G.H.C. Bulletin 76 : Novembre 1995 Page 1471
Une passagère clandestine
Ginette Lecomte
En effectuant le relevé des "Embarquements pour les
Iles" à Nantes, destinés au fichier consultable aux
archives départementales de Loire-Atlantique (cf GHC p.
137, 167, 1429), j'ai découvert le document qui suit.
Cette feuille est glissée dans le rôle d'équipage du
navire "Le comte d'Artois", dans le registre de la Marine,
année 1778, cote 120 J 445. Le navire, parti de Nantes le
10 juin 1777, était arrivé au Cap le 17 août. C'est un
navire de 250 tonneaux, appartenant à MM COIRON frères,
armés par eux à Nantes, commandé par le sr Jean AUDUBON,
33 ans, de Paimboeuf, pour aller aux Cayes Saint Louis de
St-Domingue. On trouve la passagère en 1773 (120 J 433) :
BORGNET Marie Anne, veuve CARRÉ, de Nantes, embarquée de
Nantes pour les Cayes le 12 juin 1773 à bord de la "Belle
et Bonne". Aucun autre renseignement n'est donné.
***********
Nous soussignés, capitaine, officiers & passagers du
navire Le comte D'artois De Nantes, certiffions et
attestons qu'aujourd'hui jeudi vingt neuvième jour Du mois
De janvier De la presente année, je me suis apperçû, moi
capitaine, en visitant mon Rôle, que Madme marie anne
BORGNET, veuve CARRÉ, n'y Etait point portée; Et qu'etant
aux cayes Du fond, Elle m'avait assuré, ainsi qu'elle En
Est convenüe aujourd'hui, avoir obtenu de monsieur Le
comte de PARDAILLAN, commandant La partie Du Sud de L'isle
St Domingue, Son congé En bonne & Düe forme : J'y ai
D'autant plus ajouté foi que la dite Dame m'avait remis Sa
Declaration de Depart qu'elle avait fait au greffe Du
Siège Royal De St Louis, avec les trois publications
faites par L'huissier ainsi que D'usage. croyant De bonne
foi que le dit acte de Depart Etait veritablement Le congé
de la de (= dite) Dame, je le portai au bureau Des
classes, Dans L'intention de faire inscrire la Dame carré
Sur mon Rôle. mais Les commis du dit bureau, sans m'en
avoir prévenu, ont mis cet acte avec mes Expeditions &
n'ont aucunement fait mention de La dame, ainsi que je
L'ai aujourd'hui verifié avec La plus grande Surprise.
J'en ai aussitôt fait part à Mes officiers &
passagers, ainsi qu'à la dame carré qui, En leur présence,
n'a point fait Difficulté De Dire qu'elle Etait Dans
L'intention de tromper ma bonne foi, En me câchant que
Monsieur Le comte De pardaillan lui avait Refusé Son congé
& qu'elle craignait Si fort De perdre les cent pistoles
qu'elle avait déjà fournies pour son passage, qu'elle
Etait Décidée, Dans le cas que je me fusse apperçû Du
Défaut De congé, De Soûtenir qu'elle me L'avait remis.
comme Dans une circonstance pareille à la mienne La
Seule Ressource qui Reste, à qui n'a Rien à se Reprocher,
Est celle de manifester ingenüement Par un procès verbal
Combien peu J'ai participé aux Demarches Deplacées de la
de (dite) Dame, Demarches qui tendaient visiblement à
Mettre ma bonne foi à contribution, J'ai fait Dresser le
present pour me Servir & valoir ainsi que De Droit,
partout ou besoin Sera.
& après Lecture faite, J'y ai apposé au bas ma Signa-
ture, En présence De La De (dite) Dame qui y a volontai-
rement mis la Sienne, & De mes officiers & passagers qui
ont pareillement tous Signé, avec offre & promesse unanime
D'en certiffier au besoin & par Serment à la premiere
Requisition./.
fait à bord Du navire Le comte D'artois par le vingt
Septième Degré, cinq minutes De Latitude Septentrionale Le
dit jour & mois de la dite année 1778./. signatures :
NDLR Merci à Mme Lecomte, du CGO, de nous avoir transmis
la copie de ce document ainsi que les renseignements sur
son origine et sur la passagère. Le document original
avait été reproduit en photocopie dans le bulletin n° 77
(1993) du CGO et son président, Bernard Mayaud, membre de
GHC, nous a aimablement autorisés à le retranscrire.
Nous nous sommes efforcés de respecter l'orthographe,
la ponctuation, les majuscules, etc. Vous voyez ainsi que
la lettre majuscule initiale ne signifiait rien dans les
textes de l'époque.
Ce document est intéressant car il nous renseigne
avec précision sur les conditions des voyages de retour :
prix (cent pistoles !) et obligation d'obtenir un "congé"
pour éviter le départ de débiteurs indélicats. Ceux qui
envisageaient de quitter la colonie devaient donc faire
une déclaration de départ qui était publiée par huissier
par trois fois et, si aucun créancier ne se manifestait ou
ne s'opposait, le gouverneur accordait le congé.
C'est ainsi que, au XIXe siècle, on peut lire, dans
les journaux de Guadeloupe ou de Martinique, de nombreuses
déclarations de départ.
Signalons que dans la série F/5b (passagers), partie
pour Aix-en-Provence et en partie microfilmée et
consultable au CARAN, on trouve, pour Nantes, les cotes
suivantes, qui concernent les années 1764-1830 :
- 23 à 25 : arrivée des passagers venant des colonies;
- 53 et 54 : départ des passagers vers les colonies.
Il serait intéressant, pour nos collègues de Loire-
Atlantique qui sont en région parisienne, de comparer ces
microfilms avec les dépouillements faits par l'équipe
Pecquenard à Nantes. Apparemment, à Nantes, il n'y a que
les départs vers les colonies et, si tout a été dépouillé,
entre les années 1692 et 1792. Nous ne savons pas si les
registres 53 et 54 sont des doubles de ceux conservés à
Nantes ou les complètent.
Bien entendu, nous avons consulté le microfilm
F/5b/23 (passagers en provenance des colonies arrivés à
Nantes, de 1764 à 1789). Toutes les années y figurent,
plus ou moins complètes (avec quelques déclassements), ...
sauf l'année 1778, celle du retour de notre passagère !
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