G.H.C. Numéro 61 : Juin 1994 Page 1067
LA FAMILLE DEVEZEAU AUX ANTILLES
"De St-Domingue, ce 5e aoust 1711
Monseigneur
(rappelle sa lettre précédente portant sur "une partie du
détail des mortifications que j'ai essuyées") J'avais cru
que l'arrivée de Monsieur VALERNAUD aurait mis fin à tout,
tant par sa droiture que pour le bon soin qu'il aurait mis
dans le service. Mais le Seigneur en a disposé autrement
(7).
(...) M. de VALERNAUD me demanda en quel état était le
régiment que Sa MAjesté m'avait accordé. Je lui dit que
l'on m'en avait ôté toute connaissance et empêché de le
former quoique j'en eût reçu l'ordre de Votre Grandeur. Il
m'en donna un pour y remédier et pour le former et
ordonner aux Capitaines de me donner un état du nombre
d'hommes qu'il pouvait y avoir dans chaque quartier, comme
aussi des officiers qu'il pouvait manquer dans chaque
compagnie par l'abandon de plusieurs, comme j'ai eu
l'honneur d'en informer votre Grandeur (...). J'ai envoyé
un ordre à tous les Capitaines afin de travailler à mettre
le régiment sur pied. Il y en eut un, nommé GALET du
CHATTELLIER, qui n'y voulut pas obéir. Je ne pus m'en
plaindre à M. de VALERNAUD, étant à toute extrémité pour
lors (7). Peu de jours après, j'eus ordre de faire prendre
les armes pour la Feste de Dieu. Je fis avertir toutes les
compagnies du régiment, en l'état qu'elles pouvaient être
et je m'y trouvai pour m'y mettre à la tête. Le dit sr.
GALET fit refus de se mettre sous les armes (...), il
n'obéit point et me dit qu'il s'en moquait. Je sais ce
qu'il m'aurait fallu faire en tout autre endroit mais dans
ce pays ci, il aurait eu raison et moi j'aurais eu tort et
même l'on m'aurait mortifié. Je me contentai, après avoir
rendu les honneurs au St-Sacrement, d'aller trouver Mr de
SANTO (8), pour lors Commandant, qui me renvoya à Mr de
BRACH, lieutenant du Roy et Commandant au dit quartier,
qui était pour lors absent, ce que je fis; il me renvoya à
Mr PATY (9), Commandant en chef. Je lui portai ma plainte
de ces deux désobéissances. Il se contenta de dire que
cela ne lui arriverait plus et, pour mieux le soutenir
dans sa désobéissance, il le fit recevoir à la tête du
régiment avec la commission que le Roy lui a accordée.
(...) Ce qui l'autorisa dans cette désobéissance, c'est
une aventure aussi forte que celle-là, qui était arrivée
au premier capitaine de régiment, nommé LE TORT, qui fit
battre la caisse à la messe paroissiale pour publier un
ordre pour prendre les armes pour le feu de la St-Jean.
Après l'ordre publié, je le fis appeler et lui demandai
s'il ignorait que je fusse là; il me dit que non; et s'il
ne me reconnaisait pas pour son colonel; il me dit que
oui. Je lui répondis qu'il avait tort et qu'il ne devait
point publier de prendre les armes sans que j'en eusse été
informé. Il me dit que lorsqu'il avait des ordres, il ne
me reconnaissait point et que Mr le comte de CHOISEUL lui
avait dit de ne me point reconnaître. J'en portai ma
plainte à Mr le Comte et lui représentai que c'était une
affaire publique, que, s'il ne s'en rapportait pas à ma
bonne foi, il y avait deux cents témoins pour un. On ne
m'en rendit aucune justice, ce qui fait, Monseigneur, que
j'ai recours à la vôtre.
(Il n'a toujours pas le détail de son régiment) Mr PATY
(9) n'a pas cru que je fusse capable de faire recevoir les
officiers (...) J'ose avancer que je sais le service
puisque j'ai commencé à porter le mousquet dès l'âge de
douze ans dans les Cadets à Tournai et de la lieutenance
dans le régiment de Normandie sous Mr le comte de GUISCAR.
De plus, Monseigneur, si Votre Grandeur veut que je mette
le régiment sur un bon pied, je vous demande qu'il me soit
permis de le discipliner pour qu'il y ait de la subordi-
nation, sans quoi il est impossible que l'on y puisse
compter dans une affaire de guerre. C'est cependant sur
quoi l'on devrait avoir le plus d'attention pour la
conservation du pays."
(rappelle ensuite qu'il y a 23 ans qu'il sert et demande
la croix de St-Louis et une commission de major honoraire
pour la coste St-Domingue, jusqu'à ce qu'il y ait une
commission vacante. La croix de St-Louis lui fut accordée
le 15 août 1724)
Le 25 juin 1726, les bureaux de la Marine à Versailles
résument une demande du chevalier de RANCOUGNE qui "repré-
sente que son fils, qu'il avait envoyé à St-Domingue avec
sa belle-mère, a eu une conduite si extraordinaire avec
elle et s'est porté à des excès et des violences si
grandes que le sr. chevalier de LA ROCHALAR (10), pour en
arrêter le cours, le fit mettre en prison au fort St-Louis
et l'a fait embarquer pour France afin de prévenir les
suites de son emportement. Le vaisseau sur lequel il a été
embarqué doit arriver incessamment au Port-Louis. Il
supplie de vouloir bien lui accorder un ordre pour le
faire arrêter et pour qu'il soit enfermé dans la citadelle
du Port-Louis" (à la suite, un simple mot : "bon")
"A Léogane, ce 14 juillet 1733
Monseigneur,
J'ai appris par Mr le marquis de FAYET (11) que votre
Grandeur lui avait donné ordre de faire des compagnies de
milice (12) des régiments que le Roy avait formé à St
Domainge (sic) suivant son règlement du 29 avril 1705,
dont je fus fait Colonel de celui de Léogane le 20 avril
1706. Permettez-moi de représenter tous mes services
d'officier depuis 45 ans sans discontinuer, tant dans le
service de terre que celui de la marine, où j'ai servi
dans les compagnies détachées dans les colonies, et
commission de colonel de 28 ans, où j'ai toujours fait mon
devoir dans les occasions où je me suis trouvé; j'en porte
des certificats sur mon corps de la bataille de Fleureus,
sans vous dire les autres endroits.
(...) Nous étions cinq frères au service, et je suis le
seul qui reste. J'espère que Votre grandeur ne voudra pas
me faire l'affront à 64 ans, que j'ai donné 39 dans les
colonies, six à Plaisance (13) et 33 à St Domainge, de me
faire retirer du service comme simple particulier sans
aucune marque de satisfaction de mes services (demande
qu'on lui donne en le révoquant le titre de lieutenant de
roi honoraire à St Domingue, "avec les honneurs attachés,
c'est peu de chose pour les services que j'ai rendus").
Je viens d'avoir le malheur de perdre la plus grande
partie de mon bien par la plus cruelle ainsendice (sic :
incendie) que l'on aie oui parler, ne m'étant rien resté
au monde d'une habitation que j'avais établie en sucre
blanc où j'avais fait des dépenses considérables pendant
19 ans et j'ai tout perdu en moins de deux heures."