G.H.C. Bulletin 91 : Mars 1997 Page 1900
MELVIL-BLONCOURT le communard marie-galantais ?
Incarcéré par la police de Napoléon III
Cette profession de foi devait porter ombrage à
l'Establishment impérial.
"Ce recueil fut supprimé par le coup d'Etat de 1851, et
son auteur, arrêté, subit quelques jours de détention à la
Conciergerie".
Un témoin oculaire, également incarcéré après la
rafle, le Nantais Auguste Chassin (le Matoussin du
Bachelier de Jules Vallès) dans son livre, "Souvenir d'un
étudiant de 1848", traça un portrait plaisant de Melvil-
Bloncourt qui avait déjà pris part "aux agitations prépa-
ratoires de la Révolution de Février", en conséquence déjà
aguerri aux moeurs de la maréchaussée. Il écrit : "Un
mulâtre revêtu d'un habit noir râpé, et qui jusqu'alors
s'était tenu à l'écart de tout le monde, vint me dire d'un
ton mystérieux :
- On vous cherchera des complices; on trouvera des
mouchards... Prenez garde ! Nous sommes en prison !
Avec qui ?"
Auguste Chassin de préciser : "Après cinq heures, nous ne
restions plus dans la salle des filles qu'une dizaine,
dont deux que l'expérimenté Melvil signala à notre
mépris."
Au moment de l'appel des futurs libérés, alors qu'ils
traversaient la salle où étaient empilées les prostituées
du quartier, "une énorme rousse s'écria à l'attention de
Melvil : Beau nègre, j'en tiens pour toi".
Cela, pour le portrait physique et spirituel.
Le critique littéraire
Pour le portrait intellectuel, voici ce qu'il en dit :
"Il professait pour Edgard Quinet une admiration fana-
tique, exclusive. Il discutait Michelet, il réputait
Quinet indiscutable."
Avant d'être plus tard l'homme politique respecté, le
républicain radical, mais toujours tolérant, lui qui
disait, "il faut être juste même avec les rois" il mit sa
plume au service de ce que nous nommerions aujourd'hui la
Presse de Gauche. Il collabora à divers journaux républi-
cains, "La Vraie République", "Le Peuple" de Proudhon, "La
Voix du Peuple", se consacra à l'étude des questions
coloniales dans la "Revue du Monde Colonial" et les
colonnes de "L'Illustration". Dans ces deux publications
il montra ses talents de critique et d'informateur érudit,
autant que vulgarisateur en matière d'art sur des sujets
neufs pour le public de l'heure (la civilisation aztèque,
par exemple.)
Il fut le collaborateur de plusieurs dictionnaires
d'alors auxquels il fournissait des articles :
la "Biographie Générale" de Didot, le "Dictionnaire
universel" de M. Lachâtre, le "Dictionnaire" de Larousse,
enfin le "Dictionnaire des communes de France" de Joanne.
Jules Levallois, artisan d'une de ces créations, écrit
le 26 février 1853 :
"...Je travaillais au dictionnaire de Maurice Lachâtre,
étrange compilation !... y coudoyais Buchet de Cublize,
tête encyclopédique, intelligence vaste et impartiale,
élève comme Tisseur, Blanc Saint-Bonnet, Victor de
Laprade, Fortoul dont il était le condisciple, du célèbre
abbé Noirot... Parmi les survivants, je citerai l'infati-
gable M. Charguéraud, liseur, fureteur, annotateur,
l'homme-dictionnaire, l'homme recherché et un charmant
causeur, lettré jusqu'au bout des ongles, M. Melvil-
Bloncourt, aujourd'hui représentant des colonies à
l'Assemblée Nationale, l'un des hommes qui possèdent et
maintiennent le mieux la tradition intellectuelle, philo-
sophique de notre pays".
Critique littéraire perspicace, corrosif et de grand
talent, le premier et unique dans l'histoire de la litté-
rature antillaise, ses jugements ne passaient pas
inaperçus. Un critique de "grand format", comme dirait
Alexandre Privat d'Anglemont. D'une plume alerte, fine
lame à l'occasion, quand il ferraillait contre la bêtise
de l'homo sapiens. En voici un échantillon extrait de
"Homme ou Singe ou La Question de l'Esclavage aux Etats-
Unis", tiré d'une chronique parue dans la "Revue du Monde
Colonial" :
"Je devais ici même, après l'examen de l'oeuvre de M.
Poussièlgue, parler de deux beaux livres que j'ai
mentionnés, mais je me rappelle que les lois de l'esthé-
tique, aussi bien que les ordonnances de police défendent
certains voisinages".
Il n'est pas plus tendre à propos du Salambô de
Flaubert. "Ce livre est à la science ce que le Génie du
Christianisme a été naguère à la religion catholique :
c'est de l'archéologie illustrée mêlée à beaucoup de
pathologie". Ce jugement est tiré d'un article inaugural
de critique littéraire paru dans la Revue du Monde
colonial de 1863, tome VIII. Il a de nos jours encore
valeur d'enseignement pour un lecteur peu enclin à
l'exotisme des situations romanesques. Il est à noter que
les réserves de Melvil-Bloncourt rejoignaient celles de
Jules Levallois et de Saint-René Taillandier (2).
Alphonse Daudet, l'ami félon
Il ne nous a pas été donné de pouvoir consulter ses
sentences à propos des oeuvres de son ami félon, Alphonse
Daudet. Si, cependant, elles furent d'une même verve rava-
geuse, cela explique en partie la hargne dont fera montre
le Tartarin des Lettres. Selon des contemporains, ce
serait l'une des raisons de leur rupture. On ne saurait,
en effet, éluder l'ombre de Daudet à l'occasion d'un essai
de biographie de Melvil-Bloncourt. Car leur histoire
littéraire semble interférer avec leur histoire person-
nelle. Mais ceci n'aurait pas dû justifier cela.
En 1899, paraissait l'édition définitive, chez Alexandre
Houssiaux, éditeur à Paris, sous la plume d'Alphonse
Daudet, d'un roman "Jack", avec en sous-titre, "Moeurs
contemporaines". Ce roman avait couru le feuilleton dès
1876 dans "Le Moniteur" de Paul Dalloz. Un des personnages
remarqués de ce livre vériste, à double raison, parce
qu'il est mulâtre et barbouillé à souhait par le portrai-
tiste, se nomme Moronval. Il ne passa pas inaperçu et fit
la fortune de l'auteur-barbouilleur. A telle enseigne,
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