G.H.C. Bulletin 91 : Mars 1997 Page 1903
MELVIL-BLONCOURT le communard marie-galantais ?
nationale est assez sérieusement compromis dans l'insur-
rection de la Commune pour qu'il puisse être l'objet de
poursuites devant un conseil de guerre... Melvil-Bloncourt
a prêté son concours à la Commune dans les conditions
suivantes :
1) le 5 avril 1871, il fut chargé par décision du membre
de la Commune, délégué à la Guerre, de la direction des
engagements pour les bataillons de marche et d'artillerie;
2) ce même jour, il a pris possession de son poste au
Ministère de la Guerre, pavillon du Ministre, et 23 pièces
-dont 16 revêtues de sa signature- certifient qu'il a
réellement exercé jusqu'au 16 mai 1871 inclus les
fonctions de chef de service des enrôlements; ces pièces
portent presque toutes comme en-tête : "Ordre du Citoyen
Cluseret, délégué à la Guerre..."
L'autorisation de poursuivre fut votée le 28 février
1874, par 532 voix contre 64. Melvil-Bloncourt qui était
parti pour Genève quelques jours auparavant, fut condamné
par contumace à la peine de mort le 5 juin 1874, par le
3ème Conseil de guerre de Paris, et déchu de son mandat de
représentant le 9 décembre 1874 par un vote à l'Assemblée.
Voici l'attendu du verdict :
"Bloncourt-Melvil, Sainte Suzanne, dit Melvil-Bloncourt
député de la Guadeloupe, Homme de Lettres, (contumax)
coupable d'avoir en 1871, à Paris, participé à un attentat
dont le but était d'exciter la guerre civile en armant et
en portant (sic) les citoyens à s'armer les uns contre les
autres; levé ou fait lever des troupes armées et enrôlé
des soldats sans aucune autorisation du pouvoir légitime;
exercé une fonction dans des bandes armées et provoqué des
militaires à passer aux rebelles armés."
Ce verdict fut prononcé à l'unanimité. Il aurait pu
ajouter, délit d'opinion et un salaire de 410 francs. Même
des francs-or, c'était chèrement payé...
Si Melvil-Bloncourt échappa au peloton d'exécution,
l'on ne saurait dire que la Presse l'y aida, car cons-
tamment, elle sonna plutôt l'hallali. Dans une lettre du 6
juillet 1872, il écrivait : "Le Figaro, l'année dernière,
me dénonçait et demandait ma tête". Le "Petit Moniteur
Universel", lundi 9 février 1874 n° 40, écrit dans une
Dernière Heure : "Beaucoup de personnes se sont demandées
comment M. Melvil-Bloncourt, ancien serviteur de la
Commune n'avait pas été arrêté après la défaite de
l'insurrection".
Dans "Paris-Journal", dimanche 8 février 1874 n° 38, sous
le titre "Le cas Melvil-Bloncourt", le capitaine Grimal,
ex-commissaire du gouvernement, écrit "... A M. Thiers, et
à lui seul, la responsabilité du défaut de poursuites pour
des crimes ou délits dont il avait une parfaite connais-
sance : personne, parmi certains rebuts du 4 septembre,
n'avait sans doute intérêt à ce que Melvil-Bloncourt fût
poursuivi, et il ne l'a pas été..."
Sans doute dut-il son salut à l'amitié que Thiers lui
témoignait. Il devait cette amitié au fait qu'il avait
voté le 24 mai 1871 pour le maintien de Thiers au pouvoir.
Un rapport de la Préfecture de Police sous la plume
du policier M. Brissaud, daté du 6 février 1874, 9 heures
un quart, soir, relate la filature dont fit l'objet
Melvil-Bloncourt, de son domicile, accompagné "d'un autre
mulâtre", à la gare de Lyon où il empruntait le train de
Lyon-Italie. De son côté, la police helvétique ne démérita
pas. D'un télégramme chiffré, N° 590, de Ferney pour
Versailles, déposé le 9 février 1874, 5 heures 25 du soir,
le commissaire spécial Ferney à Intérieur Sûreté Générale,
annonce :
"Melvil-Bloncourt arrivé à Genève hier au soir. Descendu
chez Cluseret. Ce soir la proscription lui offre un punch
chez Bellivier. Cluseret attend lettre Levraud pour
partir".
En Suisse
Réfugié en Suisse, il fit la navette, de Neuchâtel,
Chêne et Genève pour s'installer enfin à Genève. Car il
était toujours poursuivi et épié, comme les principaux
proscrits, par les sbires du pouvoir. Si bien que, en 1879
encore, dans une correspondance à Nadar, il lui demandait
de domicilier son courrier à cette double adresse : Chemin
des Volandes (Maison Costes), 5e Chemin des Eaux Vives,
Genève, chez M. Pagès (aujourd'hui, ce sont des rues
adjacentes).
Nous supposons que la dernière identité est empruntée
au nom de jeune fille de son épouse, Françoise Pagès, née
à Bâton Rouge, en Louisiane, contrairement à ce qui est
rapporté par un acte de mariage de la mairie du XIe arron-
dissement du 8 décembre 1859, qui la fait naître à Paris
en 1833; un acte de baptême de St Joseph Church du diocèse
de Bâton Rouge, daté du 5 Décembre 1835, prouve que
Françoise Pagès y est bien née le 5 décembre 1833 de Jean
Baptiste Pagès et de Colette Espinard.
L'on peut conjecturer que cette erreur de transcrip-
tion est une séquelle de la Commune, car ce document
évoqué est un acte de mariage rétabli en vertu de la loi
du 12 février 1872, par la 2e section de la Commission
dans sa séance du 22 octobre 1880. Que Pierre Bardin qui
est l'inventeur de ces pièces et de la suivante soit ici
remercié. Celle-ci est l'acte de mariage de Melvil-
Bloncourt qui eut lieu en l'église Saint-Jacques du Haut-
Pas. Elle est instructive, car fait apparaître le nom de
ses amis de longue date. Parmi les témoins, nous relevons
Pierre Léopold Buchet de Cublize, Jules Prosper Levallois,
Adolphe Edouard Bonnet, Auguste Caristie.
Nous ignorons quand et comment madame Melvil-Bloncourt
gagna la Suisse, bien que G. Sarlat dans "Le Nouvelliste
de la Guadeloupe" du 29 mai 1918, ait écrit : "Melvil, qui
ne se faisait aucune illusion sur le sort qui l'attendait,
quitta Paris pour la Suisse, avec la noble femme qui était
sa compagne, aussitôt que fut déposée la demande en auto-
risation de poursuites sur le bureau du Parlement".
Toutefois, une Commission ayant été chargée d'examiner
la validité des charges à l'encontre de Melvil-Bloncourt,
dans le Cahier Rose (ainsi nommé par nous, à cause des
marbrures de sa couverture) où étaient notées toutes les
interventions des parlementaires, nous avons relevé une
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