G.H.C. Bulletin 73 : Juillet-Août 1995 Page 1400

La frontière entre la Guyane française et le Brésil
Pierre Bardin

  
     En  Guyane,  régulièrement,  des légionnaires du 3ème 
régiment  basé à Kourou partent à travers la forêt  amazo- 
nienne vérifier que les bornes qui délimitent la frontière 
avec  le  Brésil sont toujours en place ou n'ont  pas  été 
déplacées.  Et,  croyez-moi,  retrouver une stèle tronçon- 
nique  d'un  mètre cinquante de  haut,  enfouie  dans  une 
végétation  dont la touffeur,  la luxuriance et la vitesse 
de croissance défient l'imagination,  n'est pas une prome- 
nade de santé.  D'autant que les coordonnées sont  souvent 
vagues et que le but de l'opération peut se situer dans un 
quadrilatère de 15 km de côté.  Chapeau, la Légion ! J'ose 
espérer que les techniques modernes ont été mises en place 
pour s'assurer que ces satanées bornes ne bougent pas. Car 
il faut souligner que,  depuis l'arrivée des Français dans 
cette partie du monde, les contestations n'ont pas manqué, 
entre les Portugais-Brésiliens au sud et les Hollandais au 
nord.  Cela  depuis  1596  environ jusqu'en 1891  où  l'on 
octroie  25.000 km2 à la Hollande puis en  décembre  1900, 
date  qui met fin au fameux "contesté" (suite à  l'affaire 
de  Mapa dont un monument rappelle la mémoire au cimetière 
de  Cayenne),  après  un arbitrage du Conseil  fédéral  de 
Lucerne,  donnant au Brésil quelques 26.000 km2. Tout cela 
s'appuyant sur des cartes et des relevés topographiques où 
l'on  aurait confondu la Rivière de Pinson avec  l'Oyapock 
par exemple. 
Le  document  qui suit figure dans les  archives  du  Quai 
d'Orsay  et montre que le ministre des Affaires étrangères 
de Louis XV,  se fiant aux rapports des autorités en place 
dans le pays, y délimite les frontières actuelles. Il faut 
ajouter que le ministre est un orfèvre, si j'ose dire, des 
choses  guyanaises,  puisqu'il se nomme CHOISEUL et  qu'il 
est  le véritable instigateur de la désastreuse  tentative 
de colonisation à Kourou entre 1763 et 1765.


Envoyé copie à M. BERKENROODE le 23 août 1770

Mémoire  d'après les éclaircissements envoyés par  MM.  de
FIEDMOND  et MAILLART (1) sur les prétentions des  Hollan-  
dais qui veulent restreindre nos limites dans la Guyane  à
la Rivière Sinnamary.

Dès  1723  les Hollandais prétendaient que la  Rivière  de 
Sinnamary  était la borne entre la colonie hollandaise  et 
celle de Cayenne.  M.  de MORVILLE,  alors ministre de  la 
Marine,  en  écrivit à M.  LEFEBRE d'ALBON,  ordonnateur à 
Cayenne,  et luy demanda des éclaircissements à ce  sujet. 
M.  d'ALBON,  en répondant le 19 octobre 1723, remonte aux 
principes  de  notre  établissement  dans  la  Guyane.  Il 
rapporte, d'après Kiennitz, auteur anglais, que :

- dès  1596 les Français commerçaient avec les Sauvages de 
la Guyane;

- qu'en 1625 des marchands de Rouen formèrent un  établis- 
sement  sur  la Rivière de Sinnamary,  que les  Hollandais 
voudraient nous donner pour bornes de nos possessions;

- qu'en 1633 d'autres marchands de la même ville formèrent 
une  compagnie et obtinrent par lettres patentes de  Louis 
XIII  la  concession  de tout le pays  renfermé  entre  la 
Rivière des Amazones et celle de l'Orénoque;
- que  ce n'est que longtemps après cette  concession  que 
les anglais se sont établis à Surinam,  qu'ils ont ensuite 
cédée  aux Hollandais,  mais que jamais ces derniers n'ont 
prétendu  pouvoir  s'étendre  au-delà  de  la  Rivière  de 
Maroni;

