G.H.C. Bulletin 74 : Septembre 1995 Page 1414
La MONTANSIER à la Martinique
Marcel Chatillon
Une agréable biographie de La Montansier vient de paraître
chez Perrin, écrite par Patricia Bouchenot Dechin.
La Montansier reste la plus célèbre directrice de
théâtre des XVIIIème et XIXème siècles, puisqu'elle ouvrit
à Versailles un théâtre où toute la Cour se précipitait
(théâtre qui vient d'être rénové). Après la Révolution,
elle s'installe au Palais-Royal et crée le Théâtre des
Variétés.
Née en 1730 à Bayonne, fille d'un modeste commerçant,
elle s'appelait de son vrai nom Catherine BRUNET. Après
des études chez des religieuses, elle fut prise en charge
par sa tante, à Paris, et elle adopta son nom MONTANSIER,
auquel elle ajouta la particule.
Cette tante, marchande de mode, l'initia à la vie
galante. Elle ne tarda pas à devenir la maîtresse d'un
conseiller à la Cour nommé HURSON, qui fut nommé en 1750
intendant à la Martinique. Avec la femme d'HURSON,
Marguerite fait partie du voyage. Elle mène à Saint-Pierre
à la fois une activité galante et commerciale. Hurson
devait mal prendre la chose et, de conserve avec le
gouverneur BOMPAR, il écrit au ministre qu'ils renvoient
la Brunet en France d'où elle ne devra pas revenir.
C'est en consultant les volumes de la collection
Moreau de Saint-Méry que nous avons trouvé cette lettre
qui avait été communiquée à l'auteur de la biographie.
Il nous a paru intéressant d'en publier l'intégrale (1).
Par la suite, tout en continuant sa vie galante, elle
s'occupa de théâtre, ce qui lui assura une position en vue
et de solides revenus. En 1797, BONAPARTE cherchait à
faire un beau mariage et BARRAS conseilla à son protégé
d'épouser la Montansier très riche, malgré ses 67 ans.
Mais Bonaparte préféra Joséphine (c'est tout au moins ce
qu'affirme BARRAS dans ses Mémoires, mais ils sont très
sujet à caution). Quoi qu'il en soit, on ne saurait trop
recommander cette biographie de La Montansier, personnage
haut en couleur, qui devait mourir à plus de 9O ans.
**********
Martinique, 25 mars 1753
Nous renvoyons en France par le navire "Le Fidèle",
capitaine SURZEAU, de Bordeaux, la nommée Magdeleine
Brunet, du moins c'est le nom que cette fille a pris ici.
Vous êtes déjà instruit de la raison que nous en avons,
mais pour vous en assurer, nous allons avoir l'honneur de
vous les retracer en peu de mots.
Cette fille, qui est de Bayonne et que plusieurs gens
de ce pays disent avoir vue servante dans son pays, a fait
déjà quelques voyages dans les colonies, et vers la fin de
l'année 1750, elle arriva à Saint-Pierre avec un nommé
RENÉ, Bordelais, qui la faisait passer pour sa femme.
M. de Bompar découvrit que cette fille n'était point
sa femme et que René était marié en France où il avait
femme et enfants. Il l'envoya chercher et l'obligea de
s'en séparer.
Depuis ce temps, après plusieurs aventures, elle
s'est associée avec un négociant de ce pays nommé ORIEL,
et peu après cette association, nous fûmes instruits d'une
scène très scandaleuse arrivée en 1752 dans laquelle elle
avait joué le principal rôle.
Elle alla se promener avec le sieur ORIEL et un de
ses amis, hors de Saint-Pierre, et elle mena avec elle une
jeune fille de ce bourg. Elle fut jusqu'à une habitation
voisine, elle y coucha sous prétexte qu'il était trop tard
et, pendant la nuit, elle et la compagnie, livrèrent la
jeune fille à l'économe de cette habitation. Les plaintes
nous en furent portées quelques mois après, parce que
cette jeune fille était devenue grosse. Cette affaire fut
assagie par le bon office de l'ami de la Brunet et elle ne
fut pas poursuivie en justice.
La société continua avec le sieur Oriel et elle avait
ici une boutique de marchandises composées de fonds que le
Sieur Oriel lui avait confiés et de celles qu'Oriel et
elle prenaient chez différents capitaines.
Il a fallu payer et il y eut des condamnations de
saisie en différents tribunaux, et lorsque les créanciers
du Sieur Oriel ont été pour saisir, il s'est trouvé que
tout appartenait à la Brunet à la suite de plusieurs
ventes sous seing privé qu'il lui avait faites. Les
marchandises ont disparu et on n'a trouvé que les quatre
murs. Instruits de ces faits par plusieurs créanciers et
principalement les capitaines, M. de Bompar a pris le
parti de prier M. Hurson de la faire arrêter par des
huissiers pour éviter le scandale.
M. Hurson l'a fait arrêter et depuis qu'elle est en
prison il y a eu différents accommodements proposés par
les créanciers. Nous n'avons jamais prétendu arrêter le
cours de la justice et toute notre intention est, dans
toutes les occasions, de lui laisser un libre cours.
M. Hurson a à se reprocher d'avoir, au commencement de
cette affaire, engagé les créanciers à se prêter à quelque
accommodement, et cela dans la vue de rendre service au
sieur Oriel et d'éviter les frais. Ce qui a empêché à
quelques créanciers de se mettre en règle.
Le Sieur Oriel, mal conseillé, n'a voulu consentir à
aucun des arrangements. Il s'est présenté sous mains des
gens qui ont offert des secours, mais qui mettaient pour
première condition que la Brunet sortirait de prison et
reprendrait sa boutique et son commerce.
Nous avons répondu à ces propositions qu'il y avait
deux objets dans cette affaire : le premier qui regardait
la police générale et l'autre qui regardait les
créanciers. Qu'à l'égard de ces derniers, nous n'entra-
verons point qu'ils donnassent à leurs débiteurs tout le
temps et les facilités qu'ils jugeraient à propos, mais
que pour le premier article, nous voulions que la BRUNET
partît pour France et ne scandalisât plus personne dans le
pays.
Nous avons pris ce parti avec d'autant plus de raisons que
cette créature qui n'avait rien lorsqu'elle s'est liée
avec le sieur Oriel n'a, à vrai dire, aucun créancier et
que tous le sont du sieur Oriel, et que toutes les fausses
visites et contre-visites qui ont été faites n'ont eu
d'autre but que de dérouter les véritables créanciers du
sieur Oriel.
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