G.H.C. Bulletin 93 : Mai 1997 Page 1970

Apport du créole au français
Guy Stéhlé

     Il est évident qu'aux Antilles,  bon nombre de termes 
sont  issus  du français;  d'autres trouvent leur  origine 
dans la langue anglaise,  comme le "Say bot" (une sorte de 
buffet en Martinique) qui dérive en droite ligne de  "side 
board",  ou dans l'espagnol ou le portugais. Ainsi, le mot 
"ych"  (enfant  en Martinique) serait issu de  "hijo".  On 
pourrait  multiplier  les exemples avec  d'autres  langues 
européennes, y compris le néerlandais.
    Par contre on sait moins que beaucoup de mots utilisés 
dans  nos Iles sont passés de là dans la langue française, 
grâce aux écrits des chroniqueurs,  missionnaires le  plus 
souvent,   ou  plus  simplement  par  l'utilisation  qu'en 
faisaient  les marins ou commerçants et planteurs qui  les 
véhiculaient  d'une île à l'autre ou les utilisaient  dans 
leur correspondance avec l'Europe.
     Dès 1492,  les Espagnols s'installent à  St-Domingue, 
les  Portugais les suivent de près au Brésil et,  dès  les 
XVIe  et  XVIIe  siècles,  bien  avant  les  colonisations 
française  et anglaise,  beaucoup de bateaux marchands  ou 
flibustiers  naviguent  dans  les  Antilles  et  font  des 
descentes sur la terre ferme de l'Amérique centrale ou  du 
sud.
     Tous ces gens sont en contact avec les tribus amérin- 
diennes  et  assimilent ou déforment des mots des  langues 
indigènes. L'apport des langues TUPI, GUARANI du Brésil ou 
des TAINOS d'Haïti est loin d'être négligeable.  Ces navi- 
gateurs,  devenus souvent des négriers,  n'ont pas manqué, 
et les esclaves avec eux,  d'enrichir notre langue.  Je ne 
parle pas ici du créole,  ou des créoles,  mais bien de la 
langue française !

