G.H.C. Numéro 67 : Janvier 1995 Page 1256

Une famille de Saint-Domingue dans la tourmente révolutionnaire
Nicolas Javary

     La  révolution  de Saint-Domingue fut  une  des  plus 
violentes de la Caraïbe.  On peut citer l'exemple édifiant 
de  l'habitation  GALLIFET où les  révoltés,  après  avoir 
massacré toute la population blanche,  brandirent toute la 
journée un enfant mort au bout d'une pique.
     A   la  lecture  des  "souvenirs"  qui  suivent,   il 
semblerait  que la famille de MILHAU eut plus de chance  ! 
Il s'agit d'une note manuscrite rédigée en 1898 par Madame 
Emile de THÉZAC,  née Louise de BALBY de  VERNON,  petite-
fille  de la comtesse de MILHAU,  née Justine de GRENON de 
PINSAULT. Cette note était adressée à son neveu Albéric de 
MARE, grand-père maternel de Monsieur Loïc de FOUCHIER qui 
nous l'a très aimablement transmise.

     "Grand-mère  de  GRENON  de  PINSAULT,   comtesse  de 
MILHAU,  dont la mère était née de MAISONNEUVE, fut élevée 
chez  les Dominicains de Bordeaux;  elle revint  chez  ses 
grands-parents  à Saint-Domingue et épousa,  le 12 juillet 
1791,  Michel  César comte de MILHAU,  commissaire  de  la 
Marine aux Cayes (Ile de Saint-Domingue),  fils de Jacques 
de  MILHAU  (médecin du roi,  habitant le quartier  de  la 
Marmelade,  dépendance  du  Cap)  et  de  Marie  Madeleine 
COUSARD de LA BOUCHERIE.
     La  Révolution éclata;  sa tête fut mise à prix et un 
oncle,  l'amiral de SERCEY,  dont le navire louvoyait  sur 
les  côtes  pour sauver la jeune famille  de  MILHAU,  put 
recueillir mon grand-père mais ma grand-mère, au lit, d'un 
accident provoqué par l'émotion,  ne pouvant se lever,  sa 
mère au bout de trois jours lui dit : "Mourir pour mourir, 
ma  fille,  il  faut sortir d'ici."  Deux  nègres,  restés 
fidèles,  l'emportèrent  dans  les cannes à sucre où  elle 
resta trois jours après lesquels elle put,  avec sa  mère, 
rejoindre  le navire et débarquer à Baltimore,  d'où elles 
gagnèrent New York.
     Il fallait vivre !...  On n'avait emporté que peu  de 
choses, croyant revenir. L'argenterie, les bijoux, avaient 
été  enterrés dans l'habitation.  Mon  grand-père,  intel- 
ligent, ayant des aptitudes pour la chimie et la médecine, 
savait beaucoup. Il utilisa ses connaissances et fonda une 
pharmacie mais, surtout, des petites pharmacies portatives 
que  les colons éloignés achetaient pour leurs propriétés. 
Cela lui créa d'importantes ressources qu'il partagea avec 
les émigrés dont sa maison était le refuge.
     L'un d'eux,  le comte ...  avait emporté de France un 
lys  qu'il avait voulu offrir à ma grand-mère qui  le  lui 
refusa  :  "Quand  les Bourbons reviendront,  je  l'accep- 
terai." Il sut, un des premiers à New York, la nouvelle de 
la Restauration;  heureux, il porta le lys à ma grand-mère 
qu'il  trouva  au chevet de  mon  grand-père,  mourant  du 
typhus. (19 février 1816).
     Plus tard,  l'aîné, John de MILLAU, demanda à sa mère 
de continuer la pharmacie centrale fondée par son père; il 
se   maria  avec  la  fille  d'un  émigré  de   Baltimore, 
Mademoiselle  Philis GUILLON,  dont il eut douze  enfants, 
six  morts  en bas âge et un seul des six  vivant  encore, 
Léon  de  MILHAU,  marié à Mademoiselle MAUNING (nièce  du 
cardinal  MAUNING),  qui ont eu deux fils et deux  filles. 
L'aîné  de l'oncle John de MILHAU (donc le frère  aîné  de 
Léon) fit la guerre de Sécession et fut nommé général;  il 
épousa Kate MAUNING,  soeur de sa belle-soeur.  Ils eurent 
le petit Louis,  né le 27 juillet 1884, aujourd'hui enfant 
de quatorze ans mais,  ayant perdu son père et sa mère, la 
tante Philis vit et l'élève malgré son grand âge (...).

     Notre  grand-mère  (GRENON  de PINSAULT  comtesse  de 
MILHAU) partit en 1816 avec six enfants - la traversée fut 
longue : trois mois, un mois de calme plat - et débarqua à 
Bordeaux (...).  Après (...) grand-mère vint s'installer à 
Paris où les belles Américaines,  ainsi qu'on appelait mes 
tantes et ma grand-mère,  firent sensation.  Ma grand-mère 
retrouvait des amies de pension et surtout d'émigration  : 
les de BOUSQUET, les LEFéBURE."

     Etrange  destin  que  celui de ces  familles  créoles 
réfugiées  à New York et attendant des jours meilleurs  en 
retrouvant  d'autres émigrés venant,  cette  fois,  de  la 
Métropole.
     Voilà  le comte et la comtesse de MILHAU pharmaciens, 
le marquis et la marquise de LA TOUR du PIN GOUVERNET  les 
mains  dans  la  terre  à  cultiver  et  l'évêque  d'Autun 
transformé  en  agent immobilier,  comme le  raconte  Jean 
Orieux.
     Certains  même firent souche,  comme ces souvenirs le 
montrent.
     Peut-être les MILHAU rencontrèrent-ils mon aïeul,  le 
chevalier de ZéVALLOS,  venant,  lui,  de la Guadeloupe  ? 
Mademoiselle  Philis  GUILLON  était-elle  de  la  famille 
GUILLON de LA CHARUELLE,  installée à la Martinique depuis 
le XVIIe siècle ?
     Toujours est-il que cette petite société française se 
retrouvait  et  se  serrait les coudes pour faire  face  à 
l'adversité, sans jamais se départir d'un certain courage. 

                  Généalogie simplifiée

1 Jacques de MILHAU, médecin du roi, habitant du quartier 
  de la Marmelade dépendance du Cap
  x Marie Madeleine COUSARD de LA BOUCHERIE

1.1 César Michel comte de MILHAU, commissaire de la Marine 
  aux Cayes puis "pharmacien" à New York
  + New York 16 2 1816
  x Justine de GRENON de PINSAULT, fille de NN et de NN de 
     MAISONNEUVE
  d'où seize enfants dont :

1.1.1 Camilla de MILHAU (1806-1867)
  x NN de BALBI marquis de VERNON
  d'où Louise de BALBI de VERNON x Emile de THéZAC
       (rédactrice des souvenirs)
1.1.2 Antoinette de MILHAU
  o Baltimore 16 10 1811      + Juvisy sur Orge 13 11 1879
  x Johannès de MARE, artiste graveur en taille douce, 
     premier grand prix de Rome à 23 ans, membre de 
     l'Académie royale des Pays-Bas, chevalier du Lion 
     néerlandais
  grands-parents d'Albéric de MARE, conseiller général de 
  l'Eure, époux de Marie Thérèse de BALBI de VERNON, à qui 
  sont adressés les souvenirs. Loic de FOUCHIER, leur 
  petit-fils, serait très intéressé par les ascendances 
  des familles de MILHAU, COUSARD de LA BOUCHERIE, de 
  GRENON de PINSAULT et de MAISONNEUVE. 





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