G.H.C. Numéro 68 : Février 1995 Page 1282

Croisière aux isles au temps de la guerre d'Amérique
Bernadette et Philippe Rossignol

                              A bord de L'oiseau à Brest
                              le 14 avril 1776

Monseigneur


  J'ai  l'honneur de vous instruire de mon arrivée dans ce 
port  hier  au soir avec la frégate "L'oiseau"  après  une 
traversée  de  34 jours qui aurait dû être  beaucoup  plus 
courte  par la célérité avec laquelle je suis arrivé à  la 
Sonde,  y ayant été rendu dans 22 jours,  si je n'y  avais 
été  retenu  12 jours par des vents de N.E.  qui ne  m'ont 
permis de donner dans l'Hyvoise que hier matin.

  J'ai  passé  dans  les isles du Vent  depuis  le  19  de 
novembre  1775  jusqu'au  10 de mars de cette  année  à  y 
remplir  selon vos ordres les différentes destinations  et 
les croisières que M. le comte de NOZIèRES m'y a désignées 
et  j'ai  eu  l'honneur de vous rendre compte  pendant  ce 
temps là de ma navigation dans ces mers par 5 lettres  que 
j'ai  eu l'honneur de vous écrire en date du 30  9bre,  18 
Xbre,  8 janvier, 31 janvier et 18 février. J'ai fait tout 
ce qui a dépendu de moi pendant mon (sic) station dans ces 
colonies   pour  y  remplir  dans  tous  les  points   les 
instructions  que  vous  m'aviez données et je  n'en  suis 
parti que n'ayant plus que deux mois de vivres pour  faire 
ma traversée en France.
  
  C'est de la Basse-Terre dans l'isle de la Guadeloupe que 
j'ai  fait  ma  dernière  partance  le  10  mars  et  j'ai 
l'honneur de vous envoyer par ce même courrier les paquets 
dont  Mrs  le  comte de NOZIèRES et d'ARBAUD  et  Mrs  les 
présidents  de  PEYNIER et TACHER m'ont chargé  ainsi  que 
toutes les différentes dépêches qui m'ont été remises à la 
Martinique et à la Guadeloupe pour vous être adressées.
  Je  n'ai  d'ailleurs  aucun compte  particulier  à  vous 
rendre de ma navigation des isles du Vent ici; j'ai trouvé 
à  la hauteur de Mayda une flotte de 7  bâtiments  anglais 
escortés par une frégate que j'ai jugé faire route pour la 
mer septentrionale.      
  A  90  lieues  environ  des  côtes  de  Bretagne,   j'ai 
rencontré  un bâtiment français venant de la  Méditerranée 
et  allant  à  Boulogne  qui  était  depuis  si  longtemps 
contrarié par les vents qu'il ne lui restait plus que pour 
8 jours de biscuit;  je lui en ai fait fournir pour lui en 
compléter  3 semaines,  ce qui m'a été d'autant plus  aisé 
que son équipage n'était composé que de 7 hommes.

  J'ai eu l'honneur de vous rendre compte par ma lettre du 
8  janvier  de  la  prise que j'ai  faite  d'une  goélette 
chargée  de  56 nègres que j'ai arrêtée dans la  rade  des 
Saintes parce qu'à tous égards elle m'avait paru  suspecte 
et que j'avais conduite à la Basse-Terre pour qu'il en fût 
décidé.  Cette  goélette  avait été jugée bonne prise  par 
l'amirauté.  Le  propriétaire  anglais qui  n'était  qu'un 
prête-nom  en  avait  appelé au conseil  supérieur  qui  a 
confirmé la sentence de l'amirauté le 8 mars. Ce bâtiment, 
qui  est la seule prise que j'ai faite,  est le  seul  que 
j'ai  arrêté pendant toutes mes croisières et conduit dans 
les ports de nos isles.

