G.H.C. Bulletin 82 : Mai 1996 Page 1618
LAFFITE, Frères & Cie, flibustiers
ou l'enquête impossible
Bertrand Guillot de Suduiraut
Après les précédents numéros de Généalogie et Histoire
de la Caraïbe, venus ouvrir quelques portes, suivis de
nouvelles recherches effectuées à Bordeaux, un point
concernant les origines présumées de nos pirates peut être
tenté. Nous ne reviendrons pas sur leurs activités flibus-
tières mais y ferons seulement référence afin d'essayer de
démêler la glène enchevêtrée de leurs racines. Après véri-
fication, toutes les différentes origines parfois citées
(Saint-Jean-d'Angély, Digne, Nice, Bilbao, Dijon, Dax)
apparaissent sans fondement. Les registres de l'état civil
ancien de ces villes demeurent muets sur les personnages
qui pourraient se rattacher à la famille qui nous occupe.
Seules trois pistes restent possibles et s'ouvrent à
nous. La première est bordelaise, la seconde basque, la
troisième de Saint-Domingue.
La piste bordelaise
Elle est confirmée par les registres baptistaires de
l'église Saint-Seurin où nous avons pu relever les nais-
sances des six enfants d'Antoine LAFFITE, cordonnier, et
de Guillemette CHATAIGNÉ, son épouse.
A - 12 4 1772 - Pierre LAFFITE; p Pierre PENDELÉ;
m Jeanne SUDRE (suit en I)
B - 6 5 1774 - Alexandre LAFFITE; p Alexandre LAFFITE;
m Marie-Anne SUDRE (suit en II)
C - 6 5 1774 - Marie LAFFITE, soeur jumelle du précédent
D - 24 12 1779 - Marie-Thérèse LAFFITE; p Pierre LAFFITE;
m Marie-Ursule LAFFITE
E - 6 7 1781 - Jean LAFFITE; p Jean VIVIÉ;
m Marie-Gabrielle FAURE
F - 15 8 1782 - Jean LAFFITE; p Pierre MATHIEU;
m Marie MORIN (suit en III).
I Pierre LAFFITE (1)
Fils aîné d'Antoine LAFFITE et de Guillemette CHATAIGNÉ,
né à Bordeaux en 1772, il est formellement identifié par
son mariage à Saint-Jean-de-Luz le 29 décembre 1793 avec
Sabine d'AMESPIL. Son acte de baptême est certifié sur son
acte de mariage. La descendance de sa dernière fille,
Marie-Anne (o St-Jean-de-Luz 5 6 1797 x Martin GOYETCHE)
est connue jusqu'à nos jours. A noter que le père est dit
à Bayonne lors de ce baptême.
D'après le manuscrit de Léonce GOYETCHE, il disparaît,
abandonnant femme et enfants. S'il s'agit bien du même
personnage, nous le voyons réapparaître, en avril 1804, à
la Nouvelle-Orléans, en compagnie de son frère cadet,
Jean, à bord de deux navires piratés (cf. Archives de la
Cour fédérale de Louisiane). Les aventures de leurs
carrières sont ressassées par toute une littérature
historico-romanesque. Il ne revint jamais en France, peut-
être pour cause de bigamie, car l'on connaît un Pierre
LAFFITE (mais est-ce lui ?...) qui épousa en Louisiane,
vers 1810, Françoise SEL L'ÉTANG, qui lui donnera
plusieurs enfants, dont un fils, Charles LAFFITE, et
descendance dans la famille ESNOUL de LIVAUDAIS.
D'après G. Blond, dans son "Histoire de la flibuste",
et l'écrivain américain Stanley C. Arthur dans "Jean
Laffite, gentleman rover", Pierre LAFFITE serait décédé à
Crevecoeur, Missouri, en 1837, âgé de 65 ans, ce qui
correspond exactement à sa date de naissance bordelaise.
Un an plus tard, en 1838, nous rapporte le manuscrit déjà
cité, un solicitor américain se présentait en France chez
les descendants de Pierre LAFFITE, la famille GOYETCHE,
afin d'obtenir de celle-ci des pouvoirs destinés à
recouvrer sa fortune bloquée dans des banques américaines.
Cela lui fut refusé.
II Alexandre LAFFITE
Curieusement, on retrouve ce même prénom porté dans
la flibuste par un frère de Pierre et Jean LAFFITE, plus
connu sous le nom d'Alexandre Frédéric ou Dominique YOU,
ou bien encore sous le sobriquet de Capitaine You. Ce
personnage ayant suivi la même carrière que les deux
autres et participé aux mêmes opérations(2).
III Jean LAFFITE
Son identité est attestée par son acte de baptême de
1782 - le premier Jean étant sans doute décédé en bas âge,
d'où le même prénom donné au garçon suivant, habitude du
temps -. Il aurait donc eu 22 ans lors de son arrivée à la
Nouvelle-Orléans en 1804 avec son frère aîné Pierre. Cette
date de naissance correspond bien à celle que Jean LAFFITE
indiquera plus tard dans un "Journal", rédigé vers 1845-
1850 et miraculeusement retrouvé et publié en 1958 sous la
plume de Stanley C. Arthur (sous réserve d'admettre
l'authenticité de ce texte qui demeure controversé). Si la
date citée est bien la même, Jean LAFFITE déclare
cependant qu'il est né à Saint-Domingue et non à Bordeaux,
fils de Marcus LAFFITE et de Marie Zora NADRIMAL que nous
retrouverons dans la piste de Saint-Domingue. Que penser
de ce changement de localisation ? Serait-ce pour
camoufler ses origines et sa vie passée de flibustier...
alors que vers 1805/1810, quand il faisait commerce de
tout bois et particulièrement d'ébène à la Nelle-Orléans,
il affirmait être né à Bordeaux d'où il était parti jeune
avec ses parents pour Saint-Domingue, s'y être marié puis,
devenu veuf, s'être lancé dans les opérations que nous
connaissons. Par ailleurs, si l'on accorde foi au
"Journal" déjà cité, il aurait eu 48 ans quand il
rencontre, en 1830, Emma MORTIMORE, qu'il épousera en 1832
sous le nom de John LAFFLIN, ce qui le fait bien naître en
1782. Il en est de même pour sa date de décès en 1854, à
l'âge de 72 ans, d'où toujours naissance en 1782... (cf.
Georges BLOND et autres sources, dont GHC, réf. concernant
Stanley C. Arthur et son ouvrage "Jean LAFFITE, gentleman
rover").
La piste bordelaise est-elle la bonne ? Les conver-
gences sont multiples, sans pour autant être certaines.
Le manuscrit GOYETCHE, rédigé par l'historien Léonce
GOYETCHE, membre de l'Académie historique de Paris et
petit-fils de Pierre LAFFITE, ne peut être mis en doute.
Cependant, dans ce témoignage inédit, certaines dates ne
correspondent pas.
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Révision 28/12/2004