G.H.C. Bulletin 83 : Juin 1996 Page 1646
Cultures aux Antilles : Évaluations et rendements
En 1829, interrogé par la Commission sur les sucres (1), à
la question "Quel est, année moyenne, le rendement en
quantité de sucre, d'un carré de terre ordinaire planté en
cannes", Monsieur de LAVIGNE, propriétaire à la Marti-
nique, répond : "3.000 kg Il y a quelques fonds privi-
légiés qui donnent jusqu'à 7 à 8.000 kg, mais ils sont en
si petit nombre, qu'ils ne peuvent entrer dans la compo-
sition d'une moyenne".
Pour le XIXème siècle, Hayot (2) affirme : "Les
anciens moulins (à bêtes) extrayaient 55 % du poids de la
canne, soit 50 litres de jus pour 100 kg de cannes, ce qui
laissait 50 :4 = 12 livres 500 de sucre, c'est-à-dire
6,25 kg pour 100 kg de cannes" (p. 180); et il poursuit:
"Quand en 1845 mon grand-père Michel HAYOT se décida à
livrer à une usine centrale, il étudia avec soin et clarté
le problème. Voici ses chiffres : son moulin à bêtes
extrayait 50 litres de jus normal par 100 kg de cannes.
Chaque fois, 4 litres de ce jus laissaient 500 grammes de
sucre. Il avait donc 50 : 4 = 12 livres 500 de sucre par
100 kg de cannes, c'est-à-dire 6,25 kg pour 100. Il lui
fallait donc 8.000 kg de cannes pour faire le millier de
livres de sucre; la barrique de 500 kg" (p. 181).
Ce renseignement se recoupe avec celui qu'il indique pour
Sarcelle, en 1844, dans un style très lyrique : "L'argile
triomphait et jetait aux orgueilleuses habitations des
Caps (Sud de la Martinique) des défis de trente boucauts
au carré, obtenus dans des moulins qui extrayaient 50
litres de jus par 100 kg de cannes" (p. 115). Au moment où
il écrit (entre 1870 et 1880), voici ce qu'il rapporte
pour la région du Grand'Bourg de la Rivière Salée : "La
canne porte à ce rendez-vous ce qu'elle vaut. La plus
belle fille du monde ne peut donner que ce qu'elle a. Les
cent kilos de cannes ne valent pas à toutes les usines les
6 kg de sucre brut. Mais prenons cette base du 6% : 6 kg
de sucre brut à 20F les 50 kg font 2F 40 centimes. Les 100
kg de cannes valent donc 2F 40 centimes; le kilo de cannes
réglé à 6% vaut 2,4 centimes; à 5%, 2 centimes" (p. 140).
A propos du mode de plantation, toujours vers 1870-
1880, il indique : "Sur les phonolithes du Sud, à Sainte-
Anne, aux Caps, au Diamant... on fouillait dix mille de
ces trous carrés, de ces puits perdus, par hectare, quand
on plantait à trois pieds carrés" (p. 109).
- Pour Bourbon (La Réunion) : Monsieur de JEAN indique à
la Commission (1) que le "rendement moyen en sucre d'une
gaulette de terre, à Bourbon, est de 11 kg, c'est-à-dire
de 4.800 kg par hectare". Il ajoute qu'il "croit que les
terres à l'Ile Maurice rendent moitié moins qu'à Bourbon".
Tabac (pétun)
Le tabac fut, à l'origine de la colonisation, la
première grande culture d'exportation, au point que le
"pétun" servait de monnaie localement. Les plus anciennes
sources sont mentionnées par Petitjean Roget (4) : "Breton
préconise une plantation de 3 en 3 pieds, ce que Du Tertre
reprend à son compte en précisant que dans ces conditions
"un jardin de cens pas en carré quarré doit tenir 10.000
plants de pétun", ce qui suppose un pas de 3 pieds, comme
en Guadeloupe. Pour un pas de 3 pieds et demi, comme à la
Martinique, cela donne 13.690 plants et pour le schéma de
2 en 2 pieds, 30.600 plants.
Au XIXème siècle, on plantera plus serré à 1 pied sur
2. L'espace entre les plants n'est pas indifférent car de
lui dépend le nombre de feuilles, leur qualité, contenance
en nicotine" (pp. 652-53). Plus loin (p. 658) le même
auteur précise : "Retenons l'évaluation par valeur infé-
rieure de 1.000 livres de pétun par homme correspondant à
3.000 plants. Il faut pour cela préparer un semis couvrant
un carré d'un peu plus de 2 pas de Martinique de côté
(2,16 m²) et faire la transplantation sur un carré de
terrain mesurant un peu moins de 50 pas de côté (46,8 m²).
Ces 300 plants sur lesquels on laissera 12 feuilles en
représentent au total 36.000 qui donneront chacun un peu
plus de 13 grammes de pétun".
Supplantée par la suite par la canne comme principale
culture d'exportation et ne subsistant, aux Antilles, qu'à
titre tout à fait secondaire pour la consommation locale,
les évaluations plus récentes ont perdu de leur intérêt
pour la recherche historique.
Ce rapide tour d'horizon, non exhaustif, montre toute
la difficulté qu'il y a à interpréter convenablement les
documents anciens. De nombreuses précautions sont néces-
saires, les calculs doivent être recoupés chaque fois que
possible et replacés dans un contexte historique et dans
la chronologie de façon à en vérifier la vraisemblance (6)
et (7). Les hypothèses doivent, bien sûr, tenir compte des
habitudes culturales de l'époque, de la richesse des sols
(très variable d'un endroit à l'autre), de l'importance de
la taille des "habitations" et aussi des étendues en
surface plantée par type de spéculation. La coopération en
ce domaine avec des agronomes connaissant bien les
cultures tropicales ne peut que s'avérer fructueuse.
Bibliographie
(1) Enquête sur les sucres. Ministère du Commerce et des
Manufactures. "Commission formée avec l'approbation du
Roi, sous la présidence du Ministre du Commerce et des
Manufactures pour l'examen de certaines questions de
législation commerciale". Paris, 1829.
(2) Hayot, O.
Matériaux pour l'histoire de la Martinique agricole.
Réimpression en un seul volume des 2 fasc. de l'ouvrage de
M. Octave Hayot publié en 1881. Fort de France, Impr. du
Gouvernement, 1938.
(3) Lasserre, G.
La Guadeloupe, tome I : La nature et les hommes. Thèse.
Union Française d'Impression, Bordeaux, 1961.
(4) Petitjean Roget, J.
La Société d'habitation à la Martinique. Un demi-siècle de
formation 1635-1685, 2 vol. Thèse, Paris VII, 1980.
(5) Revert, E.
La Martinique.
Thèse. Nouvelles Éditions Latines, Paris, 1949.
(6) Schnakenbourg, C.
Statistiques pour l'histoire de l'économie de plantation
en Guadeloupe et en Martinique 1635-1835.
Bulletin de la Société d'Histoire de la Guadeloupe, n° 31,
1er tr. 1977.
(7) Stéhlé, G.
Les recensements anciens aux Antilles.
INSEE. Courrier des Statistiques, n° 73, mars 1995.
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Révision 28/12/2004