G.H.C. Bulletin 74 : Septembre 1995 Page 1421
A propos de TRONSON DU COUDRAY
Pierre Bardin
Après les élections de germinal an V (avril 1797) aux
Conseils des Cinq-Cents et des Anciens, ainsi que
l'arrivée de BARTHÉLEMY au Directoire, les royalistes
commencèrent à relever la tête. Le Directoire ne pouvant
admettre une opposition qui devenait une véritable contre-
révolution décida d'y mettre fin. Ce fut le coup d'état du
18 fructidor an V (6 septembre 1797) mené par le général
AUGEREAU, qui vit l'arrestation et l'enfermement au Temple
de ceux considérés, à tort ou à raison, comme les plus
dangereux et leur condamnation, sans jugement, à la dépor-
tation en Guyane, suivant les termes d'une loi votée le
lendemain. Cette précipitation peut s'expliquer par le
désir de frapper vite et fort, et aussi d'obtenir l'appro-
bation de bon nombre d'attentistes qui se refaisaient une
virginité politique à peu de frais.
Ils furent 15 ainsi condamnés.
En réalité 16 firent le voyage, car Barthélemy, au moment
de partir pour Rochefort, vit arriver son domestique
LETELLIER qui lui déclara ne pouvoir l'abandonner dans
l'épreuve qui l'attendait.
L'avocat
Parmi les partants, celui qui nous intéresse, Guillaume
Alexandre Tronson du Coudray, avocat de très grand talent,
qui avait fait une entrée fracassante dans les prétoires,
en obtenant en 1781, l'acquittement d'un nommé CAZEAUX,
arrêté, mis au cachot enchaîné, accusé de l'enlèvement et
de l'abandon d'un enfant sourd-muet, recueilli ensuite par
l'abbé de L'EPÉE. Pour ceux que ce procès intéresserait,
ils y trouveront tous les éléments qui feront la gloire
des romans populaires au XIXe siècle, chers à Alexandre
Dumas, Xavier de Montepin ou Hector Malot.
Elément pour le moins cocasse, Tronson du Coudray fut
choisi non seulement pour son talent mais aussi pour sa
voix forte, bien timbrée, car le principal défenseur, Elie
de BEAUMONT, n'avait qu'un faible filet de voix. Rappelons
qu'il s'agissait d'un procès où la figure principale était
un sourd-muet dont les défenseurs utilisaient les talents
d'un interprète de la langue des signes.
Tronson du Coudray est entré dans la grande histoire
pour s'être porté volontaire comme défenseur du Roi Louis
XVI lorsque l'avocat TARGET s'était récusé; cette demande
fut refusée. Lorsque le tribunal révolutionnaire demanda
des volontaires pour défendre la Reine Marie-Antoinette,
Tronson du Coudray se présenta à l'accusateur public
FOUQUIER THINVILLE en compagnie d'un autre avocat,
CHAUVEAU-LAGARDE, ce qui n'était pas une mince preuve de
courage en cette période de terreur.
Dès la condamnation et l'exécution de la Reine, ils
furent tous les deux arrêtés, conduits à la prison du
Luxembourg par mesure de sûreté et pour 24 heures
seulement, après avoir subi un interrogatoire mené par
Henri VOULLAND membre du comité de surveillance et de
sûreté générale de la Convention nationale.
"Le citoyen Tronson (...) déclare n'avoir reçu aucune
confidence de la veuve CAPET et nous a remis à l'instant
deux petits anneaux d'or et une touffe de cheveux qui
devaient être remis à la citoyenne nommée HIAREY demeurant
à Livry chez la citoyenne LABORDE, se contentant de lui
dire qu'elle était son amie..."
Dès sa sortie de la prison Tronson du Coudray par prudence
se retira à Boussy-Saint-Antoine (78), où il possédait une
propriété, y attendant des jours meilleurs, et c'est de là
qu'il revint à Paris au Conseil des Anciens où l'avaient
envoyé les électeurs de Seine et Oise.
La déportation
Le 20 fructidor an V, dès que la loi de déportation
fut votée, les condamnés, enfermés dans des cages de fer,
transportés sur des charrettes, furent envoyés à Rochefort
qu'ils atteignirent après un voyage de 14 jours.
Ils furent immédiatement embarqués sur la corvette "La
Vaillante" qui appareilla le 25 septembre pour Cayenne où
ils arrivèrent le 11 novembre après avoir subi une tempête
de 17 jours dans le golfe de Gascoqne. Enfermés à fond de
cale, sans air, quasiment sans nourriture ni hamac pour se
coucher, on imagine sans peine les dégâts physiques et
psychiques que subirent des organismes peu habitués à ce
genre de traitement. A peine arrivés à Cayenne ils furent
embarqués pour Sinnamary où Tronson du Coudray décéda
"d'une fièvre putride", dans les bras de BARBÉ MARBOIS le
4 messidor an VI (23 juin 1798), c'est à dire 6 mois après
son arrivée. Il avait 48 ans.
Parmi ses compagnons de déportation les plus connus,
on peut citer le général PICHEGRU qui s'évadera, LAFFOND
LADEBAT qui attendra sa libération, DELARUE, qui s'évadera
et deviendra conservateur des Archives nationales, BOURDON
de L'OISE, dont on se demande comment il a pu être
étiqueté royaliste; conventionnel, ami de Barras, il
mourra à Sinnamary; sur les 16 déportés, 8 disparurent en
moins d'un an, soit en Guyane ou au cours de leur évasion.
Parmi eux le brave LETELLIER qui n'avait pas voulu quitter
son maître BARTHÉLEMY; ce dernier retrouva la France.
Celui qui leur survécut fut BARBÉ MARBOIS. Comme Laffond-
Ladebat il attendit sa libération et mourut couvert
d'honneurs le 16 janvier 1837 à 92 ans.
Tronson du Coudray l'avait désigné comme son exécuteur
testamentaire. Le 20 fructidor an V, par une procuration
rédigée dans la tour du Temple, il avait nommé le citoyen
Louis François FÉVAL, homme de loi, arrêté puis relâché,
pour régler toutes ses affaires financières. C'est donc ce
dernier, lors de l'inventaire après décès, effectué le 16
pluviôse an VII (6 février 1799) qui apporta au notaire
une boîte envoyée par Barbé Marbois, renfermant la montre
et la médaille de député ainsi qu'une somme de 3000 francs
restant des 6000 francs qu'avaient rapportés en Guyane la
vente du mobilier et des effets de Tronson du Coudray.
Féval avait réglé les dettes.
Il faut reconnaître que tous les condamnés ont comme
souci principal (en dehors du devenir de leur famille) de
régler leurs créanciers. Ils s'apitoient peu ou pas du
tout sur leur avenir. Nous connaissons tous ces détails
par des lettres qu'ils écrivirent à leurs familles ou à
leurs amis durant leur transfert du Temple à Rochefort.
Ces lettres ne parvinrent jamais à leurs destinataires, le
ministre de la Police les ayant fait saisir. Elles sont
aujourd'hui dans le fonds Directoire des A.N. et furent
intégralement publiées au XIXe siècle par Pierre Victor.
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Révision 22/12/2004