  Les forces navales anglaises que j'ai laissées dans  ces 
parages  sont  un  vaisseau de 50 canons commandé  par  le 
contre  amiral YONG et 4 frégates de 26 à 16  canons.  Ces 
bâtiments  sont  employés à croiser avec  la  plus  grande 
rigueur  contre  ceux  de la Nouvelle-Angleterre  dont  il 
s'échappe  toujours  quelques-uns  qui  entrent  dans  nos 
ports,  mais il s'en faut de beaucoup qu'il y en vienne la 
quantité  qui  serait nécessaire pour  approvisionner  nos 
colonies  de bestiaux,  bois et autres denrées  de  grande 
nécessité  dont  elles manquent tout à fait  depuis  cette 
guerre qui paraît devenir tous les jours plus vive et plus 
cruelle.  Le  gouvernement  anglais vient d'autoriser  les 
particuliers à armer en course contre les nouveaux  angle- 
terriens  et,  quand  je suis parti,  il était déjà  sorti 
quelques corsaires de la Dominique.

  Je ramène ma frégate en fort bon état tant pour le corps 
du  bâtiment  que pour la mâture qui n'ont  essuyé  aucune 
sorte d'avarie pendant toute ma campagne. Cette frégate se 
comporte  parfaitement  à  la mer et a  toutes  sortes  de 
bonnes qualités relatives à la navigation;  elle va  bien. 
Je  ne  crois  pas cependant qu'on puisse  jamais  espérer 
qu'elle  ait ce qu'on appelle une marche  supérieure.  Son 
grand défaut est le peu de capacité de ses fonds qui  fait 
qu'avec  5 mois de vivres,  armée en guerre,  et 7 mois de 
vivres,  armée en paix,  on est obligé de placer dans  son 
entrepont ses farines,  ses légumes, ainsi que ses câbles, 
ce  qui resserre beaucoup le logement de  l'équipage,  ôte 
celui  qui serait si nécessaire à conserver pour y  placer 
des malades et peut sans doute nuire beaucoup à sa marche.
  Mon  équipage se porte très bien.  Je n'aurais pas perdu 
un seul homme depuis mon départ de L'Orient si je  n'avais 
eu le malheur d'avoir deux matelots qui sont tombés en mer 
pendant  ma  traversée  en  France sans  qu'il  m'ait  été 
possible de les sauver.  je n'ai d'ailleurs pas eu un seul 
malade  et n'ai mis à l'hôpital pendant tout mon séjour  à 
l'Amérique qu'un mousse qui avait été blessé grièvement  à 
la tête par une chute. Mes officiers jouissent aussi d'une 
bonne santé; mes gardes de la marine ont été seuls malades 
mais  je  les ramène se portant fort bien : Mr  de  FLER.. 
(marge  :  la fin manque sur le microfilm) a eu la  petite 
vérole,  à la Basse-Terre très heureusement; Mr de NEGRIER 
y  a  eu quelques accès de fièvre et Mr de TENTINIAC a  eu 
aussi quelques jours la fièvre à l'hôpital du Fort-Royal.

  Quant à la dépense de ma frégate pendant mon séjour dans 
ces isles,  je crois qu'il serait difficile d'en faire  de 
plus  modique;  en  ôtant  ce que ces trois gardes  de  la 
marine  et  le  mousse  blessé à la  tête  ont  coûté  aux 
hôpitaux, ce qu'il n'était pas en mon pouvoir de prévenir, 
et les comptes des rafraîchissements en viande fraîche  et 
en  quelques  légumes qui ont été fournis à  mon  équipage 
dans  les  relâches que j'ai faites au Fort-Royal et à  la 
Basse-Terre,  ce qui avait été réglé à 2 jours par semaine 
à  la Martinique et un jour à la Guadeloupe quand  j'étais 
au mouillage, et qui m'ont paru absolument nécessaire pour 
la conservation de la santé de mes matelots pendant une si 
longue  campagne,  la dépense pour la frégate monta  à  10 
livres  10  sols pour quelques ouvrages de forge que  j'ai 
été obligé de faire faire au Fort-Royal.





Page suivante
Retour au sommaire
Lire un autre numéro





Révision 25/08/2004