G.H.C. Numéro 66 : Décembre 1994 Page 1225

LA GUILDIVE OU GUILDIVERIE DE Claude FOURNIER
Pierre Baudrier

    Les titres du catalogue des factums de la Bibliothèque 
Nationale,  par A.  Corda, ont parfois un libellé austère. 
     C'est le cas des multiples factums du XVIIème  siècle 
concernant  les  familles BUNEL,  et  malheureusement,  le 
factum Adrien d'AVERTON,  chef du gobelet du roi d'Espagne 
n'a vraisemblablement rien à voir avec la Caraïbe.
    Mais il y a aussi Claude FOURNIER, fabricant de tafia, 
dit plus tard "FOURNIER L'AMÉRICAIN",  qu'il faut étudier, 
puisqu'il joua un rôle dans la Révolution française. Voici 
donc ses quatre factums :

- Au  Roi  et à Nosseigneurs de son conseil.  (Requête  de 
Claude  Fournier,  fabricant  de tafia  à  Saint-Domingue, 
appelant  de deux ordonnances des mois de novembre  et  20 
décembre  1783,  rendues  contre lui au profit des  sieurs 
GUIBERT frères;  signé :  Challaye) - (S.l.n.d., in-4°. 4° 
Fm 35100
- Mémoire pour le sieur FOURNIER l'Héritier,  habitant  de 
Saint-Domingue,  contre les sieurs GUIBERT frères et DUGAS 
DU  VALLON,  aux  habitants de  Saint-Domingue.  (Signé  : 
Fournier) - (S.l.), 1787, in 4°. 4° Fm 35101
- Dénonciation  aux  Etats généraux  des  vexations,  abus 
d'autorité  et  déni  de justice commis  envers  le  sieur 
Claude Fournier,  habitant de l'île St-Domingue.  (Signé : 
Fournier) - (S.l.), 1789; in-4°. 4° Fm 35102
- Précis  au  Tribunal de Cassation pour Claude  Fournier, 
habitant de l'île et côte de Saint-Domingue,  quartier  de 
l'Artibonite. (Signé : Fournier) - (Paris), Imp. de Mayer, 
(1791), in-4°. 4° Fm 35103

     Mais  j'aperçois un Gabriel de SACHY perdu,  quelques 
lignes  plus  loin,  dans un titre de  factum  du  XVIIème 
siècle :
- Factum pour Me.  Guy FOURNIER, conseiller du Roi, élu en 
l'élection d'Amiens,  et de Louis de VILLERS, bourgeois et 
marchand  de  ladite ville,  échevins élus les  24  et  25 
septembre  1651 (...) et les doyen,  chanoines et chapitre 
de  l'église cathédrale de Notre-Dame d'Amiens,  les  gens 
tenant  le  siège présidial dudit lieu (...)  intervenants 
(...)  contre Me.  Antoine Lestocq,  substitut  de  M.  le 
Procureur  général  audit  bailliage  et  siège  présidial 
d'Amiens  (...) Gabriel de SACHY et Antoine GOEUDON (...). 
(Signé :  Langlois) - Paris,  Imp. de J. Julin;  1652, in-
4°;  Thoisy, 172, fo. 143) (la cote Thoisy est consultable 
à la Réserve de la Bibliothèque Nationale).

