G.H.C. Numéro 77 : Décembre 1995 Page 1501
Gabriel JOUVEAU DUBREUIL archéologue du sud de l'Inde
Madras le consulte pour le choix de ses jeunes archéo-
logues. On traduit ses livres, il est sollicité d'écrire
pour Cambridge. Lorsqu'un conflit au sujet de la forme
même que doit revêtir la pouja dans les temples de Siva
s'élève entre les prêtres de Vadalur-Sabai, c'est le
professeur Jouveau-Dubreuil qui est sollicité de donner
son avis au président de l'association des Temples du
district du South-Arcot à Cuddalore (4).
Membre de plusieurs sociétés savantes, il correspondait
avec de nombreux conservateurs de musées. Il sera membre
correspondant de l'Ecole française d'Extrême Orient le 1er
juillet 1939. Il reçut la grande médaille de bronze des
musées de France en 1941, les palmes académiques et fut
fait chevalier de la Légion d'Honneur en 1932 puis
officier de la Légion d'Honneur en 1935.
1932 sera une année difficile; atteint d'une typhoïde
foudroyante avec complications cardiaques, il sera traité
par son ami le médecin colonel Labernadie, chef du service
de Santé de Pondichéry qui écrira le 12 mai 1932: "Je
crois que je n'oublierai jamais le regard avec lequel vous
me scrutiez et m'imploriez, tandis que je me sentais
impuissant devant les faiblesses de votre coeur (...) Et
jour après jour, le regard s'apaisa et puis devint
joyeux..."
Le 8 juillet 1932 il écrivait de Paris à Monsieur
Pattabiramin:
"Je vous envoie une photographie qui n'est pas très
bien, mais comme je rajeunis de jour en jour, le mois
prochain je me ferai faire une meilleure photo. Sur le
bateau on me donnait 47 ans ! A Marseille on me donnait 40
ans. A Paris, je rajeunis d'un an tous les jours. Je n'ai
déjà plus que 35 ans. J'espère rester à cet âge car il ne
faut pas paraître trop jeune. Il vaut mieux être un homme
jeune qu'un jeune homme; les jeunes gens sont ignorants,
peu sérieux, pauvres, inconstants, maigres, avec des
cheveux trop noirs." Sur une carte de la même époque :
"Je me porte à merveille. J'ai acheté un complet bleu
foncé qui me rend le plus bel homme de Paris. Je n'ai plus
de rides; je porte entre 30 et 35 ans. Rien ne manque à
mon bonheur, excepté l'argent."
En 1939, le gouverneur de Pondichéry confia la
direction du Collège à Monsieur Josselin (5), Gaby furieux
entra dans une terrible colère et, d'après Monsieur
Dourthe, ancien professeur au même lycée, décida de
quitter Pondichéry (6). Il partit pour la métropole au
moment de la parution de son livre sur "Dupleix" en mars
1941.
Il retourna alors à la Guadeloupe, mais celle-ci
était sous le gouvernement de Vichy alors que Pondichéry
avait déjà prit le parti de De Gaulle. Il s'installa
d'abord à la Trinidad et écrivit à Pondichéry le 20 avril
1941: "Je pense beaucoup à vous et à l'Inde. Mais je pense
aussi que vous ne m'oubliez pas et que d'ailleurs
Pondichéry ne m'oubliera pas." Il pourra voir sa famille à
la Guadeloupe mais sera assigné à résidence chez son frère
à Saint Claude. Après un court séjour dans l'île, il
revient à Marseille et y publie la seconde édition de son
ouvrage "Dupleix ou l'Inde conquise" en 1942.
Passé l'hiver, il s'installera à Moux, petit village
de la Nièvre où il trouva une certaine quiétude; il y
achèvera au début de 1944, un ouvrage sur la Médecine
Arabe qui ne sera jamais publié. Quand le froid devenait
trop long et trop intense, il aimait se retirer à
Marseille où il sentait son "...désir de retrouver la
chaleur et le soleil, de revoir l'Inde...". Mais il
voyageait toujours à l'intérieur de l'hexagone, à Toulouse
puis à Pau et enfin à Paris en 1943, où il trouvera des
documents à la Bibliothèque nationale qui l'incitèrent à
écrire une troisième version de son "Dupleix", mais celle-
ci ne fut pas publiée.
Frappé par la maladie, il est opéré en novembre 1944
à Marseille et écrit le 8 mai 1945 :
"Je n'écris à personne, je suis frappé par la maladie
comme par la foudre...
Eh! oui, j'ai fait de grandes découvertes.
Les Romains à Pondichéry, c'est sensationnel.
Mais pour le moment, je suis mort..."
Il décéda à Paris le 14 juillet 1945 et la cérémonie
funèbre fut célébrée en l'Eglise Notre-Dame des Champs. Il
est inhumé au Père Lachaise.
Dans son ouvrage, Jean Renault nous trace son portrait:
"Sur des larges épaules, une tête qui s'impose immédia-
tement à l'attention: Nez bien fait non dénué de noblesse,
bouche bien fendue de parleur impénitent, aux lèvres
fines, serrées dans un provisoire silence, menton un peu
mou, peut-être, mais creusé d'une spirituelle fossette.
Bel équilibre d'une physionomie qui doit être mobile.
Derrière ses lorgnons, son regard semble à la fois sourire
et rêver mais il s'illumine brusquement de l'intérieur
devant l'intérêt, la beauté du spectacle, ou quand frémit
la bouche sous l'enthousiasme de la parole.
Il ne punissait jamais ou presque, lorsqu'on lui parlait
de consignes et autres mesures de coercition pour punir
les élèves il répondait: "ils sont si gentils !" Il
régnait dans ses classes une atmosphère de compétition
très familiale et de conversations très diverses. Ces
compétences étant admirées de ses élèves et de ses
supérieurs éblouis par tant de savoir et de facilité. Il
n'était pas rare de le voir, à la sortie d'un cours de
sciences naturelles, entrer dans une classe de
mathématiques. De là, une heure plus tard, il se rendait
en classe de physique. Et l'après-midi, le titulaire
défaillant, il occupait aussi aisément une chaire de
lettres. A certains moments, sa disponibilité tenait du
prodige. On ne savait d'où il tirait ses connaissances. Il
faisait chanter ses élèves et entonnait lui-même de vieux
chants tamouls. Il aimait interpréter la chansonnette
1900, le théâtre et il excellait dans les rôles de
Molière.
Il avait un coeur d'or, une absence totale d'égoïsme et
une inépuisable générosité: il payait des livres de
classe, des cahiers, des rétributions scolaires dont la
dette pouvait entraîner le renvoi des élèves pauvres. Il
aimait "les causeries familiales" qui avaient lieu le plus
souvent chez lui, dont l'hospitalité n'était jamais
lassée.