G.H.C. Bulletin 76 : Novembre 1995 Page 1467
L'AMÉRIQUE ET LA BASSE-LOIRE AU XVIIIème SIECLE
Louis Le Bail
"Je prie monsieur le curai de Couaron de voulouaire bien
batiser lanfan de la négresse nommai Collet quante il
naitra. je vous prie de le batise comme esclave enfant
naturelle de la négresse nomé Collete du nègre nomme
Césare apartenan a Md Cottin ameriquaine la dite negresse
etan declarai aux greffe cequifai que tous cequi est
marque cidesus se doit faire sen dificulte.
J'ai lhonneur detre, Monsieur, votre très humble servante
Veuve Cottin".
24 desambre 1780
Cette lettre est jointe au registre paroissial de
Couëron pour l'année 1780. En rédigeant l'acte de baptême,
le curé l'a recopiée. L'enfant est né à la Corbardière,
village de la paroisse, chez Renée TURPIN, veuve de René
SENARD. Le sieur LERAY, chirurgien, a aidé la mère dans
les couches. Le bébé a été nommé Jean-Baptiste par Jean
GAVIOU, parrain, et Marie S. marraine (SENARD ?).
Les fautes d'orthographe sont parfois bien utiles :
elles permettent ici de retrouver la façon dont on
prononçait les mots au XVIIIème siècle : "voulouaire",
et surtout "Couaron", comme on dit encore aujourd'hui
quand on est un vrai "Couaronnais" (les autres disent :
"Couéron").
Un autre enfant d'esclaves est signalé quelques
années plus tôt à Couéron :
Le 6 novembre 1735 "a été inhumé au cemetier de Coueron le
nomé ACMET neigre de (...?) du lieu de la mine en Guinée,
décédé du jour précédent à la Noë-Marguain chez les demoi-
selles DROUIN après y avoir esté baptizé décédé du jour
précédent agé d'environ douze ans. Y ont esté présent
damoiselle Magdeleine DROUIN son (...?), Jean RUOR (?),
Jean-Charles FRESNEAU et autres qui ont déclaré ne scavoir
signer".
DROUIN est le nom d'une famille de négriers nantais : les
demoiselles en question étaient peut-être membres de cette
famille ? Couëron, aujourd'hui, est une ville de la
banlieue nantaise, sur la rive droite de la Loire. Le
grand homme du pays est Jean-Jacques AUDUBON, le grand
peintre naturaliste américain, beaucoup plus connu aux
Etats-Unis qu'en France. Son père, Jean AUDUBON, devait
avoir été mêlé au trafic d'esclaves, et possédait une
propriété à Saint-Domingue. Pendant la Révolution, il
avait été chargé de la défense des côtes bretonnes. Il
avait également une maison à Couéron, "La Gerbetière", où
il laissait son épouse pendant ses voyages.
L'état-civil de Nantes possède l'acte suivant :
"Fougère et Muguet audubon enfants adoptifs. Le dix-sept
ventôse, an second de la republique une et indivisible,
dix heures du matin, devant moi joseph theulier, officier
public élu pour constater l'état-civil des citoyens, ont
comparu en la maison commune Jean audubon, capitaine
Commandant la Corvette "Le cerbère", Bâtiment de la
république, âgé de quarante neuf ans, natif des Sables
d'olonne, département de la vendée, et Anne moinet son
épouse, âgée de cinquante huit ans, native de la ci-devant
paroisse de Saint-léonard de cette Commune, lesquels
assistés de rené toussaint, julien beuscher, fabricant,
agé de vingt-sept ans, demeurant section de la halle, rue
Rubens, et de julien pierre beuscher, chirurgien, marin,
agé de vingt-quatre ans, demeurant section de la frater-
nité, rue du marchix, et employé par continuation sur la
dite corvette Le Cerbère, m'ont déclaré adopter et recon-
naître dès ce moment comme leurs propres enfants, sçavoir
: un enfant mâle, nommé fougère, issu depuis le mariage
d'eux comparants contracté le vingt-quatre août mil sept
cent soixante douze, dans la commune de Paimboeuf en ce
département, de lui jean audubon avec une habitante de
l'amérique, morte il y a environ huit ans; et un enfant
femelle, nommé muguet, issu aussi, depuis le mariage
dudit, de lui dit jean audubon et d'une autre habitante de
l'amérique nommée Catherine bouffard, dont il ignore le
sort; les deux enfants ci-présents, âgés, le premier de
neuf ans qui échoëront au trois floréal prochain, le
second de sept ans, qui échoëront aussi au sept floréal
prochain, tous deux nés en Amérique; d'après cette décla-
ration que les témoins ci-dessus ont certifié véritable,
j'ai rédigé le présent acte que le père naturel et la mère
adoptive ainsi que les temoins ont signé avec moi les dits
jour et an.
citoyenne anne Moynet, Audubon, Jean Audubon, Beuscher J.,
Beuscher R., Theulier."
Fougère, le garçon, c'est Jean-Jacques AUDUBON, qui
passera une dizaine d'années à la Gerbetière avant de
retourner en Amérique (aux États-Unis cette fois, au lieu
de Saint-Domingue où il était né). Ses peintures d'oiseaux
lui apporteront la célébrité. Fougère, Muguet : ces
curieux prénoms s'expliquent par le climat de l'époque; en
1794, à Nantes, pour montrer son attachement à la Répu-
blique, on utilisait le nouveau calendrier : le trois
floréal, on célébrait la fougère, et le sept, le muguet;
ou même, des prénoms beaucoup plus marqués idéologiquement
tels que Carmagnole, République, Marat ...
Quelques actes relevés dans l'état-civil de Nantes, au
hasard d'autres recherches :
Décès :
"Le vingtième may mil sept cent cinquante et un a été
inhumé le corps de Marie DARGENCOURT, fille négresse âgée
d'environ onze ans, native du cap Français isle Saint
Domingue, décédée d'hyer chez le sieur Jean CORBEAU
marchand bourrelier en présence des soussignés.
Marie ESTABLES, CORBEAU".
(Paroisse Sainte-Croix)
Baptême :
18 mai 1771. Baptême "d'un nègre environ onze ans natif de
la côte d'or en Afrique, appartenant au sieur Jacques
Donatien BUQUOY négociant au bas de la Fosse (....) on lui
a imposé le nom de Emmanuel Auguste Claude".
Parrain : Claude LESCOUëT, jardinier; Marraine : Geneviève
RACAULT, non mariée.
(Paroisse St. Nicolas)
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