G.H.C. Numéro 51 : Juillet-août 1993 Page 824
LES NOMS DE FAMILLE AUX ANTILLES
Guy Stéhlé
Avertissement
Nous remercions Guy Stéhlé et les Editions Désormeaux qui
nous ont autorisés à publier, en avant première, cet
article qui paraîtra dans le "Dictionnaire encyclopédique
Désormeaux" dont 5 volumes sont déjà sortis.
I. LES NOMS ANTILLAIS : UNE APPROCHE STATISTIQUE
Une étude statistique des noms antillais a été réalisée
pour la première fois en 1989 par J. CAZENAVE, du Service
inter-régional des Antilles-Guyane de l'INSEE. Pour ce
faire, il a utilisé le répertoire national d'identifi-
cation des personnes physiques. Toutes les personnes nées
en Guadeloupe ou en Martinique depuis 1900, quel que soit
leur lieu de résidence ultérieur, ont été prises en
compte, ce qui représente 573.313 individus pour la Guade-
loupe, et 583.685 pour la Martinique. Environ 30.500 noms
différents ont été ainsi détectés pour la Martinique et
près de 35.000 pour la Guadeloupe.
Les résultats sont très instructifs :
Aucun nom n'apparaît comme nettement prédominant.
LOUIS, le patronyme le plus répandu parmi les Guade-
loupéens, n'est porté que par O,2 % de la population, et
JEAN-BAPTISTE par moins de O,3 % des Martiniquais.
Le tableau ci-après récapitule les 20 noms les plus
fréquents dans chacune des deux régions antillaises. On
remarquera que les 5 noms les plus courants concernent 1 %
des Guadeloupéens ou des Martiniquais; chacun des cinq
premiers identifie environ 0,9 % de la population; les dix
noms les plus répandus couvrent à peine 3 % des individus
et ce n'est qu'avec les cent premiers qu'on totalise 10 %
de la population dans l'une ou l'autre île.
Dans l'hexagone, la dispersion anthroponymique est
tout à fait comparable avec 0,3 % de MARTIN et 11 % de
personnes dénommées à l'aide des cent premiers noms.
LES VINGT NOMS (ANTHROPONYMES) LES PLUS FREQUENTS
GUADELOUPE MARTINIQUE
Rang Nom Fréquence Rang Nom Fréquence
1. Louis 223 1. Jean-Baptiste 285
2. Guillaume 221 2. Germany 250
3. Laurent 210 3. Joseph 237
4. Kancel 204 4. Marie-Sainte 209
5. Alexis 201 5. Jean-Louis 185
6. Romain 195 6. Jean 161
7. Bourgeois 184 7. Martial 153
8. Montout 175 8. Etienne 150
9. Ramassamy 163 9. Adélaïde 148
10. Noël 160 10. Larcher 145
11. Pierre 160 11. Sainte-Rose 143
12. Christophe 156 12. Salomon 136
13. Joseph 152 13. Marie-Louise 133
14. Etienne 144 14. Jean-Marie 132
15. Gréaux 143 15. Edouard 126
16. Jean 137 16. François 123
17. André 136 17. Honoré 120
18. Théophile 128 18. Marie-Luce 119
19. Luce 128 19. Louison 118
20. Judith 125 20. Charles 117
(*) Pour 100.000 personnes Source : I.N.S.E.E.
Les noms les plus répandus sont ... des prénoms.
Quinze au moins des noms guadeloupéens ou martiniquais les
plus fréquents sont des prénoms, comme environ la moitié
des cent premiers noms. Parmi les cinq premiers, seuls
KANCEL en Guadeloupe et GERMANY en Martinique ne sont pas
dans ce cas.
Cette constatation s'explique, bien sûr, en partie par le
fait qu'après l'abolition de l'esclavage les officiers
d'état civil ont, entre autres méthodes, fait appel aux
saints du calendrier pour attribuer un état civil aux
nouveaux libres. Pratiquant ainsi, ils n'ont d'ailleurs
fait que reprendre, avec quelques siècles de retard, le
procédé utilisé en France métropolitaine dès le XIIe
siècle. Rappelons qu'actuellement, dans l'hexagone, la
situation n'est guère différente de celle des Antilles
françaises, puisque, parmi les cinq premiers noms, trois
sont des prénoms et encore neuf parmi ces quinze premiers.
La répartition des noms selon leur nombre de lettres est
très concentré :
40 % des noms comptent six ou sept lettres et près de 70 %
de cinq à huit. Les noms les plus courts sont composés de
deux lettres : "YO" en Guadeloupe, "EO" en Martinique.
Quant aux plus longs, ils peuvent être classés en deux
catégories, les noms à particule et les noms hindous :
- les noms à particule sont hérités, le plus souvent des
"habitants" ou premiers colonisateurs. On peut citer, pour
la Guadeloupe : de COURDEMANCHE BOISNORMAND de LA
CLEMENDIèRE, LEMERCIER de MAISONCELLE de RICHEMONT; et
pour la Martinique : LE COMPASSEUR CREQUY MONTFORT de
COURTIRON, DU MOSE HOUëL DU PREY de LA RUFINIèRE, ou
encore GOUYER CRASSOUS ASSIER de POMPIGNAN.
- les noms hindous sont portés par les descendants des
immigrants de la seconde moitié du XIXème siècle. Ce sont,
sans aucun doute, les noms les plus longs d'un seul
tenant, comptant couramment de 17 à 21 lettres. Quelques
exemples : SINITANBIRIVOUTIN ("le plus petit des frères
cadets"), GOVINDINVINGASSALON ("la halte avant d'arriver
au lieu saint du dieu Govindin"), ou encore
DEVASENARADSOUNAYAGAR ("Dieu des armées").
La statistique confirme l'existence de spécificités
géographiques.
Parmi les cent noms les plus courants, quinze sont communs
à la Martinique et à la Guadeloupe et seulement trois
parmi les vingt premiers. Tous sont des prénoms : JOSEPH,
ETIENNE, JEAN, CHARLES, FRANÇOIS... à l'exception de
PETIT.
En Guadeloupe, sans atteindre la situation exception-
nelle de la Suède, l'homonymie est parfois relativement
importante. Il faut y voir la conséquence du fait que la
Guadeloupe est un archipel, ce qui, jusqu'à une époque
récente, a favorisé des situations "d'isolats" propices à
l'extension des homonymies. A Terre de Haut des Saintes,
sur 1.474 personnes recensées en 1982, 204 s'appellent
CASSIN. Avec les 5 noms suivants : CASSIN, FOY, SAMSON,