G.H.C. Numéro 67 : Janvier 1995 Page 1247
Les problèmes d'un habitant sucrier de Trinidad en 1798
document envoyé par Colette Gyldén
Voici un extrait d'une lettre adressée le 10 mars
1798 par Benoît DERT, Martiniquais installé à la Trinité
espagnole à son frère Joseph Lacroze DERT, habitant de la
Grenade, pour lui donner un compte rendu des travaux en
cours sur l'habitation de Chaguarane qu'ils possédaient en
commun. J'ai pensé que cet aperçu de la vie quotidienne,
des soucis et des travaux d'un habitant sucrier pouvait
intéresser les lecteurs de GHC et je souhaiterais avoir
l'explication de termes techniques, obscurs pour moi.
(orthographe et ponctuation corrigées)
PIMART ne vous a dit que la vérité en vous disant que je
perdrais 100 milliers de sucre si je n'ai pas 20 nègres
faits d'ici au premier d'avril; vous allez en juger par ce
que je vais vous dire : la pièce de vieilles cannes a un
quarré juste de coupé et cela m'a rendu 29 boucauds 1/2 et
1/4 que je vous ai envoyés. Il me reste encore de cette
pièce un quarré 1/2 encore à faire que je vais abandonner
en ce que je prévois ne pas finir mes bonnes cannes. Le
sucre ne se fait pas beau. J'ai été obligé d'arrêter cette
semaine faute de chauffage. Si j'avais 20 nègres de plus,
je roulerais continuellement jour et nuit et je ferais
journellement du chauffage. Des 26 nègres travailleurs, je
ne puis mettre au jardin que 23. Je retire un gardeur de
bananiers, deux pour les animaux, ensuite 7 au moulin, 5
dans la sucrerie et chauffage, fourneaux, etc., un à la
rhumerie, deux au cabourrois, font 15. Restent donc 8, et
2 que je loue font 10 qui sont au jardin. Ils suffisent
pour me fournir de cannes pour rouler la journée
seulement. Je ne puis compléter les deux quarts pour la
nuit. Il faut, comme vous voyez, de toute nécessité
arrêter de temps en temps pour faire du chauffage. Les
pluies que nous avons ne me permettent pas de mettre ma
bagasse dehors, de manière qu'il faut du temps pour la
sécher dans la case.
Voyez la quantité de sucre que j'ai faite dans un quarré
de cannes : 12 boucauts que j'ai été obligé de vendre pour
me procurer des mulets ont passé 1000 lt net. En consé-
quence, les 29 boucauts et 1/2 et 1/4 donneront près de 30
milliers. J'ai 4 quarrés de belles cannes jaunes à faire,
bien fournies, qui ont 15 mois. Si elles me donnent
seulement 20 milliers au quarré (comme je le crois),
comment les finirai-je sans force ? Il me reste 1 quarré
1/2 de vieilles, ensuite vient 3 quarrés de rejetons,
superbes, bien fournies, aussi belles que les cannes
plantées. Croirez-vous, mon ami, que je ferai si j'ai des
forces 150 milliers ? Si j'avais encore 20 nègres, je
réponds de 200 milliers. Je ne trouve point de nègres à
louer. Il y a tant de personnes au port qui en louent que
je ne puis en avoir. Madame GABRIEL en avait 8 qu'elle a
loués à une moède par mois chacun à M. BEGORRAT. PIMART a
laissé échapper cela pour moi. J'ai sur mes limandes 17
boucauts de sucre pleins et 1/2. Je coupe aujourd'hui et
j'en aurai (sauf les accidents) à la fin de ce mois 50
boucauts qui seront à vos ordres; vous les enverrez où
vous voudrez. Les 12 boucauts que j'ai vendus ont été
livrés à 8 gourdes le % mais il y a beaucoup de frais, les
ayant livrés au port. Je n'ai pas encore le compte de
vente. Des quatre mulets que j'ai achetés, il y en a trois
domptés au bât et un supérieurement à selle est pour vous.
Je vous en enverrai deux de ceux-là, mais après la
récolte. Ils m'ont coûté 45 moèdes. Je les ai achetés ici
car ils valaient jusqu'à 14 moèdes au port, et les domptés
au moulin et à selle, 18 moèdes. C'est une trouvaille que
j'ai faite...
Vos quatre poteaux de pont, 1/4 de sucre, 50 balles de
zapates et 8 cercles de fer sont encore entre les mains de
BOSSIER au port avec deux lettres depuis le 9 et 17
février. C'est par négligence qu'il ne vous les a pas
envoyées. J'envoie celle-ci à M. COQUET qui m'a promis de
vous l'envoyer avec une poule d'Inde que je vous envoie
pour vous mettre en ami. Je n'en ai que trois, sans quoi
je vous en aurais envoyé davantage; elle pond depuis
quelques jours.
Songez à mes fers à repasser, les plus petits sont les
meilleurs, et procurez-moi des lancettes qui soient
bonnes, je n'en ai point, un fléau et de la chaux de
Bristol; mon ami, sur toutes choses procurez-moi aussi de
chez le droguiste une livre de Buabunga. C'est pour ma
femme qui est aux trois quarts guérie; elle en a encore
pour 12 jours de remède à prendre et 3 mois de lait.
NDLR :
un millier de sucre : mesure de paiement
un boucaut ou boucaud : grosse barrique de sucre (550 kg)
ou de rhum; unité de mesure du sucre ou du rhum
rouler : couper la canne et la passer au moulin
nègres de jardin : ceux qui travaillent dans les champs
de canne
bagasse : résidu des cannes, utilisé pour chauffer les
chaudières où se fait le sucre
cabourrois : peut-être pour "cabrouet", charrette pour
transporter les cannes
une moède : pièce portugaise très utilisée aux Antilles
limandes : étagères en bois, percées, où sont placés les
boucauts
une gourde : pièce espagnole, utilisée aux Antilles
une balle : un paquet ou colis
zapates : ? (s'agirait-il du mot espagnol "zapata",
sandales rudimentaires ?)
buabunga : ?
Qui peut donner corrections, précisions et notes complé-
mentaires sur les termes utilisés dans cette lettre ?
TROUVAILLE
de Marie-Odile Michon : Naissance à bord de "La Caroline"
Extrait du rôle d'équipage de la frégate de S.M. "La
Caroline", conservé au Service Historique de la Marine à
Rochefort (17)
Outre l'équipage, la frégate transportait 118 passagers et
le 3e bataillon du 51e de ligne (233 hommes), embarqués à
Brest le 1er novembre 1828 et débarqués à la Guadeloupe le
4 décembre, soit plus de 760 personnes (et 60 canons) à
bord d'un voilier d'une cinquantaine de mètres de long.
On y trouve l'acte de naissance, le 26 novembre 1828, de
Caroline, fille de Gaspard Prosper ISAAC, 43 ans,
capitaine au 51e régiment de ligne, domicilié avant son
embarquement à Morlaix (Finistère), et de son épouse
Cécile DURAND, passagère.