G.H.C. Numéro 66 : Décembre 1994 Page 1214

Le feuilleton des frères LAFFITE
Bertrand Guillot de Suduiraut

                   "Mythe ou réalité ?"
  (question 94-106, réponse p. 1152 et article p. 1174)
"Lafitte en Egypte"... S'il est certain que Pierre LAFITTE 
est  bien né à Bordeaux,  le 12 avril  1772,  qu'il  s'est 
marié à Saint-Jean-de-Luz le 29 décembre 1793,  d'où trois 
filles (actes en mains), cela ne prouve en aucun cas qu'il 
fut  le frère de Jean LAFITTE,  corsaire mythique dont les 
origines se cachent dans la fumée d'une caronade.  Je peux 
seulement assurer que l'origine du mémoire familial, inti- 
tulé  "Note",  que  vous allez lire,  rédigé à la  fin  du 
siècle  dernier par un descendant de Pierre  LAFITTE,  est 
authentique mais qu'il est toutefois fort possible que  le 
rédacteur  se soit permis quelques libertés avec la vérité 
pour enjoliver sa cause. Comme d'ailleurs Georges Blond ou 
Jean-François Deniau pour agémenter leurs livres,  ce  que 
fait   parfaitement  remarquer  Pierre  Bardin.   Si  cela 
n'enlève  rien aux qualités de leurs  romans  historiques, 
cela nous laisse sur notre faim d'exacte vérité.
Il reste à partir à l'abordage des registres de naissance, 
non  pas  du Caire,  mais de Bordeaux,  pour  essayer  d'y 
retrouver les traces de Jean LAFITTE,  frère très éventuel 
de  Pierre...  J'ai commencé à le faire mais le  patronyme 
LAFITTE étant fort répandu je risque, non pas des coups de 
sabre,  mais  seulement de relever un grand nombre d'homo- 
nymes sans rapport avec notre corsaire. Affaire à suivre. 

                           Note

     Vers  la fin du XVIIIe siècle,  alors que  la  France 
était en guerre avec l'Espagne, l'armée des Pyrénées occi- 
dentales,  commandée  par le général MüLLER,  se  trouvait 
concentrée non loin d'Hendaye, presque sur les bords de la 
Bidassoa.
     L'on  avait autorisé la troupe,  en haut lieu,  à  se 
réunir  les  jours de fête sur la place  de  l'Eglise;  la 
population  fraternisait  ainsi avec les défenseurs de  la 
Patrie. 
     C'est  de la sorte qu'une jeune fille,  d'une  grande 
beauté  et des plus vertueuses,  fut l'objet d'une demande 
en  mariage d'un séduisant étranger à  cette  région,  qui 
portait  l'uniforme  avec une extrême aisance et dont  les 
manières étaient des plus distinguées.
     Comme les Basques se défient toujours de ceux qui  ne 
sont  pas des leurs,  les parents de Sabine,  imbus de ces 
principes,  s'opposèrent tout d'abord à l'union que celle-
ci était désireuse de contracter avec P. L.
  Devant son insistance, l'on fut contraint de s'incliner.
     
     Après  avoir  quitté momentanément le  service  mili- 
taire, le nouvel époux s'installa avec sa femme à St-Jean-
de-Luz,  pour s'occuper d'affaires commerciales,  dont  le 
centre  existait  principalement à Bayonne.  Trois  filles 
naquirent de son mariage.
     Doué d'une nature changeante, regrettant son ancienne 
carrière,  P.  L.  se  fit réintégrer dans les  cadres  de 
l'armée  française et il fut l'un des nombreux héros de la 
célèbre épopée.
     Puis,  sans aucun motif,  alors qu'il était estimé de 
ses chefs et qu'il paraissait fort attaché à sa femme et à 
ses enfants, après s'être fait mettre en retrait d'emploi, 
il disparut sans laisser de trace. 

     Sa  désertion inexplicable du foyer conjugal eut pour 
résultat de plonger les siens dans le plus cruel embarras.
     Heureusement,   Sabine  était  douée  d'une   superbe 
énergie.  Sans montrer de faiblesse, aidée par ses proches 
qui  ne  lui marchandèrent pas leur  concours,  elle  crut 
devoir  en  1813,  lors  de la rentrée des  alliés  et  de 
Wellington en France,  s'installer à Irun, dans une petite 
maison qui existe encore et qui est bâtie en retrait,  sur 
la droite de la Casa Consistorial (hôtel de ville). Elle y 
fit venir sa famille.
     Vers  1814,  s'étant  aperçu qu'en  franchissant  les 
bornes  douanières des Provinces basques,  il existait  de 
grandes  différences sur les changes des monnaies d'or  et 
d'argent  de  ces  Provinces et de celles  du  Royaume  de 
Navarre,  Sabine prit la résolution de tenter l'expérience 
et de profiter de la fréquente variation des cours.
     Elle se rendait à cheval, d'Irun à Pampelune et aussi 
dans  d'autres  villes  de Guiposcoa,  Alava  et  Biscaye, 
portant avec elle des onces et des doublons.  Sa  réussite 
fut complète.
     C'est en effectuant l'une de ces courses à travers la 
Montagne  qu'elle  courut  une fois un  réel  danger.  Les 
nuages  et  le  brouillard l'ayant  enveloppée  de  toutes 
parts,  elle  perdit sa direction et ne  parvint  pas,  en 
opérant  ses  recherches toute une nuit,  à  retrouver  sa 
voie.   Epuisée  par  vingt  heures  d'équitation  forcée, 
mourant  de faim,  toujours égarée et par suite en  péril, 
Sabine  implora  avec une foi vive et ardente  une  Vierge 
qu'on  vénère encore à Aranzazu.  Celle-ci répondant à  sa 
prière,  un pain assez volumineux vint tout à coup  rouler 
sous  les pieds du cheval !  Cela permit à la voyageuse de 
se réconforter et d'aboutir au bon chemin.
     Depuis lors, en souvenir de cet événement quasi mira- 
culeux,  les descendantes de Sabine ont soin d'épingler  à 
leur  corsage de grandes médailles en argent,  à l'effigie 
de N.D. d'Aranzazu.
     Ces  dernières reçurent dans les couvents  de  France 
une excellente éducation.  L'une d'entre elles fut l'objet 
d'une  haute  considération dans sa résidence de  Bayonne. 
Son  intelligence,  son savoir et ses hautes  qualités  de 
mère  de  famille  avaient  su lui  apporter  l'estime  et 
l'affection de tous ses concitoyens.

     Pendant  que Sabine surmontait si courageusement  les 
difficultés  de l'existence,  l'on ignorait totalement  ce 
qu'était devenu l'ancien capitaine de Napoléon.
     Ce n'est que plusieurs années après son départ  qu'on 
apprit  qu'il s'était expatrié et qu'il avait résidé à  La 
Nouvelle Orléans.
     Devenu  condottiere,  avec un assemblage de frères de 
la Côte dont il était le chef,  il s'était emparé en  1811 
de  l'île de Barataria,  dans la mer des  Antilles,  qu'il 
avait  habilement fortifiée,  déclarant ensuite une guerre 
sans  merci aux navires de commerce anglais.  Il sut  éga- 
lement  tenir tête aux troupes du Gouverneur de  Louisiane 
qui  n'avaient  réussi à le réduire  qu'après  une  longue 
lutte.
     Malgré  ses erreurs,  L.  avait le coeur généreux  et 
tous les sentiments chevaleresques de sa race,  que sa vie 
de désordre et d'aventures ne put altérer.
     Ses hauts faits inspirèrent Byron,  lorsqu'il écrivit 
"Le Corsaire".





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