G.H.C. Bulletin 88 : Décembre 1996 Page 1821
COMPTES RENDUS DE LECTURE par Jean-Pierre Moreau
Les flibustiers du Nouveau Monde
Histoire des flibustiers et boucaniers
qui se sont illustrés dans les Indes
Alexandre Olivier Oexmelin
364 pages, 2 reproductions de gravures anciennes
Editions Phébus, Paris 1996, 149F
Les éditions Phébus viennent de rééditer, présenté
par Michel Le Bris, l'un des best-sellers de l'édition
mondiale depuis le XVIIe siècle, "L'histoire des avan-
turiers qui se sont signalez dans les Indes..."
d'Alexandre Olivier Oexmelin.
Dans une préface belle et passionnée, Michel Le Bris
nous brosse la vie du célèbre "chirurgien de la flibuste".
En réalité, on ne connaît que peu de choses sur la
biographie de l'auteur, en dehors des quelques éléments
qu'il nous laisse entrevoir dans son "Histoire...".
Comme l'a très brillamment montré Michel Camus (1),
c'est à partir d'une thèse mystificatrice soutenue par le
futur docteur Henri Pignet en 1939 à l'université de
Montpellier, "Alexandre Olivier Exquemelin, chirurgien des
aventuriers, 1646- 1707 ?", reprise par les très sérieuses
notices biographiques (Dictionnaire de biographie
française, Dictionnaire des marins français) et par les
préfaciers successifs (par exemple Francis Lacassin pour
les Editions maritimes et d'outre-mer en 1980) qu'on est
arrivé à nous présenter une biographie cohérente et même
riche en détails, ne reposant en fait sur aucun document
historique !
Si la vie de l'auteur est obscure sur de nombreux
points, on peut également s'interroger sur l'édition la
plus fidèle au manuscrit original d'Oexmelin. Entre 1678
et 1699, quatre versions différentes ont été publiées. En
français, c'est l'édition de 1699, considérée comme la
plus complète, qui a été le plus souvent rééditée. Mais,
comme l'établit encore une fois Michel Camus (op. cit.),
Oexmelin n'est pas le père de tous les chapitres; certains
sont copiés sur d'autres auteurs, d'autres sont romancés
ou inventés et Oexmelin n'a pas pu participer à toutes les
expéditions de flibuste qu'il relate.
C'est cette édition de 1699 qu'utilise Michel Le
Bris, en ajoutant quelques passages de l'édition de 1688.
Si l'on ne peut guère juger de sa fidélité à l'édition de
1699, puisqu'elle est introuvable dans les grandes biblio-
thèques parisiennes, la lecture de celle de 1688, dispo-
nible à la Bibliothèque nationale, nous laisse penser que,
dans son travail d'éditeur, Michel Le Bris a privilégié
les passages où se déroule de l'action, plutôt que ceux
jugés sans doute trop descriptifs, pourtant bien savoureux
parfois ! C'est le cas, par exemple, pour les chapitres VI
à XI de l'édition de 1688 que l'on a largement amputés.
Dépourvue d'un appareil critique (notes, glossaire,
etc.) et des principes qui ont présidé au travail de
l'éditeur, ce n'est pas une édition critique, ni "complète
et fidèle", comme le prétend la quatrième de couverture;
une édition savante reste encore à faire.
Mais, par contre, par l'élégance de sa préface et de
ses ajouts, c'est sans aucun doute l'édition "grand
public" la plus intéressante. A mettre entre toutes les
mains, surtout de ceux qui n'auraient pas encore approché
ce magnifique témoignage sur les aventuriers de la mer,
dans les Antilles au XVIIe siècle.
(1) Michel-Christian Camus : "Une note critique à propos
d'Exquemelin". Revue Française d'Histoire d'Outre-mer,
tome LXXVII (1990) n° 286, pp. 79/90.
Histoire véritable de certains voyages
périlleux et hasardeux sur la mer
capitaine Bruneau de Rivedoux Niort 1599
présenté par François Belloc et Alain Gilbert Guéguen
126 p., Editions de Paris, Paris 1996, 100F
Les archives maritimes qui nous permettraient de
reconstituer la vie maritime française sur le ponant au
XVIe siècle sont quasiment inexistantes. Aussi l'ouvrage
du capitaine BRUNEAU de RIVEDOUX constitue-t-il une source
irremplaçable pour les historiens maritimes. Il se compose
de huit textes, d'une dizaine de pages au maximum,
décrivant d'une manière simple les différentes activités
sur mer auxquelles se livraient les Saintongeais
(Rochelais et Rétais pour la plupart) : commerce du vin
vers le nord, pêche à la morue sur les bancs de Terre-
Neuve et, surtout, activités de course aux dépens des
Ibériques. Sur ce dernier point, c'est à la fois l'un des
plus anciens témoignages écrits par des Français d'une
opération de course dans les Antilles et l'une des plus
anciennes descriptions des îles Bermudes, désertes à
l'époque (colonisées début XVIIe siècle), qui servent de
refuge aux rescapés d'un naufrage de l'expédition du capi-
taine MESMIN.
Ce livre rare, jamais republié jusqu'à présent,
n'était connu que de quelques spécialistes. Le professeur
Alain-Gilbert Guéguen nous en offre aujourd'hui une
nouvelle édition, accompagnée d'un appareil critique de
quelques 200 notes, d'un glossaire et d'une belle préface
du contre-amiral Bellec, directeur des musées de la
marine.
Malheureusement, quelques petites imprécisions
gâchent la qualité de ce travail. Ainsi, pourquoi situer
l'île de Mons entre San Juan et la Dominique (note 38),
alors qu'elle se trouve à quelques kms à l'ouest de Porto-
Rico, ou la ville de Léogane, aujourd'hui, à Saint-
Domingue, alors qu'elle fait partie d'Haïti (note 41), ou
parler de Montecristo au lieu de Montecristi (note 42) ?
Quelques errances, également, dans la terminologie
employée. Ainsi, pourquoi parler de "pirates", alors qu'il
s'agit plutôt de corsaires ayant reçu des commissions de
l'amirauté de La Rochelle pour aller courir sus aux
ennemis de la religion réformée, les Espagnols ? De même,
tout ethnohistorien des Petites Antilles risque d'être
surpris par la représentation d'un village caraïbe
entouré de hautes palissades (gravure 15).
Mais, dans l'ensemble, il s'agit d'une édition
soignée, agrémentée d'une vingtaine de gravures, qui
permettra, je l'espère, à un large public de découvrir un
texte irremplaçable, écrit dans la langue savoureuse du
XVIe siècle.
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Révision 28/12/2004