G.H.C. Bulletin 84 : Juillet-Août 1996 Page 1675
Un regard métropolitain sur les créoles sous le second empire
Nicolas Javary
A l'occasion du rangement de la bibliothèque familiale,
réapparut le "Grand dictionnaire universel" que Pierre
Larousse réalisa de 1865 à 1878, en dix-sept volumes.
Toute la famille s'arrêta et l'on décida de feuilleter ces
volumes oubliés, au hasard des articles. Mon père vérifia
que Bonaparte était toujours un "Général (...) mort (...)
le 18 Brumaire" (Pour la suite, voir à "Napoléon" !)...
Puis, n'oubliant jamais mes racines maternelles, je
proposai d'aller voir ce qui était écrit à "CRÉOLE".
La lecture de cet article déclencha parmi nous une
telle franche hilarité que j'ai pensé à la faire partager
aux lecteurs de GHC en leur livrant quelques morceaux
choisis...
L'article commence par des définitions tout à fait
sérieuses. Tout d'abord, celle du substantif, citant
l'éventuelle origine espagnole (criar = élever, nourrir)
et qui définit "toute personne née dans les colonies
américaines"; puis, celle de l'adjectif, en n'oubliant pas
qu'il "se dit quelquefois des nègres nés en Amérique". La
"créolité" vue comme un ensemble de composantes communes
aux personnes nées aux îles d'Amérique, sans aucun critère
d'origine, avait déjà un adepte il y a plus de 120 ans.
C'est au paragraphe "Encyclopédie" que le dévelop-
pement, marqué par le temps, ne manque pas de sel...
Après avoir rappelé que néanmoins on désigne généralement
ainsi "les personnes qui, descendant d'une race blanche,
sont nées sous les tropiques, à la Louisiane, à la Guyane,
aux Antilles, au Brésil, et aussi à l'île Maurice et à la
Réunion", la description commence par les hommes :
"Ils sont généralement bien faits et d'une taille
avantageuse". Voilà nos grands-pères les Apollons du
Nouveau Monde. Il doit bien nous en être resté quelque
chose !Mais aux qualités physiques s'ajoute l'intellect :
"le spectacle (...) d'une nature luxuriante, la vue
continuelle de l'Océan, tout contribue à doter les créoles
d'une imagination vive et d'une conception facile". Hélas,
il y a un revers à la médaille : les enfants, et l'édu-
cation qu'on leur donne. "Deux causes principales
concourent malheureusement à faire perdre aux jeunes
créoles l'avantage qu'ils ont d'abord sur les enfants des
autres climats : la tendresse aveugle et excessive des
parents qui souscrivent à leur moindre caprice, et l'habi-
tude d'être entourés d'esclaves. Cette dernière cause
d'avilissement a heureusement disparu dans la plupart des
colonies". Puis, "les défauts des créoles, au nombre
desquels il faut compter la passion du jeu, sont cependant
rachetés par une foule de qualités estimables...". Ouf !
Je passe l'énumération d'adjectifs fort agréables (francs,
affables, généreux) qui ferait songer à une société
idéale, pour vous livrer au plus vite la description du
beau sexe.
"A la délicatesse des traits, les femmes créoles
joignent cette taille et cette démarche élégante qui
semble l'apanage des pays chauds". Seulement, juste après,
il est ajouté : "Rarement douée de cette harmonie sévère
qui constitue la beauté..." ! Devant tant d'injustice et
de méconnaissance, mesdames, restez de marbre. Heureu-
sement, "elles sont surtout remarquables par la beauté de
leur chevelure qui est d'un noir incomparable", et
beaucoup plus surprenant, "par la petitesse de leurs pieds
cambrés..." ! Voilà quasiment de l'anthropologie avec la
découverte d'un nouveau genre aux extrémités pédestres
particulières : la créole.
Arrive l'étude du caractère : "L'état de désoeuvrement
dans lequel elles sont élevées, les ardeurs presque conti-
nuelles du climat qu'elles habitent, les complaisances
aveugles dont elles sont perpétuellement l'objet, les
effets d'une imagination vive, tout développe en elles une
extrême sensibilité nerveuse". On en reste coi ! En voici
assez pour décourager tout homme célibataire et censé
partir pour les îles, et plaindre ses congénères d'Outre-
Atlantique.
Encore une dernière caractéristique notable : "La
danse a tant d'attrait pour ces filles du soleil qu'elles
s'y livrent avec fureur" (sic). Quand on regarde les
photos de nos grands-mères de l'époque ou de leur fille,
il est difficile de les imaginer se livrant à la danse
"avec fureur" ! Qui donc, Pierre Larousse, ou ses collabo-
rateurs auront-ils rencontré ?
La population de couleur n'est pas non plus oubliée,
mais cette fois-ci c'est un "presque" dont on aimerait
bien savoir en quoi il consiste ! "Les nègres qui naissent
dans les colonies montrent des qualités physiques et
morales presqu'égales à celles des blancs créoles et supé-
rieures à celles des Africains. A l'intelligence et à la
bravoure, ils unissent une certaine grâce dans les formes,
la souplesse dans les mouvements, l'agrément même de la
figure et un langage qui n'est pas dépourvu de douceur".
S'ensuit une reconnaissance de la beauté de la langue
créole, de "son génie propre" qui rend "mille riens",
"mille images" avec "une grâce infinie". Figurent même à
la fin de l'article, les paroles d'une petite chanson :
"Lisette quitté la plaine".
En somme si, étonnement, les femmes s'en sortent le
plus mal, il y avait peut-être quand même, dans les
généralisations autant ahurissantes que comiques du "Grand
dictionnaire universel", une des premières tentatives de
montrer le monde créole comme homogène et purement
original.
G.H.C. SUR LA 5
Samedi 27 juillet entre 10h et 10h 30 (ou le 2 août vers
13h) dans l'émission "Net plus ultra" une séquence de 4
minutes montrera l'utilisation d'Internet en généalogie.
Vous pourrez voir le Web de notre association au cours
d'une courte interview du président dans les locaux de la
Fédération française de généalogie. La bibliothèque généa-
logique de Paris et une personne ayant mis sa généalogie
sur Web seront aussi présentés dans cette émission dont la
partie généalogique a été réalisée par Thierry Noisette
qui a déjà écrit un article sur le sujet dans "Le Monde".
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Révision 28/12/2004