     Voici  quelques  exemples de  ces  termes  d'origines 
diverses  adoptés par le français grâce au passage par les 
Iles.
- L'acajou,  qui désigne à la fois la noix du même nom  et 
  l'arbre  que  l'on utilise en ébénisterie,  est  un  nom 
  emprunté au tupi,  langue amérindienne du Brésil, dès le 
  XVIème siècle.  Les Tupis appelaient ainsi un arbre avec 
  lequel ils faisaient leurs pirogues.
- L'acra,  qui  correspond  en  Guadeloupe à ce  que  l'on 
  dénomme "marinade" en Martinique,  est vraisemblablement 
  un mot d'origine africaine, du Yoruba.
- L'anolis,  notre  lézard,  dont le nom scientifique  est 
  anolis anolis, doit son nom au mot caraïbe qui servait à 
  l'identifier.
- Le balisier,  selon le R.P.  Breton, auteur, en 1665, du 
  premier véritable "Dictionnaire caraïbe-français" dérive 
  du caraïbe balisi.
- Les  noms  agouti,  ajoupa,  ananas,  ara,  de même  que 
  giraumont,   iguane,   karata,  maringouin,  palétuvier, 
  pian,  rocou, sapajou, tamarin et tabou sont tous d'ori- 
  gine brésilienne et transportés aux Antilles.
- La bamboula, qui désigne habituellement aux Antilles une 
  danse populaire,  vient de "baboula" lui-même,  issu  de 
  BAMBALON  que l'on trouve sous cette forme chez le  Père 
  Labat,  avec  le sens de "petit tambour".  Le mot serait 
  africain.
- Deux poissons au moins,  la bonite et la dorade,  tirent 
  leur  dénomination de l'espagnol "bonito"  et  "dorada". 
   Dans ce dernier cas,  le terme espagnol vient  lui-même 
  de l'italien.
- Le cacao est bien sûr un mot mexicain.
- Le cachiman,  ce fruit délicieux que l'on ne trouve plus 
  guère sur nos marchés antillais,  a une origine  arawak, 
  mais du continent et non des Caraïbes des Antilles.
- canot  a une origine plus tortueuse :  le terme français 
  vient de l'espagnol "canoa",  qui est lui-même dérivé du 
  caraïbe "canaoa" signifiant pirogue.
- carbet, contrairement à ce que nous croyons communément, 
  n'est pas un mot caraïbe des Iles.
  Le Père Breton indique :  "Carbet,  agoufa, amac ne sont 
  point mots sauvages".  Par contre,  ils sont venus,  par 
  l'intermédiaire des Français, de la langue tupi.
- Le cari,  comme vous pouvez vous en douter, est un terme 
  tamoul  parvenu au français par la traduction de  textes 
  latins et portugais.
- case vient de l'espagnol ou du portugais "casa".
- Le mot caye a été vulgarisé par les colons français  des 
  Antilles à partir de l'espagnol "cayo" (écueil).
- Les  flibustiers  doivent  leur nom au  mot  néerlandais 
  "free booter", anglicisé puis adopté par les Français.
- Le  fruit  savoureux que nous appelons  goyave  tire  sa 
  nomination de l'arawak des Taïnos haïtiens,  guyaba,  ou 
  guayava, guava, que les Espagnols ont repris et propagé.
- Pour  hamac,  nous avons vu que le Père Breton nous  dit 
  qu'il  n'est  pas du caraïbe des Iles.  Il  semble  bien 
  qu'il  serait venu, par les Espagnols qui  l'utilisaient 
  sur leurs navires, du dialecte taïno d'Haïti.
- L'igname,  dont nous savons qu'elle est à la fois origi- 
  naire des Amériques et d'Afrique, a vu son nom passer au 
  français,  de l'espagnol ou du portugais ancien "iñame", 
  lui  même emprunté à une langue africaine,  peut-être le 
  mandingue ou le ouolof.
- Le maïs vient de l'arawak des Taïnos d'Haïti,  alors que 
  le manioc vient, lui, du tupi.
- La mangue,  par son nom scientifique "mangifera indica", 
  trahit  son  origine  indienne et  tire  son  nom  d'une 
  langue malabre de l'Inde, transposé par les Portugais.
- Ouragan, que l'on n'utilise plus guère, lui préférant le 
  mot de cyclone, serait un emprunt à la langue des Taïnos 
  d'Haïti,  par l'intermédiaire de l'espagnol ou peut-être 
  directement du caraïbe des Iles.
- Notre  Ti punch national est une invention  à  l'origine 
  anglaise.  Il  désignait  alors une  recette  alcoolisée 
  compliquée et chaude dans laquelle vous ne reconnaîtriez 
  pas de nos jours la boisson réputée de nos Iles.

     Bien  sûr,  les spécialistes de l'origine des langues 
et les linguistes ne sont pas toujours d'accord entre  eux 
et les étymologies peuvent être contestées et les origines 
multiples. Toujours est-il que notre langue française doit 
beaucoup  aux peuples amérindiens disparus des Antilles ou 
d'Amérique  latine,  aux esclaves noirs et aux  marins  de 
toutes nationalités qui ont sillonné les mers.

Références bibliographiques sommaires :
1. Dictionnaire encyclopédique des Antilles et de la 
Guyane françaises, 7 v., Ed. Desormeaux
2. R.P. BRETON, Dictionnaire Caraïbe-Français et Français-
Caraïbe, Auxerre, 1665
3. R.P. LABAT, Nouvea Voyage aux Isles d'Amérique
4. ARVEILLER R., Contribution à l'étude des termes de 
voyage en français (1502-1722), Ed. d'Artrey (17 rue de La 
Rochefoucault) Paris, 1963.


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Révision 20/01/2005