G.H.C. Bulletin 88 : Décembre 1996 Page 1809
La curieuse recherche des fleurs n'est pas encore
arrivée jusques icy; La pauvreté de la pluspart des
habitans les fait songer seulement à ce qui est utile. Il
y a des amaranthes; des fleurs d'un rouge fort éclattant,
qu'ils appellent cardinales; du jasmin dans les bois; j'en
ay veu à la garde-louppe en passant, de trois ou quatre
façons. Nous avons une herbe qui porte de la graine
musquée; une autre appellée sensible, d'autant qu'elle se
ferme, et flaitrit si tost qu'une personne l'a touchée, et
est bien un quart d'heure à revenir, et se redresser.
Continuation de mesme sujet, des commoditez de l'isle.
CHAPITRE V
Venons aux fruicts et arbres fruictiers.
Nos pommiers, poiriers, figuiers, cerisiers, abricotiers,
peschers, noyers, chastaigners, n'ont point encore paru en
ces terres; on en a fait quelques experience, mais peu, et
seulement aux lieux plus chauds : avec le temps on experi-
mentera si aux endroits plus temperez on en pourra élever.
Les fruicts du païs, qui luy sont commun avec la France;
sont les citrons, limons, et oranges : Il est vray qu'ils
viennent icy en merveilleuse quantité de toutes sortes, et
fort beaux, et bons : les citroniers et limoniers portent
en dix huict mois ou deux ans, et les orangers en trois.
Il y a de petits citronniers dont on fait les palissades,
et de petits citrons qui ont l'escorce fort tendre, et
sont si pleins de suc, qu'ils en rendent autant que deux
autres des plus gros. Ces arbres viennent de pepin, et de
branche. Il ne les faut ny greffer, ny enter; on met
seulement une branche d'oranger ou citronnier en terre,
sans autre soing ny artifice. Les grenadiers y viennent
beaux, mais pour en avoir du fruict il les faut ébrancher
par le bas, et faire croistre en arbres. On ne doute point
que les figuiers, oliviers, et possible encore les
amandiers, n'y profitassent; mais personne n'y a eu soin
d'en planter. Il y a des acaïons de jardin bien differens
de ceux du mesme nom qui sont dans les bois, dont nous
parlerons plus bas; ce sont arbres mediocres, qui ont une
feuïlle assez grande, et font un grand ombrage; ils
portent des pommes douces, et de bon goust, qui ont
quantité d'eau pour desalterer; quelques-uns en font du
vin, qui n'est pas de garde : au bout ou à la teste de ces
pommes, il y a un petit fruict, qu'on appelle noix
d'acaïon : il a une escorce dure, et épaisse; on en tire
de l'huyle, qui est bonne, à ce qu'on dit, pour les
dartres, et le fruict qui est au dedans est petit, mais
meilleur que nos noix, et nos chastaignes.
Mais il faut advoüer que ces isles ont le roy des
fruits, et celuy qu'on croit qui n'a point en France
d'égal en bonté, qu'on l'appelle anana : il sort du coeur
d'une plante ou herbe, dont les feuilles longues et
estroites s'estallent en rond comme l'artichaux : il a la
figure d'une pomme de pin, mais il est beaucoup plus gros,
la peau rude, et divisee par carrez tout de mesme que
cette pomme; au pied quatre ou cinq rejettons, qui servent
de graine, qu'on plante à la pleine lune pour en avoir du
fruict au bout de l'an : sa couleur est verde, tirant un
peu sur le jaune quand il est en maturité : il porte sur
la teste une touffe ronde de feuilles, qui luy sert comme
de couronne pour marque de son advantage et excellence sur
tous les autres fruicts : son goust a quelque rapport à
celuy de la poire de bon chrestien; mais il est plus
sucré, et a plus d'eau qui est tres-agreable. Il y a une
sorte de ces ananas qu'on appelle anana de pite, dautant
que de la feüille les Sauvagesses tirent un fil, qu'on
appelle fil de pite, qui est fort bon, et sans comparaison
plus beau que le plus beau que nous ayons, et les ouvrages
qu'on en fait peuvent passer pour des ouvrages de soye.
Les bananiers sont de la hauteur de quinze ou vingt
pieds, ont le tronc tousjours verd, composé de diverses
peaux comme nos oignons, la feuille large d'un pied, et
longue de six ou sept : ils ne portent du fruict qu'en une
seule tige, qui est toute revestuë de banans, il y en a
bien quelquefois quatre vingts ou cent, et on appelle cela
un regime de bananes : ce fruict est long de demy pied,
jaune en dedans, et de bon goust : on en met par cartiers
seicher au soleil, ils les appellent des bananes confites,
qui ont le goust de dattes, et meilleur. Les figuiers de
ce pays sont semblables aux bananiers, et les figues aux
bananes, sinon qu'elles ne sont si rondes, mais un peu
plus plattes et plus courtes, et n'ont pas du tout si bon
goust.
Il y a encor quantité d'arbres dans les bois qui
portent des fruicts, dont quelques uns ont assez bon
goust, comme les pommes appelées gouianes, les papaies,
les mamains, les cachimens, qui ont le goust de la cresme
un peu sucrée. Il y en a de ceux-cy et d'autres dont les
fruicts servent pour la medecine, et une certaine sorte de
pomme dont les pepins gros comme de nos febves mediocres,
sont de fort bon goust, et s'appellent noix medicinales,
d'autant que si vous n'ostez une petite feuïlle blanche
qu'ils ont dans le coeur, ils purgent grandement, et
provoquent aussi à vomir. Pour la plus-part des autres
fruicts qu'on trouve dans les bois, ils servent à engrais-
ser les perroquets, perdrix, ramiers, gruës, et autres
oyseaux.
Les arbres sauvages sont la plus-part plus hauts que
les nostres; il y en a peu qui soient propres à bastir, ou
à faire des vaisseaux, d'autant que le ver d'y met : vray
est qu'il n'espargne pas plus les bois de nostre Europe
que ceux du pays, c'est pourquoy on donne un doublage aux
vaisseaux que l'on y envoye; autrement le ver les perçant
ils seroient en danger. Le coeur d'acomat est bon pour la
charpante; on fait des aix et de beaux ouvrages de
l'acaïou des bois, qui est de couleur rouge, et de bonne
odeur.