- que depuis 1706, qu'il était ordonnateur à Cayenne, on a 
toujours regardé cette rivière comme borne de nos  posses- 
sions et bien loin que les Hollandais l'ayent contesté, au 
contraire  ils l'ont formellement reconnue lorsqu'en  1689 
quelques  officiers  et soldats français  que  M.  DUCASSE 
renvoyait  à  Cayenne échouèrent auprès  de  Surinam,  les 
Hollandais firent avec ces officiers un traité dont un des 
articles portait qu'ils seraient transportés jusque sur la 
frontière  de  la  Colonie de Cayenne,  et ce fut  sur  la 
Rivière  de Maroni que l'officier chargé de leur  conduite 
les remit à M.  de FEROLLES,  lieutenant de Roy de Cayenne 
qui était allé pour les recevoir.

Les  Hollandais  ne peuvent alléguer que  c'est  faute  et 
ignorance  de  la  part  de  l'officier  chargé  de  cette 
conduite,  puisqu'il  a été déclaré par tous les  Français 
renvoyés  qu'on ne leur avait donné de vivres que ce qu'il 
leur en fallait pour gagner la rivière de Maroni.  D'après 
cette  lettre,  M.  de  MAUREPAS  ordonna  en  1724  à  M. 
d'ORVILLIERS, alors gouverneur, de soutenir les limites de 
Cayenne à Maroni et par une autre dépêche du 6 mars  1725, 
d'y  faire  construire un fort de pieux et d'y envoyer  un 
détachement de 50 hommes.  Toutes choses à cet égard  sont 
restées  dans  le  même  état,   jusqu'en  1749,   que  M. 
d'ORVILLIERS ayant envoyé une carte de Surinam dressée par 
les Hollandais dans laquelle on étendait leurs possessions 
jusqu'à la Rivière de Sinnamary.  M.  ROUILLÉ luy répondit 
le  31 août 1749 que c'était sans fondement et sans  titre 
que  l'on  avait  limité dans cette carte  la  Colonie  de 
Cayenne  à cette rivière,  que celle de Maroni a  toujours 
été  réputée la borne de nos possessions dans cette partie 
et  lui recommandait de prendre toutes les mesures  conve- 
nables pour empêcher les Hollandais de s'étendre au-delà.

En  1756,  les Hollandais ayant paru s'étendre au-delà  de 
Maroni,  M. DUNEZAT, alors commandant à Cayenne, y envoya, 
sous les ordres de M.  DESCOUBLANC,  un détachement qui  y 
campa  pendant un certain temps et fit des défrichés.  Ces 
différentes  opérations se sont faites à  la  connaissance 
des  Hollandais  sans  qu'il s'en soient plaints  et  sans 
qu'ils aient même fait la moindre représentation.
Enfin,  en 1766,  M. de FIEDMOND, voyant que le gouverneur 
hollandais  ne voulait point entendre parler  d'un  traité 
pour  la  restitution  respective des  déserteurs  et  des 
nègres fugitifs entre les deux nations,  a jugé nécessaire 
pour empêcher les désertions et le marronage, d'établir un 
poste  à  Maroni,  sans  que  les  Hollanais  s'en  soient 
plaints,  et  ce  n'est  que l'année dernière  qu'ils  ont 
demandé  la suppression de ce poste.  MM.  de FIEDMOND  et 
MAILLART  mandent que les Hollandais ne sont déterminés  à 
renouveler  cette  contestation qu'à la  sollicitation  du 
nouveau gouverneur de Surinam,  qui a vu avec peine que la 
situation  de  notre poste si près  du  leur  occasionnait 
beaucoup  de  désertions parmi ses soldats qui  étaient  à 
même  de reconnaître que les nôtres étaient beaucoup mieux 
traités qu'eux;  que ce même motif dégoûtant les nôtres de 



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