G.H.C. Numéro 65 : Novembre 1994 Page 1186
Claude François Amour, marquis de BOUILLÉ (1739-1800)
La lettre autographe du Roi Louis XVI :
"J'espère, Monsieur, que vous me connaissez assez pour ne
pas douter de l'extrême satisfaction que j'ai ressentie de
votre conduite à Nancy. Vous avez sauvé la France, le 31
août, et vous avez par là montré aux autres le chemin et
comment ils doivent se conduire. C'est le comble de la
bonne conduite que vous tenez depuis un an et à laquelle
vous avez eu le mérite par toutes les tracasseries qu'on
vous a suscitées. Continuez la même route, soignez votre
popularité, elle peut m'être bien utile et au royaume. Je
la regarde comme l'ancre du salut, et que ce sera elle qui
pourra servir un jour à rétablir l'ordre. J'ai été bien
inquiet sur les dangers auxquels vous vous exposiez,
jusqu'à ce que j'aie reçu les nouvelles de M. de
GOUVERNET, et je regrette bien sincèrement les braves gens
qui ont péri dans cette affligeante mais bien nécessaire
affaire. Je vous prie de me marquer particulièrement ceux
dont vous avez été content. Je vous charge aussi de
témoigner aux gardes nationales, ainsi qu'aux officiers et
soldats qui vous ont si bravement secondé, combien je suis
touché de leur zèle et de leur fidélité. Pour vous,
Monsieur, vous avez acquis des droits éternels à mon
estime et à mon amitié".
"Louis".
P.S. "J'ai su qu'un de vos chevaux que vous aimiez
beaucoup a été tué sous M. de GOUVERNET; je vous envoie
un des miens que j'ai monté et que je vous prie de garder
pour l'amour de moi".
Celle du Président de l'Assemblée Nationale était ainsi
conçue :
"Paris, le 5 septembre 1790
L'Assemblée Nationale, Monsieur, a comblé d'éloges la
conduite remplie de courage et de patriotisme que vous
avez tenue en faisant rentrer dans le devoir la garnison
de Nancy et les autres coupables. Vos succès comme
guerrier ne peuvent étonner l'Assemblée Nationale, mais
elle sent quelle a dû être votre douleur d'être forcé de
déployer vos talents contre des soldats rebelles,
accoutumés à vaincre sous vos ordres, et cette douleur
elle la partage. La gloire d'avoir vengé les lois et
réprimé des séditieux qui les enfreignaient toutes est au-
dessus de celle d'avoir été plusieurs fois vainqueur des
ennemis de la France. Il vous appartenait de réunir l'une
et l'autre. L'Assemblée Nationale me charge de vous
témoigner son approbation et son estime, et je m'applaudis
d'être, en ce moment, l'interprète de ses sentiments.
H. Jesse, Président".
On comprend par les écrits ci-dessus que Louis XVI
avait mis sa confiance dans BOUILLÉ. Aussi, quand le Roi
s'aperçut que la situation était devenue pour lui inte-
nable, pris entre la nation qui réclamait ses droits et
l'aristocratie qui s'accrochait à ses privilèges, il
décida de quitter Paris. Il avait mis dans la confidence
du complot Mercy ARGENTEAU, l'ambassadeur d'Autriche,
alors à Bruxelles, le Suédois FERSEN (2), ami de la Reine,
BOUILLÉ, BRETEUIL. Ainsi, BOUILLÉ accorda au Roi l'assis-
tance de son armée.
"Sous prétexte de protéger un trésor transmis par la poste
à l'armée de BOUILLÉ, des relais et des piquets de
cavalerie avaient été disposés tout le long de la route,
jusqu'au-delà de Sainte-Menehould. Par Châlon-sur-Marne et
l'Argonne, Louis XVI devait ainsi gagner Montmedy".
(d'après SOBOUL. Révolution française).
BOUILLÉ (3) avait réuni pour la circonstance les 6
régiments de cavalerie et établi une chaîne de postes de
Pont de Somme Vesles à Varennes. Lui-même, était installé
à Montmedy. Le 21 juin 1791, en attendant la berline
royale, notre ancien gouverneur général passa la nuit dans
un fossé sur la route de Dun-sur-Meuse. Là, il apprit, à
l'aube, l'arrestation du roi.
Devant l'échec de la fuite du Roi, il ne restait
qu'une solution à BOUILLÉ : l'exil. Il se réfugie au
Luxembourg d'où il adresse une lettre à l'Assemblée; il
rappelle son attachement à la personne du Roi, avec
quelques menaces à peine dissimulées.
Par contre, au retour de ce funeste voyage, Louis XVI
s'adresse au marquis de BOUILLÉ :
"Paris, le 3 juillet 1791
Vous avez fait votre devoir, Monsieur, cessez de vous
accuser. Vous avez tout osé pour moi et pour ma famille,
et vous n'avez pas réussi. Dieu a permis des circonstances
qui ont paralysé votre courage et vos mesures. Le succès
dépendait de moi; mais la guerre civile me fait horreur,
et je n'ai pas voulu verser le sang de mes sujets égarés
ou fidèles. Mon sort est lié à celui de la nation et je ne
veux point régner par la violence. Vous, Monsieur, vous
avez été courageux et fidèle; j'ai voulu vous exprimer mes
remerciements, et peut-être un jour sera-t-il en mon
pouvoir de vous donner un gage de ma satisfaction
particulière. "Louis".
L'auteur "d'Adieu foulard", tout imprégné de ses
idées monarchistes, continue, au-delà des frontières, le
combat pour rendre la liberté au Roi. Aussi, il se rend
successivement à Coblenz, à Pilnitz; il y confère avec
l'empereur Léopold et le roi de Prusse. A Aix-la-Chapelle,
il rencontre le roi de Suède, Gustave III; il négocie une
invasion de la France qui serait dirigée par le monarque
suédois. L'impératrice de Russie lui avait promis son
coucours. La mort de Gustave III met fin à son projet.
Devant ce dernier échec, le marquis de BOUILLÉ se
retire alors en Angleterre en 1793 où, diminué physi-
quement, il se consacre à ses mémoires, qui ont été
publiées en 1797 en anglais et en français par la suite.
Notre émigré (4) meurt à Londres, le 14 novembre
1800, sans avoir pu revenir en France.
Beaucoup de Guadeloupéens ignorent le parcours de cet
aristocrate, auteur de cette chanson qui appartient
désormais à notre folklore.
(1) Un biographe raconte qu'à la suite d'une tempête dans
la région des Antilles deux frégates anglaises ayant
échoué sur les côtes des îles françaises, le marquis de
BOUILLÉ ne retint pas l'équipage comme prisonnier; au
contraire, il leur donna des vêtements et des secours et
les renvoya à l'amiral anglais.