G.H.C. Bulletin 80 : Mars 1996 Page 1564

Qui étaient les parents de Marie Françoise Adélaïde ?
Jean-Paul F. Jessé

     Je suis attaché aux  Caraïbes  où  j'ai  vécu un long
séjour heureux mais je n'ai jamais mis les pieds en Haïti.
J'ignorais alors tout de  ma  lointaine  ancêtre de Saint-
Domingue qui n'était  à  mes  yeux  qu'un vague personnage
mythologique hantant les traditions orales de la famille.

     Depuis, à mes heures perdues, j'essaye d'élucider  le
mystère des origines de  cette  ancêtre.  Il  s'agit  sans
doute d'une enfant du péché. Ceci ne présenterait bien sûr 
pas un caractère  exceptionnel  à  l'époque  et  dans  ces
lieux. Mais son parcours curieux retient l'attention. 
     Mademoiselle Bourrachot m'a aidé  par  ses   connais-
sances sur les liens entre l'Aquitaine  et  les  Antilles.
J'ai pu faire un sérieux pas en avant  en  consultant  une
brassée de documents  chez  un  notaire  des  environs  de
Puymirol. Je poursuivrai mes travaux à Aix et  Agen  mais,
en attendant, voici l'histoire de Marie Françoise Adélaïde 
dite Védrinelles (du nom de son protecteur).

                      **************

     Marie Françoise Adélaïde était créole. Elle était née 
vers 1780 dans l'île de Saint-Domingue, sur la côte  nord,
à Port-Margot près de la  ville  du  Cap-Français,  devenu
Cap-Haïtien lorsque Saint-Domingue a  été  baptisée  Haïti
par Dessaline.

     A quatre ans, elle est  embarquée  pour  Bordeaux  où
elle vivra jusqu'à l'âge de onze ans avant d'aller à Agen. 
Elle y restera trois ans. Après son séjour à  Agen,  alors
qu'elle avait quatorze ans, elle s'installera  au  domaine
du Camel, à La Sauvetat de Savères, chez son  bienfaiteur,
Antoine VÉDRINELLES Jeune (était-ce son père  ou  bien  un
très proche ami de son père ?). Antoine Védrinelles  était
un vieux garçon, propriétaire de nombreuses terres situées 
sur les communes de Teyrac, Puymirol, Saint-Martin  et  La
Sauvetat de Savères (domaine de Binet, moulin de la Prade, 
propriété  du  Camel).  Son  frère,  Bernard  Védrinelles,
vivait à Lamagistère. Antoine dotera  généreusement  Marie
Françoise de huit mille livres lors d'un  premier  mariage
avorté. Les mêmes huit mille livres deviendront huit mille 
francs, par la magie de la Révolution, lors de son mariage 
avec Jean SALESSES.  Antoine  Védrinelles  Jeune  en  fera
enfin son héritière "générale et  universelle"  (testament
mystique 10 ventôse an XIII, déposé chez Me Amouroux à  La
Sauvetat le 22 mai 1810, après son décès survenu  le  14).
Dans certains documents officiels, Marie Françoise portera 
le nom de Védrinelles (ou BÉDRINELLES).
 
     Selon la chronique familiale, elle avait été  emmenée
à La Sauvetat de Savères par son père en  même  temps  que
d'autres enfants (aucune trace n'a pu en être retrouvée  à
ce jour; ils n'ont vraisemblablement  jamais  existé).  Ce
père, disait-on, était riche. Il devait  s'installer  dans
une grande propriété des environs de  Puymirol  (de  toute
évidence, il s'agit de la propriété  du  Camel  dont  elle
devait hériter à la  mort  d'Antoine  Védrinelles  Jeune).
Toujours selon  le  mythe  familial,  le  père  d'Adélaïde
devait se faire protéger par la garde civile, à ses frais, 
contre les troubles de la révolution  et  les  bandits  de
grands chemins. Qui était cet homme ?
Sans aucun doute un colon ajoutait-on. Un colon qui  avait
choisi de ne pas laisser son enfant dans l'île  alors  que
les signes avant-coureurs de la révolte  se  multipliaient
qui allaient ouvrir la voie du pouvoir  à  Dessaline.  Les
métis devenaient alors, avec les colons blancs,  la  cible
de la vindicte des esclaves libérés.

