toutes les classes de la population en fonction du camp qui triomphe. Tantôt les Royalistes expulsent les Patriotes, tantôt c'est le contraire.
Au fil des archives de nombreuses villes de métropole on trouve des documents sur ces "réfugiés des colonies" à qui étaient octroyés des secours.
L'année 1794 scelle la séparation de la Guadeloupe et de la Martinique :
Les Anglais s'emparent de la Martinique (23 mars) qui restera sous leur contrôle jusqu'en 1802, donc sans appliquer les lois de la Révolution.
La Guadeloupe, d'abord conquise elle aussi par les Anglais (20 avril),sera vite reprise (2 juin) par les Français et connaîtra sous Victor Hugues un régime que certains qualifient de terreur mais qui a aussi été une grande page de gloire dans la lutte contre l'Angleterre alors maîtresse des mers. Ce régime durera jusqu'en 1798 où Victor Hugues sera rappelé en France pour ensuite être nommé en Guyane où... il rétablira l'esclavage.
Nombreux furent alors les anciens esclaves qui se couvrirent de gloire sur les bateaux corsaires qui furent seuls à permettre à la Guadeloupe, coupée de la métropole, de survivre.
C'est à cette époque que la Guyane sera utilisée comme terre de déportation dont l'étiquette la poursuivra jusqu'à Kourou.
Bien d'autres Antillais se rendirent célèbres. Outre Joséphine on peut citer Dugommier, général de la République, mort au champs d'honneur tout comme Pelage; le chevalier de St Georges, grand musicien.
La Guadeloupe et Saint Domingue qui avaient participé activement à la Révolution durent subir cruellement "le retour à l'ordre ancien".
On connaît pour St Domingue l'échec de l'expédition Leclerc, la détention de Toussaint Louverture et les révoltes qui conduisirent à l'indépendance.
A la Basse-Terre de la Guadeloupe la révolte de Delgrès se termina tragiquement dans un suicide collectif (28 mai 1802). A Pointe à Pitre Ignace et ses partisans furent exterminés.
Les gouvernements de Louis XVIII, Charles X et Louis Philippe ne font évoluer que très lentement l'administration des colonies.
Si la traite est abolie en 1817, il faudra attendre 1831 pour que le contrôle effectif de cette interdiction soit effectif.
Les hommes de couleur obtiennent en 1830 les mêmes droits que les blancs.
Il faut attendre la seconde République pour que les mouvements de plus en plus puissants en faveur de l'émancipation puissent triompher. Si Schoelcher reste la figure la plus connue il ne faut pas oublier des personnages tels que Bissette ou Tocqueville.
En ce même début du XIXe siècle l'introduction progressive du sucre de betterave et la protection dont celui-ci profitera feront décliner l'importance du sucre de canne et partant l'économie antillaise en souffrira profondément.
Privés de main d'oeuvre les propriétaires utilisent des "travailleurs libres" venus par bateaux entiers de l'Inde, d'Afrique ou même de Chine.
La grande propriété cède la place à l'Usine, le plus souvent contrôlée par des capitaux métropolitains. Mais l'essor du sucre de betterave, les difficultés de reconversion à d'autres plantations ne favorisent pas la paix sociale qui est elle-même perturbée par des luttes politiques intenses.
Lors de la première guerre mondiale, de nombreux Antillais et Guyanais sont tombés sur tous les champs de bataille d'Europe sous le drapeau tricolore et ce n'est qu'à l'issue de la deuxième guerre que le statut de département fut donné. C'était reconnaître par là que l'histoire des Antilles, de la Réunion et de la Guyane était aussi longue et glorieuse que celle de bien des provinces de métropole.
Le généalogiste, ou comme il est appelé maintenant, l'historien des familles, est toujours surpris lorsque au cours de ses recherches sur les Antilles, la Guyane ou la Réunion, il lui arrive de trouver des ancêtres de toutes les nations et de tous les continents :Anglais, Irlandais, Suisses, Espagnols, Italiens, Allemands, Hollandais... mais aussi parfois des turcs et... des Caraïbes. L'Afrique est représentée par les Ibos, Congos, Ouolofs, Aradas, etc., originaires de la côte occidentale du Sénégal et du Congo.
De même les colons sont venus de toutes les provinces de métropole et si, du fait du premier peuplement normand qui a influencé le fonds culturel d'une façon indélébile comme à Saint Barthélemy, on croit qu'ils étaient tous normands cela est à placer au musée des légendes.
De même les femmes de mauvaise vie, les cadets de familles nobles ayant eu une mauvaise affaire, les escrocs, gens de sac et de corde sont autant de légendes que bien peu peuvent prouver mais qui sont colporté avec délectation par de pseudo historiens en mal de sensationnel. Et pourtant n'y a-t-il pas mieux à dire de ceux qui vivent aux Antilles, en Guyane, à la Réunion et de tous ceux qui sont fiers d'être créoles de naissance ou de tradition ?
La richesse de l'histoire et des hommes qui l'ont faite est une source inépuisable de découvertes et d'admiration. Le nom de créole qui désigne dès le début ceux qui sont nés aux îles d'ascendance non américaine, blancs, noirs ou animaux, est beaucoup plus riche que béké ou afro-caraïbe.
Philippe Rossignol
Président de l'association "Généalogie
et Histoire de la Caraïbe"
81 rue des Trois Territoires
94120 Fontenay sous Bois
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