G.H.C. Bulletin 85 : Septembre 1996 Page 1710
La famille d'ALESSO et l'habitation "Frégate"
Florent Plasse
Cet article est extrait d'un ouvrage en cours de réali-
sation sur l'habitation "Frégate". L'auteur nous en confie
la publication en réponse à la question 96-69 concernant
la famille d'Alesso d'Éragny.
La famille d'ALESSO d'ÉRAGNY
La famille d'ALESSO entra dans l'histoire de la Marti-
nique par la voie de la haute administration.
En 1690, le roi nommait François d'ALESSO, marquis
d'ÉRAGNY, gouverneur général des Isles d'Amérique pour
succéder à BLÉNAC. Son séjour en Martinique fut de courte
durée puisqu'il mourut quelques mois après son arrivée
sans avoir réellement eu le temps d'exercer sa charge (1).
Sa veuve resta en Martinique avec son fils unique,
Alexandre François. Ce dernier épousa en 1711 Catherine
POCQUET, fille d'un important colon de Basse-Pointe, capi-
taine de milice et membre du conseil souverain de la
Martinique. De cette union naquirent deux fils, Claude-
François, en 1717, à Basse-Pointe, et Claude-Alexandre, en
1720, au Trou-au-Chat (2).
Claude-François était capitaine de la compagnie de
dragons-Milice au Vauclin en 1770. Il ne fait aucun doute
qu'il s'agit bien de lui lorsqu'on lit "Dalaisseau" à
l'emplacement de "Frégate" sur la carte Moreau du Temple
(3).
Claude-François d'ALESSO, marquis d'ÉRAGNY
D'après l'évocation qui en est faite dans les
documents administratifs du milieu du XVIIIème siècle, ce
personnage eut une grande activité au sein de la colonie,
participant à la vie économique, militaire, comme
officier, et politique.
Ses activités économiques étaient évidemment celles
d'un propriétaire foncier de l'époque. d'ALESSO était
habitant au quartier de la Frégate mais possédait certai-
nement d'autres propriétés en Martinique. Il existait en
1785 une habitation "Deragny" peu avant l'entrée du bourg
des Trois-Ilets (4).
A la même époque, d'autres habitations portaient le
nom "Dalaisseau" : il s'agissait de l'actuelle Massy-Massy
ou Ducassous au Vauclin, et du site aujourd'hui appelé
Château d'Alesso à Ducos.
On sait qu'il possédait également des biens en France
provenant de l'héritage de ses parents. Il donna
d'ailleurs procuration à son frère Claude-Alexandre pour
que celui-ci s'en occupât lors de son retour en France, en
1763 (5). La propriété de Frégate aurait pu lui échoir,
par sa femme liée des CORNET ou des DUVAL des FLEURIOTTE,
propriétaires influents du Sud (6). Dans cette hypothèse,
il n'aurait pas pu s'installer sur cette habitation avant
son mariage en 1740.
L'enregistrement par le Conseil souverain de la Marti-
nique de l'acte de création d'une compagnie d'assurance
maritime en 1742 le cite comme associé avec d'autres
négociants de Saint-Pierre (7). Il participait au capital
par l'achat d'une action, comme tous les associés.
d'ALESSO semblait bénéficier d'une certaine importance
dans la colonie. Dans cet acte, il est toujours cité le
premier avec la mention de son titre de marquis. Cette
distinction protocolaire le faisait devancer les direc-
teurs associés de la Compagnie et même Jacques TOURAY,
pourtant "conseiller du Roy au Conseil supérieur, Commis-
saire et Contrôleur de la Marine".
Il est difficile de croire que d'ALESSO habitait la
ville de Saint-Pierre, comme l'affirme ce document, tout
comme il semble peu probable qu'il ait été négociant.
Certes, bien qu'appartenant à la noblesse, d'ALESSO
pouvait exercer des activités de commerce en gros sans
déroger, selon la règle en vigueur alors dans les Isles.
Toutefois, en 1762, d'ALESSO, alors membre de la toute
nouvelle Chambre d'Agricultre et de Commerce, fut proposé
comme député pour une mission en France. Dans une lettre
au ministre, le gouverneur dressait le portrait suivant :
"C'est un galant homme et un honnête homme. Nous lui
croyons du bon sens, mais sans connaissances acquises sur
le commerce dont il s'est jamais occupé; il doit en avoir
sur l'agriculture" (8).
La conclusion est claire : d'ALESSO n'était pas un
négociant et ses connaissances en agriculture lui venaient
simplement de l'expérience qu'il tirait de ses habita-
tions. Lors de la désignation des membres de cette Chambre
(9), le pouvoir royal préféra choisir des hommes dans le
milieu des habitants plutôt que parmi les négociants de
Saint-Pierre. Ce rôle prépondérant accordé aux proprié-
taires, dont d'ALESSO, provoqua les protestations des
négociants auprès des autorités, et ce différend alimenta
le conflit chronique qui existait entre ces deux parties.
L'installation de d'ALESSO au François est incontes-
table quand on le retrouve capitaine de dragons-milice
dans cette région vers 1764. Il est difficile d'imaginer
un officier en poste sur la côte sud-est et résidant à
Saint-Pierre lorsqu'on connaît la faiblesse des moyens de
communication en Martinique à cette époque (10).
L'affaire du Prince de Modène
En 1749, d'ALESSO se fit remarquer par sa participation
à une imposture (11). Un aventurier débarqua sur l'île en
se présentant abusivement comme le Prince de Modène.
Il trompa la population en se faisant recevoir chez des
personnages importants et en multipliant les déclarations
de toutes sortes. Lorsque la supercherie fut découverte,
les principaux responsables, dont d'ALESSO, avaient déjà
fui. On leur reprocha d'avoir favorisé l'imposture et
abusé de la crédulité de certains habitants, comme l'écrit
le représentant du Roi en Martinique dans une note au
ministre :
"(...) Les plus coupables sont les Srs. d'Éragny, Duval,
Ferrol, et le P. O'Kelly, jacobin. Mais ils ont suivi
l'aventurier, les deux premiers en qualité de ses offi-
ciers, et le religieux en qualité d'aumônier. Il y a aussy
le Sr. Garnier, médecin, entretenu à la Martinique, qui
s'est mis à sa suite. Ils ont été arrêtés tous quatre à
Séville avec l'aventurier.(...) Le Sr. d'Alesso, habitant.
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