G.H.C. Bulletin 81 : Avril 1996 Page 1587
COMPTE RENDU DE LECTURE Pierre Bardin
Le songe antillais de Saint-John Perse
Renée Ventresque
L'Harmattan, 5 rue de l'Ecole polytechnique, 75005 Paris
130F
Renée Ventresque, maître de conférences à l'univer-
sité de Montpellier, nous avait présenté en 1987, au
colloque tenu à Pointe-à-Pitre pour les fêtes du cente-
naire de la naissance du poète, "L s Antilles de Saint-
John Perse, itinéraire intellectuel d'un poète", paru
depuis à l'Harmattan.
Dans ce dernier ouvrage, elle veut nous montrer que
les Antilles sont de plus en plus marquées dans les poèmes
au fur et à mesure que l'homme avance en âge. Pour cela,
elle s'appuie sur de nouveaux documents mis à jour depuis
1987, comme l'étude de la correspondance, des souvenirs de
l'enfance guadeloupéenne, mais surtout sur la recherche
des auteurs antillais présents dans la bibliothèque du
poète ambassadeur, Pointois de naissance.
Pour qui connaît la Guadeloupe, cela saute aux yeux,
notamment dans "Amers". Claude Thiébaut, à la demande de
Renée Ventresque, a raison de voir l'île dans "les promon-
toires ailés s'ouvrent au loin leur voie d'écume
bleuissante". C'est le dessin même des deux îles qui forme
un papillon. Encore, "L'homme de vigie parmi les ocres" ne
peut pas ne pas se référer à cette part e de la Grande-
Terre dont l'extrémité abrupte se nomme la Pointe de la
Grande Vigie. De longues heures passées à cet endroit,
avec la Porte d'Enfer, ses falaises percées par les
éléments, où s'engouffrent dans un grondement d'orage les
vagues déferlantes, ne laissent personne indifférent et
font imaginer des cavaliers conquérants. Qu'il me soit
permis de faire remarquer, amicalement, à l'auteur que ce
n'est pas sur cette aile de papillon, où se trouve l'Anse
Bertrand, que les Européens "sont venus de mer pour exé-
cuter leur oeuvre de conquête et de sang" mais à l'autre
extrémité de la deuxième île, à la Pointe Allègre, que
débarquèrent L'OLIVE et DUPLESSIS en juin 1635.
L'exploration de la bibliothèque, en particulier les
auteurs antillais, est une excellente idée. Elle permet de
montrer, quoiqu'il puisse avoir dit ou écrit, que l'île
natale, ses coutumes, sa langue, ses habitants, n'ont
jamais été oubliés. Bien sûr, il y a les auteurs
classiques, comme le Père Labat, Jules Ballet, M.A.
Lacour, ou "La flore et la faune de Saint-Barthélemy" d'A.
Questel. A propos de l'historien Lacour, Renée Ventresque
écrit : "De ces personnages illustres (...) de ces héros,
l'avant-propos de M.A. Lacour ne nous offre aucun exemple
mais on devine qu'il ne saurait s'agir ni de DELGRèS, ce
<>, ni de l'un quelconque des siens. La
gloire et la noblesse sont indubitablement du côté des
blancs." Il est vrai que, jusqu'à la parution de "La
Guadeloupe dans l'histoire" d'Oruno Lara en 1921, ou
encore celle d'Henri Bangou, nous ne disposions que de la
vision du camp vainqueur, donc a priori partiale. Mais
était-elle malhonnête ? A propos de DELGRèS, Lacour écrit
(vol. 3 p. 290) : "Delgrès n'était pas un homme cruel,
loin de là; il avait de la grandeur dans l'âme, de la
générosité dans le caractère." Est-ce être méprisa t vis-
à-vis de celui qui choisit la mort du héros plutôt que la
dégradation de l'asservissemnt ? Je ne le crois pas.
Il est intéressant de savoir que, si "Les cahiers
d'un retour au pays natal" d'Aimé Césaire ne figure pas
sur les rayonnages, Saint-John Perse a lu et annoté "Les
armes miraculeuses", "Soleil serpent", "Les chiens se
taisaient", Renée Ventresque précisant qu'il s'agit
d'annotations d'un poète lisant un autre poète, et non
d'une critique militante. Annotations également dans
plusieurs ouvrages du poète et romancier martiniquais
Edouard Glissant qui envoya et dédicaça "Malemort". Renée
Ventresque remarque que, si Saint-John Perse reste sur le
territoire de la poésie, Edouard Glissant se place sur le
même territoire lorsqu'il parle de ce dernier dans le
"Discours antillais" ou encore lorsque J. Bernabé, P.
Chamoiseau, R. Confiant font de même en déclarant que
"Saint-John Perse est l'un des fils les plus prestigieux
de la Guadeloupe".
Arrêtons-nous un instant sur la biographie dans
l'édition de la Pléïade. Renée Ventresque a raison
d'écrire que, s'il n'est pas le premi r qui rédige lui-
même sa propre biographie, Saint-John Perse nous présente
une "histoire trop belle pour être vraie". Il faut être
né. Si, par la branche maternelle, le poète peut reven-
diquer des alliances avec les plus anciennes familles de
l'île, la branche paternelle ne descend pas d'un cadet de
famille, Saint-Léger Léger, venu comme marin au XVIIe
siècle, mais du notaire parisien Prosper Louis Léger,
parti s'installer à Basse-Terre d'abord puis à Pointe-à-
Pitre en 1814. Le premier Léger à naître en Guadeloupe
sera le grand-père du poète, Alexis Edmond, en 1819. Je
conseille à Renée Ventresque de se procurer "L'ascendance
antillaise de Saint-John Perse" de Bernadette et Philippe
Rossignol, étude généalogique à mon sens définitive. Elle
pourra constater, comme elle le souligne, qu'il a
transformé "des faits quand cela lui convient".
Avec ce livre nous est offerte une nouvelle approche
d'Alexis Léger, Saint-John Perse, à qui il ne sera pas
trop tenu compte de sa licence poétique pour nous avoir
entraînés vers des ailleurs qui sont toujours plus beaux.
Bienvenue ! Bienvenue !
à tous nos hôtes - consanguins !
Qu'à tous s'étende la même palme !
Et toi que j'aime tu es là.
La paix des eaux soit avec nous !"
(Amers, Strophe IX.V)
NOUS AVONS REÇU
de Guy Stéhlé quelques pages de :
Matériaux pour l'histoire de la Martinique agricole
d'Octave Hayot, Fort de France 1881, réédité en 1938
concernant en particulier l'historique de l'habitation du
Chamflore, vendue à des familles allemandes en 1765, et
l'histoire d'un M. CLAVEAU, parti à l'époque révolution-
naire en laissant la garde de son habitation à sa servante
négresse Nanon, dont il avait une fille, Louise. Il ne
revint jamais; Nanon eut un fils, Saint-Prix, nègre, et
Louise, d'un blanc des hauteurs, trois fils, Jea , Saint-
Cyr et Avril. Au bout de 50 ans, la prescription en fit
des propriétaires.
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Révision 28/12/2004