     Pourquoi Marie Françoise a-t-elle suivi si  jeune  ce
parcours,  de  Bordeaux  à  la  région  de  Puymirol,   en
remontant, par  Agen  et  Lamagistère,  la  vallée  de  la
Garonne ? Peut-être a-t-elle été entraînée vers une région 
de France où se trouvaient les racines familiales  de  son
père ?
     Il serait utile de connaître  les  liens  migratoires
entre les  Antilles  et  l'Agenais  aux  XVIIe  et  XVIIIe
siècles pour comprendre la logique des déplacements de  ce
père hypothétique, si toutefois il est bien la raison  des
voyages de Marie Françoise.  L'histoire  de  l'Agenais  et
celle des Caraïbes sont liées.
     Il  y  a  tout  d'abord  l'épopée  du   régiment   de
l'Agenais.  Il  a  participé  à  toutes  les  guerres  des
Caraïbes qui ont opposé la France  aux  autres  puissances
coloniales européennes aux XVIIe et XVIIIe siècles. Alors, 
il était de coutume de récompenser  les  bons  soldats  en
facilitant leur  installation  sur  les  terres  conquises
quand, pour eux, l'heure était finie de guerroyer.
     Il y a, et cela nous rapproche des aventures de Marie 
Françoise Adélaïde, Guillaume LÉONARD de BELLECOMBE, natif 
de  Puymirol,  gouverneur  de  Saint-Domingue  fort  connu
(1782-1785) devenu ensuite gouverneur de Pondichéry.  "Les
LÉONARD, comme beaucoup d'habitants de  Puymirol,  étaient
de religion réformée, ce qui en Agenais a été  un  facteur
de départ vers les îles". (L. Bourrachot, lettre du 14  10
1995). Sans doute est-ce une  filière  à  poursuivre  dans
l'ascendance des familiers de Marie Françoise.   
     "La région Puymirol-Lamagistère a connu  pas  mal  de
migrants vers les Antilles. Puymirol était un centre actif 
d'exportation  outre-mer  de  produits  alimentaires.  Une
route, "la grande carrère", la reliait  à  la  Garonne  où
elle débouchait au lieu-dit Laspeyres  (aujourd'hui  à  la
limite exacte des deux départements) où  les  marchandises
étaient embarquées pour  Bordeaux  par  des  mariniers  de
Lamagistère ou des ports en amont" (L. Bourrachot).

     Curieusement,  le  parcours  de  Marie  Françoise  en
passant de Port-Margot à  Bordeaux  puis  Agen,  Puymirol,
Laspeyres et Lamagistère fera de sa  destinée  une  illus-
tration des  liens  de  l'Agenais  avec  l'île  de  Saint-
Domingue.
     En effet, alors qu'elle avait seize  ans  et  qu'elle
vivait depuis près de trois ans chez  Antoine  Védrinelles
Jeaune, elle se voit dotée d'un  curateur  "judiciairement
nommé par verbail du  douze  frimaire  de  l'an  V  (2  12
1796)". Il s'agit du citoyen  Géraud  AUGUY,  officier  de
santé vivant à Puymirol (reçu maître en chirurgie  à  Agen
en 1771). Trois jours après, un  contrat  de  mariage  est
dressé devant Me Amouroux à La Sauvetat de Savères,  entre
Marie Françoise ADÉLAïDE et le "citoyen Jean CASSE, maître 
de bateau, fils plus jeune et légitime de Guillaume et  de
Suzanne ABART, natif et  habitant  du  lieu  de  Laspeyre,
commune de Saint-Romain, canton de Lamagistère."


Page suivante
Retour au sommaire




Révision 28/12/2004