G.H.C. Bulletin 83 : Juin 1996 Page 1648

Rapport général de la caféterie CARLOTA, sise en Saint-Marc
transcrit par Emmanuel Boëlle

     Pour  faire suite aux derniers articles parus sur  la
question (pp. 1537 et 1575), j'apporte des précisions  sur
des  valeurs  trouvées  à  Cuba  concernant  une   cafetal
dénommée Carlota, figurant sur un rapport  du  responsable
en 1830 et faisant partie de  la  succession  de  Salabert
Chauviteau.

     La Caféterie  Carlota,  y  compris  ses  dépendances,
renferme 22 cavaleries (294 ha)  de  terre,  mesure  espa-
gnole, ou 726 arpents, mesure française. Treize cavaleries 
(174 ha) sont affectées à la culture dans la proportion de 
9 cavaleries (120 ha) pour le café et de 4  (53  ha)  pour
les vivres nécessaires à la subsistance des nègres.  A  la
partie nord de la place à vivres est établie une tuilerie. 
Les neuf cavaleries complétant l'étendue de  la  propriété
servent à un  "potrero"  ou  lieu  destiné  à  élever  des
animaux. Après ce faible résumé de l'arpentage, permettez 
moi d'entrer dans des détails plus circonstanciés sur  les
différentes branches d'exploitation.

               Tableau numérique des nègres
             formant l'atelier de la Carlota

               à la date du 28 février 1830

---------------------------------------------------------- 
 Désignation        Nègres  Négresses    Créoles     Total
                                      mâles femelles
---------------------------------------------------------- 
Nègres :
Au champ ou employé    80      76       14     12     182
A l'infirmerie          3       3                       6
Inutiles pour l'âge     7       2       39     36      84
Inutiles pour
    infirmité           4       3                       7
Fugitifs                1       2                       3
----------------------------------------------------------
            Total      95      86       53     48     282

 Par ce tableau, vous n'auriez qu'une faible et incomplète 
idée si je n'y ajoutais les réflexions suivantes.
     Depuis deux ans que j'administre,  les naissances ont 
égalé  les  mortalités.  Le  grand  nombre  de  morts  est 
attribué  à  un vice épouvantable qui ravage cet  établis- 
sement :  je veux parler du poison.  Les petits créoles en 
sont les principales victimes.  Des pères même portent une 
main  homicide sur leurs propres enfants.  La plupart  des 
négresses nourrissent,  dans l'habitude de ne se livrer  à 
leurs  maris  que  lorsque l'enfant est au  moment  d'être 
sevré,  c'est-à-dire  à  l'âge  de 18  à  20  mois.  Cette 
privation forcée,  qui est loin de convenir à ces  hommes, 
les porte, pour la faire cesser, à ces excès qui révoltent 
la  nature et qui ne sont pour ces brutaux que des actions 
fort simples.  Plusieurs négresses ici comptent jusqu'à  8 
accouchements,  et tous leurs enfants sont morts des mêmes 
symptômes : évacuation de sang. J'ai dû dernièrement sévir 
contre les maris de ces mêmes négresses en les mettant aux 
fers,  et  dès  lors  elles ont parfaitement  élevé  leurs 
nourrissons.  Aussi,  pour obvier à un aussi grand malheur 
autant  qu'il  est en mon pouvoir,  tous les  créoles  qui 
naissent sont élevés dans l'infirmerie avec les attentions 
que l'on prodigue aux enfants blancs, jusqu'à  ce  que  la
mère puisse se remettre à la discrétion de  son  mari.  Je
commence à ressentir les bons effets de cette mesure. D'un 
autre  côté,  pour  extirper  entièrement  ce  fléau,   M.
Hernandez est dans l'intention de  vendre  tous  ceux  qui
sont  signalés  ou  convaincus  comme  coupables  de   ces
atrocités.

Plantations

     Comme je vous l'ai déjà dit plus haut,  9  cavaleries
environ (120 ha), ou 297 arpents sont plantés en  caféiers
dont le total numérique se monte à 320.000  arbres  (2.660
ha) de différents âges, puisque tous  les  ans,  l'on  est
dans l'obligation de replanter un  grand  nombre  d'arbres
qui n'ont pu résister à une trop grande charge de  fruits.
Dans  les  vieilles  terres,  une  grande  récolte  laisse
presque  toujours  les  plantations  dans  l'impossibilité
l'année suivante, à moins d'avoir  assez  de  fumier  pour
rétablir les pièces qui ont souffert  ;  dans  ce  dernier
cas, des carrés de caféiers ainsi abonnés  peuvent  donner
juqu'à trois récoltes  consécutives.  Vous  avez  pu  vous
convaincre vous-même des soins que  l'on  apporte  ici  au
travail des terres pour égaliser les récoltes au  moins  à
8.000 arrobes (88.000 kg)  ou  200  quintaux  (?)  annuel-
lement, bien qu'il y ait plus de la moitié des plantations 
longtemps négligées qui demandent des engrais pour  donner
des produits. Dans l'intérieur des carrés l'on plante,  de
cinq en cinq rangs, des bananiers qui servent à la nourri- 
ture des nègres. En outre, dans  ces  mêmes  carrés,  l'on
sème  du  maïs  pour  l'entretien  des  animaux  et   pour
engraisser des cochons. Dans le  cas  de  surabondance  de
cette graminée, l'on vend le surplus  de  la  consommation
approximative.
      je n'entrerai pas, dans ce simple  examen,  dans  le
détail des manoeuvres nécessaires à la manutention du café 
avant d'être transporté sur le marché;  ces  explications,
je crois, vous sont inutiles pour juger de l'importance de 
cette belle propriété.

     Après m'être entendu avec M. Hernandez, j'ai formé le 
projet de  semer  des  palmiers  dans  toutes  les  terres
réservées à la culture des vivres pour plus tard,  en  cas
de  réussite  dans  ces  plantations,   les   annexer   au
"potrero", ce qui donnerait à ce dernier établissement une 
plus grande valeur, la  graine  de  ces  arbres  étant  le
meilleur entretien des cochons et autres animaux.

     Le potrero se compose de 9 cavaleries ou 297  arpents
complétant les  22  cavaleries  ou  726  arpents.  Sur  ce
nombre, 5 cavaleries sont ouvertes et  4  sont  encore  en
bois debout, non qu'il y ait encore des bois  propres  aux
constructions, tout ce qui a pu  servir  ayant  été  tombé
dans le principe pour l'édification des  magasins,  et  ce
qui reste n'est plus propre qu'au chauffage à la tuilerie, 
qui, tôt ou tard, ne pourrait plus aller si l'on apportait 
la plus grande économie dans la tombe de ce bois.
     Cet établissement a donné jusqu'à aujourd'hui de très 
faibles produits; les cochons qui  sont  ordinairement  la
branche la plus productive réussissent fort  mal,  par  la
rareté des palmiers dont  la  graine  est  essentiellement


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Révision 28/12/2004