G.H.C. Bulletin 79 : Février 1996 Page 1532
Que sont devenus les manuscrits de Jean-Baptiste LEBLOND ?
Monique Pouliquen
De 1767 à 1784, Jean-Baptiste Leblond (1747-1815),
médecin naturaliste, parcourt les Antilles et l'Amérique
du Sud. Il visite ou séjourne à la Martinique, Sainte-
Lucie, Saint-Vincent, Trinidad, le Venezuela, la Colombie,
l'Equateur et le Pérou, traversant les Cordillères, au
milieu des révolutions qui agitent ces contrées. Il réside
ensuite en Guyane, de 1787 à 1802, à part de brefs séjours
en France.
Médecin-naturaliste du Roi, chargé par le Contrôleur
général des Finances de rechercher le quinquina en Guyane
française, il sillonne la colonie de 1786 à 1789, remon-
tant le cours du Sinnamary, du Maroni, puis de l'Oyapock
et de ses affluents. Il atteint la Haute-Guyane, dans des
conditions très difficiles, lève des tracés géographiques,
qui permettront la publication de la carte de Poirson. Il
prend contact avec les Indiens Roucouyennes (actuels
Wayana), perdus de vue par les Français depuis une
vingtaine d'années. Esprit curieux, il s'intéresse à la
fois à la géographie et à la géologie, à l'histoire
naturelle, à l'agriculture, aux moeurs et à l'histoire des
divers groupes ethniques qu'il rencontre, à la médecine.
Il adresse au Muséum d'histoire naturelle des centaines
d'échantillons de plantes, d'animaux et de minéraux.
Il lit à l'Institut et à la Société d'agriculture de
Paris des mémoires sur Bogota, sur le platine, sur le
quinquina, le maïs, le quinoa, l'indigo, le rocou, la
cannelle, le poivre, le girofle, le coton et sur la
vigogne, qui paraissent dans les publications des sociétés
savantes; il lit aussi à l'Académie de médecine diverses
communications sur les maladies tropicales.
Pendant la période révolutionnaire, il est député à
l'Assemblée coloniale de Cayenne, puis arrêté et renvoyé
en France, où l'Assemblée nationale le lave de toute
accusation, il devient ensuite président de cette assem-
blée guyanaise.
Rentré définitivement en France en 1802, il se
consacre à la publication de plusieurs ouvrages importants
- "Observations sur la fièvre jaune et les maladies des
tropiques, faites dans un voyage aux Antilles, à l'inté-
rieur de l'Amérique méridionale, au Pérou..."
Paris, 1805.
- "Voyage aux Antilles et à l'Amérique méridionale,
contenant un précis historique des révoltes, des guerres
et des faits mémorables dont l'auteur a été témoin, et
de nouveaux détails sur les moeurs et les usages des
nations sauvages et policées..."
Le tome premier paraît en 1813 chez Arthus-Bertrand.
Un autre tome fut rédigé, mais n'a jamais été publié,
contenant le récit de son voyage du Venezuela au Pérou,
et retour par la Guyane.
En 1814, paraît la
- "Description abrégée de la Guyane française..."
où Leblond propose une mise en valeur de la colonie à
l'aide d'Indiens, de colons blancs "tirés des prisons et
asiles d'enfants trouvés" et d'esclaves noirs.
Il décède à Mazille, commune de Luzy, dans la Nièvre,
où il résidait, le 14 août 1815.
Le manuscrit du "Voyage aux Antilles et à l'Amérique
méridionale..." passe alors aux mains de l'éditeur Nepveu,
qui doit se charger de la publication. Ferdinand Denis en
a reproduit un long passage, concernant les Indiens
Waraones de l'embouchure de l'Orénoque, dans son ouvrage
"La Guyane ou histoire, moeurs, usages et coutumes des
habitans de cette partie de l'Amérique", paru chez Nepveu
en 1823. Des extraits paraissent en 1826 dans le "Journal
des voyages", dans deux livraisons consécutives; la suite
annoncée semble ne pas avoir été publiée.
A son décès, Leblond laisse comme héritiers des neveux
et nièces vivant en France et deux fils métis qu'il a
reconnus; l'aîné, élevé en France, devenu secrétaire du
Président de la République d'Haïti, y décède vers 1830, le
cadet vit en Guyane. Il s'ensuit entre ces deux groupes un
long procès qui ne sera réglé définitivement que par un
arrêt de la Cour de Cassation, rendu le 15 mars 1831, qui
accorde aux héritiers de France les biens sis en métro-
pole, et au fils survivant, les biens sis dans la colonie.
Leblond avait fait le 12 octobre 1814 un testament, déposé
chez Estier, notaire à Paris, qui reglait sa succession en
France : il n'y faisait donc nulle mention de son second
fils, Fabien Flavin (né après son départ de Guyane et
qu'il n'a jamais vu), qui héritera seul des biens guya-
nais; d'autre part, il n'est fait dans le testament (non
plus que dans les divers jugements) aucune allusion aux
manuscrits et papiers de Leblond. La déclaration faite
après son décès par s n exécuteur testamentaire Claude-
Marie Leblond, d'Autun, mentionne simplement "plusieurs
ouvrages de littérature", évalués à 72 francs (Archives
départementales de la Nièvre).
Le libraire-éditeur Nepveu, dont la librairie se
trouvait à Paris, passage des Panoramas, à l'angle de la
rue Vivienne, décède en 1837 et lègue tous ses biens à son
épouse; l'inventaire après décès (minutes du notaire
Clausse) ne fait pas mention du manuscrit du "Voyage",
dont on perd alors la trace. On ne le trouve pas dans les
Archives de la Société de Géographie, conservées à la
Bibliothèque nationale. Le "Catalogue des manuscrits des
Bibliothèques publiques de France (départements)", dont
l'index général est paru en 1993, non plus que les volumes
consacrés aux Bibliothèques parisiennes, ne font aucune
mention de J.B. Leblond. Divers Guides d'archives étran-
gères relatifs à l'Amérique latine ne le citent pas.
Aux Archives nationales, par contre, on trouve de
nombreuses lettres et des mémoires rédigés par lui et des
documents le concernant, dans les fonds de la Maison du
Roi, de l'Agriculture, de l'Instruction publique, des
Finances, du Muséum, du Minutier des notaires parisiens,
ainsi qu'au Centre des Archives d'Outre-mer d'Aix-en-
Provence, qui conserve des dossiers nominatifs relatifs à
Leblond et à son fils Fabien-Flavin, ainsi que les
registres de correspondance entre le Ministre de la Marine
et les administrateurs de la Guyane. Leblond adresse aussi
au Ministre de la Marine et à celui de l'Intérieur, de
nombreuses réclamations (continuées après son décès par
son neveu Claude-Marie) pour percevoir une pension qui lui
avait été accordée par Louis XVI, supprimée sous la Révo-
lution, et jamais rétablie, de sorte qu'il mourut dans la
gêne.
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Révision 28/12/2004