G.H.C. Numéro 50 : Juin 1993 Page 807
Au Surinam, il y a deux siècles (1793)
L'un se plaindra du poids, l'autre de la qualité des
produits. Il arrivera qu'une portion sera endommagée et
l'autre bien conditionnée (...) Par exemple, les sucres
diffèrent sensiblement en qualité selon le terroir où les
cannes sont plantées, selon la saison plus ou moins sèche
ou pluvieuse où l'on moud les cannes, selon leur âge, et
il n'est pas toujours possible de répartir chaque moulure.
Il en est à peu près de même quant aux cafés et cotons
(...) : il n'arrive que trop souvent que ces produits en
balles ne soient volés sur le navire ou dans le bâtiment
de transport et bien d'autres désagréments(...). Il
faudrait en plus que les écritures de mon comptoir fussent
quadruplées, ayant avec chaque participant une corres-
pondance particulière, former pour chacun de vous, pour
chaque plantage et effet, deux comptes d'administration,
ce qui pourrait occuper trois écrivains pendant toute
l'année (...), d'autant qu'il faudra nécessairement que
vous teniez un compte commun pour les besoins, provisions
et matériaux qui seront envoyés par le correspondant. Il
faut que je parle encore des traites. Comment les faire?
Il faudrait pour chaque paiement plusieurs lettres de
change, pour les directeurs, blanc officier, livranciers,
manoeuvres, bureaux, etc." Il termine sa lettre en
envoyant ses condoléances "pour le décès subit de M. votre
beau-frère N.F. VEREUL", condoléances adressées aussi à
"Mme de VERNèDE" et à "votre belle-soeur VEREUL"; mais il
voit avec plaisir que rien ne sera changé dans l'adminis-
tration du comptoir VEREUL. Enfin il envoie les "respects
de mon épouse et mes beaux-fils"
II Les difficultés de communication
Le sujet principal est la coupure avec l'Europe.
J.A. FROUIN se demande (B) si les marchandises chargées
en Hollande par MM. Louis BIENFAIT et Fils, d'Amsterdam,
pour les habitations "La Nouvelle Espérance, Pérou et
Libanon" arriveront dans la colonie. Les navires doivent
passer au nord pour éviter les corsaires français. Cette
insécurité prolongée est ruineuse car on est toujours dans
l'attente d'un convoi, hollandais ou anglais, pour
expédier les produits.
ANDREE s'inquiète de ne pas recevoir de nouvelles du
Comte NéALE, à Berlin, car les navires se gâtent en rade.
Il supplie les propriétaires de donner des ordres précis:
faut-il charger des sucres sur des navires des Etats-Unis
de l'Amérique? (D) Il est impossible de rien envoyer tant
qu'il n'y aura pas de navires de guerre de Hollande pour
convoyer les navires marchands (E).
La veuve DEPONCHARRA écrit à son fils à Paris (J):
"Pour ce qui regarde mes petites affaires de commerce,
elles vont assez petitement comme devez le penser, aucun
navire ne pouvant partir d'ici. Le commerce est entiè-
rement interrompu et l'on s'y fait très peu de choses."
Enfin BERRANGER qui se plaint de la vie monotone de
Paramaribo attend en vain une occasion d'aller en Europe
(Q3): "Ces américains qui s'emparent de nos produits ont
des bâtiments si incommodes et si petits qu'il est presque
de toute impossibilité d'entreprendre un voyage aussi long
de cette manière; aussi, ne me restant plus que la pers-
pective d'essuyer ou les ouragans des îles ou les coups de
vent de l'équinoxe ou l'hivernage, j'ai pris le parti de
retarder mon passage jusqu'au mois de février ou de mars."
III Les nouvelles reçues d'Europe et des Antilles
Outre leur retentissement direct sur le commerce, on
parle beaucoup des événements d'Europe et on voudrait bien
avoir des nouvelles dignes de foi. On n'est pas plus sûr
d'ailleurs de ce qui se passe aux Antilles françaises. "On
assure que ...", "On dit que ...", "On parle de ...", "Un
capitaine américain nous dit que la flotte anglaise est
devant la Martinique, mais les nouvelles de ces Messieurs
sont souvent peu exactes" (V) Pas de confiance non plus
dans les dires des autorités locales: "Notre gouverneur a
débité que (...); je ne sais si c'est un mensonge de
l'homme comme il est habitué d'en dire même dans les
choses les plus indifférentes. Pour moi, j'y ajoute si peu
de foi que ..."(U) Le gouverneur apprend les nouvelles
"par Cayenne" (V), "par le capitaine BUTLER" (O). Ce
gouverneur, d'après une mention des Archives dans le
carton 4418 est le sieur FRIDERICI.
En fait, "on débite journellement tant de nouvelles
que le plus sûr est de n'en croire aucune et de ne se
rapporter qu'à l'authenticité des gazettes" (U). Ainsi
"est arrivé un bâtiment parti en mars d'Angleterre et
passé à Boston qui nous apporte des papiers publics
anglais, lesquels annoncent la prise de Breda par les
français et leur irruption dans nos Provinces-Unies" (D)
1/ l'Europe
Cette prise de Breda dont parle ANDREE le 3 juin est
aussi évoquée, "la honteuse capitulation de Breda", par
SICHTERMAN le 12 juillet (S). Le même écrivait le 20 juin
(V) "La nouvelle est venue au gouverneur par Cayenne que
l'armée de DUMOURIER serait battue entre Breda et Bois-le-
Duc par l'armée combinée, que le siège de Breda serait
levé et que les troupes françaises auraient évacué notre
territoire de ce côté là. Comme ces nouvelles nous
viennent d'une possession française, nous y ajoutons
quelque foi et je désire bien impatiemment d'en recevoir
confirmation."
Dans sa lettre du 3 juin (D) ANDREE complétait les
nouvelles apportées par "les papiers publics anglais" :
ils annoncent "que près de 300 navires anglais et
hollandais ont été pris et conduits dans les ports de
France, que le roi d'Angleterre ayant donné ordre à quinze
mille yrlandais de passer sur le continent au secours des
Provinces, ces troupes auraient déclaré ne point vouloir
combattre les français et auraient mis bas les armes."
Mais ANDREE écrit au Comte de CORNEILLAN le 10 juillet en
accusant réception de sa lettre du 11 mai qu'il vient de
recevoir (W) : "Quoique les troupes françaises aient
évacué la Hollande et le Brabant, il est encore à craindre
que la guerre et les massacres ne durent encore quelque
temps."
Rappelons brièvement au lecteur la chronologie des
évènements évoqués ci-dessus: le général DUMOURIEZ, entré
à Breda (ville des Provinces-Unies,les Pays-Bas actuels)
le 25 février, est défait à Neerwinden par les Autrichiens
le 18 mars et le 1er avril il trahit la France, fait qui
sera lui aussi mentionné un peu plus loin. Il fallait donc
à peu près trois à quatre mois pour que les nouvelles
parviennent des Provinces-Unies au Surinam.