G.H.C. Bulletin 72 : Juin 1995 Page 1360
PRINTEMPS CRÉOLE 95
Philippe Camprasse
Pour sa troisième année, Printemps Créole a été inau-
guré par un colloque, organisé par Patrimoine créole et la
FADOM, et ayant pour thème "Les Créoles dans l'espace
francophone". Ce colloque s'est déroulé les 21 et 22 mars
1995 à la Maison des cultures du Monde, 101 boulevard
Raspail, à Paris 6 ème.
Mardi 21 mars 1995, le thème retenu était "Identités
créoles" qui a été étudié sous deux aspects principaux :
- le matin : "Le monde créole et la francophonie".
Cet atelier, animé par les linguistes, professeurs
d'université, Robert CHAUDENSON, Lambert-Félix PRUDENT,
Mesdames Annegret BOLLÉE et Dominique FATTIER, a été
l'occasion d'exposer les thèses expliquant la naissance du
créole comme langue, sa structure, son évolution et sa
difficulté de vivre ou d'exister de nos jours.
Ainsi, pour le professeur CHAUDENSON, président du
comité international des études créoles, et fervent
défenseur de la thèse selon laquelle il n'y a pas
d'influence de l'Afrique (langues et cultures) dans la
langue créole, le créole est la seule langue dont peut
cerner assez précisément la date de naissance : après
1660.
La langue créole observerait ainsi les trois lois de
la tragédie antique : l'unité de lieu, les îles, qui
constituent autant d'isolats, d'où la réalité de langues
créoles différentes selon les lieux où elles ont pris
naissance; l'unité de temps : après 1660, date à laquelle
sont apparus les premiers peuplements pérennes des îles;
l'unité d'action, c'est-à-dire le contact entre deux
communautés humaines, les européens et les esclaves. Ainsi
constate-t-on qu'au Québec, il y a eut peuplement sans
présence d'esclaves... et il n'y a pas eut émergence
d'une langue créole.
L'absence du professeur Alain KHIM, chercheur au
CNRS, n'a pas permis de développer l'autre thèse de la
structure des langues créoles : la présence d'un apport
africain.
Si dans les langues créoles, il n'y a pas de substrat
africain; en revanche dans les proverbes, les compor-
tements, la vie sociale, dans les arts (musique poésie,
cuisine...) (1), l'influence africaine (pour les Antillais
et les Guyanais) et l'influence malgache (pour les
Réunionnais) sont très importantes. Pourquoi ? Parce que
la langue est un système "fermé", que l'on accepte, ou que
l'on refuse, globalement. En revanche dans les manières de
vivre, de se comporter, en poésie ou en peinture l'osmose
entre différents apports est très facile.
Le créole est une langue officielle pour un seul Etat
dans le monde, les Seychelles, qui a mis cette langue sur
le même plan que l'anglais et le français. Ces trois
langues cohabitent fort bien sans "se détruire" les unes
les autres. Telle a été l'essentiel de l'intervention de
l'ambassadeur des Seychelles en France.
Il y a 1,5 million de créolophones sur les 5 millions
de francophones dans le monde.
La difficulté d'être et d'exister des créoles de nos
jours est présentée par le professeur Lambert-Félix
PRUDENT en exposant cinq constatations :
* - la norme de l'expression, orale et écrite, et de
l'appréciation scolaire et universitaire est française
dans les Antilles françaises; le français y est la langue
légale et le cadre éducatif est français;
* - actuellement, les jeunes Antillais ne parlent pas
volontiers créole, mais français; entre eux comme à leurs
jeunes enfants; par conséquent l'usage des créoles se
perd;
* - les créoles sont de plus en plus francisés
aboutissant à une perte qualitative; par exemple le texte
même des chansons toutes récentes de la musique zouk est
souvent une traduction française -"ouw en kè en mouen... =
tu es dans mon coeur..."; les Anciens de 55-70 ans ne
comprennent plus les créoles antillais couramment parlés
de nos jours;
* - du fait du développement de l'instruction
publique, de l'éducation ayant pour idéal le modèle
français hexagonal, on parle globalement mieux le français
de nos jours en Guadeloupe et en Martinique;
* - les créoles souffrent, et vont souffrir, du
développement de la technique et de la recherche scienti-
fique : l'ordinateur ne peut accepter la langue créole -
c'est une question technique - alors qu'il accepte techni-
quement l'arabe, le chinois, le japonais.
Ainsi, l'usage des créoles recule-t-il aussi bien en
Guadeloupe et Martinique que dans les communautés antil-
laises installées en Métropole.
- l'après-midi : "Y a-t-il des cultures créoles ?"
Atelier animé par le professeur Francis AFFERGAN,
université de Nice.
Le débat, très académique, a porté sur trois thèmes
principaux :
* - le sens à donner au singulier ou au pluriel
utilisé dans l'expression "cultures créoles" : orateurs et
intervenants auraient tendance à accepter le pluriel en
indiquant que la culture créole est différente selon les
lieux géographiques, les isolats, où elle s'est développée
* - le terme de créole : son origine, géographique
(Amérique du Sud), historique (XVIIe siècle) et linguis-
tique (espagnol/portugais), son sens ancien -(Européen né
dans les colonies)- et actuel d'ailleurs différent (2), sa
définition vieillotte (originelle) dans les dictionnaires
français;
* - la grande difficulté de définir, selon les
critères universitaires français, le terme de "culture",
comme celui de "créole" d'où la double difficulté de
définir objectivement les termes de "culture créole".
Le mercredi 22 mars 1995, le thème général était
"citoyenneté créole" et le principal animateur, M. Jean-
François REVEL, écrivain, éditorialiste à l'hebdomadaire
Le Point.
- le matin : "le monde créole dans la cité", avec trois
orateurs et une présentation de Jean-François REVEL.
* - M. J.-F. REVEL place le thème de cette matinée
dans l'évolution historique et géographique des migrations
internationales.
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