G.H.C. Bulletin 88 : Décembre 1996 Page 1807
C'est un brave gentil-homme, et bien pourveu de
toutes les qualitez necessaires à cette charge. Il y
entra, et s'y est maintenu jusques à present, avec tant
d'addresse, sagesse, et conduite, qu'il a gagné le coeur
aussi bien aux Sauvages Caraïbes qu'aux François. Les
Sauvages le visitent souvent, et le voyent volontiers en
leurs cases, l'appellent leur compere, et le grand capi-
taine du Parquet : et celuy qui est le premier capitaine
parmy eux, que nous appellons le pilote, à pris son nom;
c'est la coustume de ces Sauvages de prendre le nom de
leurs bons comperes. Il fut il y a quelque temps les
visiter, ils le receurent fort honestement à leur mode, le
rocouerent, accommoderent les cheveux à leur façon, firent
dançer comme eux, et n'oublierent rien qu'ils jugeassent
necessaire pour luy tesmoigner de l'affection : Je dis
tesmoigner de l'affection, et non pas rendre de l'honneur;
d'autant que ces barbares sont si vains, qu'ils se prefe-
rent à tous les hommes du monde, et ne font honneur à
personne, par lequel il semble qu'ils se recognoissent
inferieurs; au reste toutes ces ceremonies se font de
telle sorte, que monsieur le gouverneur, et ses gens
demeurent tousjours arméz, et le pistolet à la main,
pource qu'il n'y a jamais d'asseurance parmy ces Sauvages
quelque bonne mine qu'ils vous fassent.
Nos François peuvent estre maintenant prés de mille
habituez le long de la mer, entre les mornes et au dessus,
en l'espace de huict ou neuf lieuës. La crainte des
couleuvres ou viperes, dont nous parlerons, a destourné
plus de deux mille hommes d'y venir; on se desabuse peu à
peu, et desja plusieurs seroient à la Martinique, s'ils
avoient le moyen d'y aller. Nous y avons trois forts : le
Royal est le meilleur, et plus considerable : il est dans
le cul de sac dont nous avons parlé, en un lieu et
assiette fort avantageuse : Il est muny de canon, et y a
garnison suffisante. L'Espagnol s'y presenta il y a
quelques années mais sans autre effect que du bruit, et
sans en remporter que de la confusion.
J'ay parlé au chapitre precedent des maisons. Les
François n'ont pas esté plus curieux de la bonté et
mollesse des licts de France, que de la beauté des
maisons : Ils couchent dans des licts de coton suspendus,
qu'on appelle des hamats, qui servent encor de siege
durant la journée; ce sont ouvrages des Sauvages. Les
habitations sont jusques à maintenant esloignées les unes
des autres sans aucune forme de bourg, tant à cause des
mornes qui les separent, qu'à cause que chacun veut
demeurer sur sa terre. On pretend y en former bien-tost un
proche du fort S. Pierre où la place est belle : l'Eglise
y est desja, on y fera aussi l'auditoire, et autres
oeuvres publics.
Le R.P. Jacques BOUTON resta 4 mois à la Martinique où
il établit la mission des jésuites. Il revint en 1642
et n'y resta encore que quelques mois.
Voir : Bernard David "Dictionnaire biographique de la
Martinique, Le Clergé" 1984; tome I pp 30 à 33.
NDLR Il nous a paru utile de publier ce document qui
aurait aujourd'hui le qualificatif de raciste, car, à
notre connaissance, il n'a pas été republié.
Nous avons trancrit aussi fidèlement que possible le
texte original de l'édition de 1640. Nous avons
remplacé & par et, et les lettres v par u et i par j
quand cela était nécessaire. Les dates entre paren-
thèses ne figurent pas dans le document original.
Des commoditez que l'isle peut fournir.
CHAPITRE IV
Nous parlerons en ce chapitre et en quelques autres
suivans autant par le rapport d'autruy que par experience.
Le peu de temps qu'il y a que nous sommes en cette isle ne
nous ayant donné le moyen de voir de nos yeux tout ce
qu'on nous disoit de ses commoditez. Suffit que nous en
ayons veu une partie, et que l'autre soit si averée par la
constante relation de tous les habitans, qu'il n'y a
aucune occasion d'en douter.
Nous avons desja touché les commoditez pour bastir :
je parleray en suite tant des biens qu'elle possede de
soy-mesme, et presentement, que de ceux qu'elle n'a pas
encore, mais dont elle est capable, et qu'on luy peut
aisément, et doit-on à mon advis procurer au plustost, et
sans lesquels il n'y a presque rien à faire, pource qu'il
est croyable que partie de ce qu'elle a de soy viendra peu
à peu à manquer, comme il est advenu autre part, à mesure
que le nombre des habitans croistra.
Generalement plusieurs personnes qui ont passé bonne
partie de leur vie en la navigation de ces isles, asseu-
rent que celle-cy ne cede de beaucoup à aucune des isles
des Caraïbes, tant pour ce qui est des vivres et nourri-
ture, que pour le profit qu'on en peut tirer, si les
François sont aussi avisez et industrieux à faire valoir
la terre, que les autres nations. Pour le faire voir en
particulier commençons par les herbes.
Il y a quantité d'herbes medicinales, sans parler des
fruicts, dont plusieurs ont de la vertu : Le gaïac, la
schine, la scolopandre, dont les feüilles sont de six et
sept pieds de long, et mille autres plus rares, qu'un
homme versé en la cognoissance des simples sçauroit bien
remarquer, et qui feroient de bon debit en France. C'est
merveille combien les Sauvages se portent bien, et ont de
beaux secrets; mais il est impossible de les tirer d'eux,
si ce n'est à la longue, et par quelque finesse. Les
gouttes, pierres, et plusieurs autres maladies trop
communes en France, sont icy presque inconeuës, tant ils y
remedient promptement et efficacement : si les blesseures
ne sont mortelles, ils les guerissent si facilement et
parfaitement, que vous voyez celuy que vous pensiez mort,
retourner dés le lendemain avec les autres à la guerre.
Ils ont une herbe qui dissout les tayes des yeux : ils
guarissent les fievres avec une goutte ou deux du jus
d'une herbe qu'ils distillent dans l'oeil; quelques
François en ont fait l'experience, et ressenty l'effect
qu'ils desiroient, comme entr'autres un des gens de
monsieur le gouverneur, qui m'en a luy-mesme asseuré. Ils
ont des herbes ou racines, qui aydent merveilleusement les
femmes qui sont en travail d'enfant, et les font heureu-
sement accoucher; et d'autres par l'usage desquelles des
femmes qu'on croyoit steriles ont conceu, et eu lignée :
pour la morsure des couleuvres, ou plustost viperes, dont
nous parlerons, ils n'en ont point de crainte, d'autant
qu'ils s'en guarissent sans difficulté.