     Revenons cependant à Claude Fournier,  d'autant qu'il 
va nous faire connaître quelques dizaines de  personnages. 
Mais d'abord, que lui est-il arrivé ?
C'est le premier factum qui fournit l'essentiel des infor- 
mations.  Ainsi (p. 67), à partir de 1776, il a été gérant 
pendant  trois ans de l'habitation du sieur JOUVE (on  lit 
ailleurs la veuve Jouve).  DUPONT,  dominicain, desservant 
la  paroisse  de  Saint-Jérôme  de  la  Petite-Rivière  de 
l'Artibonite,  et BÉLANGER,  gérant de l'habitation Jouve, 
en  témoignent en 1784.  A l'époque,  vers 1776,  Fournier 
était apparemment subordonné à Bélanger.  Puis il  établit 
une  guildive  (dans  les trois autres  factums,  on  lira 
"guildeverie")  ou  fabrique  de  tafia  pour  son  propre 
compte,   d'abord  au  Bourg  de  la  Petite-Rivière.   Il 
s'installe ensuite à une lieue du bourg, en application du 
règlement  du  conseil supérieur de Port-au-Prince  du  12 
janvier  1782.  Sa guildive est alors proche de celle  des 
sieurs GUIBERT frères,  MOREAU,  MARQUEZ, LERÉ et MARCHAND 
(p.  32).  Il  entre bientôt en conflit  avec  les  frères 
Guibert   qui  essaient  de  faire  revenir  le  précédent 
propriétaire sur la vente qu'il avait faite à la  négresse 
qui l'avait louée,  puis revendue à  Fournier (p.  4).  Le 
sieur de COUAGNE (p. 5),  arrivant de France avec le titre 
de  lieutenant de Roi à Saint-Marc,  serait influencé  par 
les  Guibert  qui  étaient  alliés de  l'Intendant  de  la 
colonie (p.  5).  A la page 43  de  4° Fm 35101,  Fournier 
précise  :  "les sieurs Guibert ont  fait  fortune.  Cette 
fortune,   de   qui  le  propre  est  de  rapprocher   les 
conditions,  les a, à la vérité, élevés à l'alliance d'une 
Demoiselle,  devenue Madame la Présidente de BONGARS".
    En page 10 du factum 4° fm.  35103,  il se serait  agi 
d'une  tante  des  sieurs Guibert (Guibert et  GUIBERT  de 
MÉNIèRE,  p.  71 du factum 4° Fm. 35101). Les Guibert font 
donc emprisonner Fournier à la prison  de Saint-Marc (p. 5 
du Factum 4° Fm.  35100)  le 26 septembre 1783 (p. 17)  et 
il  est libéré sept jours plus tard (p.  24).  Il  lui  en 
aurait  coûté (p.  5)  150 livres de frais de maréchaussée 
et 300 livres de frais de prison.

     Toujours  d'après Fournier,  les Guibert  font  alors 
"rompre"  un pont qu'il traversait régulièrement la  nuit; 
il  voyageait  de  nuit  pour profiter  de  la  fraîcheur. 
L'attentat  réussit presque,  le pont s'effondre sous  les 
sabots  de  son cheval,  mais Fournier est sauvé  par  son 
Nègre,  qui l'accompagnait.  Sur ce (p.  29),  "les sieurs 
Guibert,  enhardis  par  leur alliance avec  le  sieur  de 
BONGARDS,  présentent  une  Requête  aux  Administrateurs, 
qu'ils font signer par le sieur MOREAU, gendre du sieur de 
Couagne,  et par ROQUE et LA CAZE, économes gérants". A la 
page  15  du Factum  35101,  apparaissentt  un  signataire 
supplémentaire,  le  sieur  CHANEL,  et  l'indication  que 
Moreau,  La  Roque  et  "Caze" ont donné leur  désaveu  au 
Greffe de Saint-Marc.  Ils n'avaient pensé qu'approuver le 
projet de destruction de la guildive, alors que la requête 
dénonçait à la fois les nuisances de l'établissement et la 
moralité  de Fournier.  De son côté,  Fournier crie  à  la 
calomnie, à la volonté d'éliminer un concurrent actif.
Quoi qu'il en soit,  une ordonnance de novembre 1783 pros- 
crit  à la fois le "citoyen cultivateur" et sa  propriété. 
Les  exécuteurs  sont  le sieur de  Couagne  et  le  sieur 
DAQUIN, commissaire de la Marine, subdélégué (p. 7). Le 20 
décembre  (p.   9),   une  autre  ordonnance  confirme  la 
première.  De Couagne (p. 9) fait cesser les travaux de la 
guildive,  mais  Fournier  s'échappe et,  assisté  de  Me. 
SALAIGNAC,  est  contraint de se défaire de ses biens  par 
acte du 4 février 1784, passé à Port-au-Prince devant MMe. 
Bono de Belami et Daugé (cette précision aux pp.  61-62 du 
Fm.  35100).  La guildive est incendiée dans la nuit du 17 
au  18  avril  1784,  à l'initiative  des  sieurs  Guibert 
d'après  Fournier  (p. 11).  LEJEUNE,  la  femme du  nommé 
ESNARD,  dit  TOULOIS,  la nommée Gago,  négresse,  et une 
autre  négresse  dépendant  de  l'habitation  de   CASTRA, 
témoignent devant JOLY, greffier-commis (p. 64). Aux pages 
73 et 74 du Fm.  35101,  ROBUSTEL, de MONTEROCHE, MAUBLENC 
de BAUPRÉ, P. MARQUET, de l'Artibonite, PEREZ de PASSY, de 
CABEUIL, attestent que Fournier, souffrant, était avec eux 
dans la nuit de l'incendie, chez Jeanne AUDIGÉ, "proche du 
pont de l'Ester".





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