G.H.C. Numéro 48 : Avril 1993 Page 784

Le début de la révolte de Saint Domingue dans la Plaine
du Cap, vécu par Louis de Calbiac

     Duplessis, nègre libre et Raynal, natif du Cap, paco-      
     tilleur blanc,  émissaires,  se présentent à la barre 
     et le Président (34) leur parle en ces termes :

"Emissaires des nègres en révolte, vous allez entendre les 
intentions de l'Assemblée Coloniale,  vous les répéterez à 
ceux qui vous envoient.

   L'Assemblée,  fondée sur la loi et par la loi,  ne peut 
correspondre  avec  des gens armés contre la  loi,  contre 
toutes les lois.
   L'Assemblée  pourrait  faire  grâce  à  des   coupables 
repentants  et rentrés dans leurs devoirs,  elle ne deman- 
derait pas mieux que d'être à même de reconnaître ceux qui 
ont été entraînés contre leur volonté.
   Elle  sait toujours mesurer ses bontés et  sa  justice. 
Retirez-vous (35)."
  Malgré une réponse si peu favorable ils insistent encore 
à  demander  la  liberté de cinquante de  leurs  chefs  et 
amnistie  générale  pour  tous.  Il  leur  sera  difficile 
aujourd'hui d'obtenir tant de grâce.

Arrivée de renforts

 Le navire l'Olympe,  de Nantes, capitaine Hardi, vient de 
mouiller  au  Cap,   16  décembre,   ayant  42  jours   de 
traversée :  ce navire rapporte que les nouvelles funestes 
de la colonie étaient parvenues en France à son départ par 
la voie du Havre et par celle d'Angleterre. Il annonce que 
l'Assemblée  Nationale,  d'après  le voeu  de  toutes  les 
Chambres  de  Commerce,  avait donné les ordres  les  plus 
formels  dans  les ports de Brest et de Toulon  à  l'effet 
d'expédier le plus tôt possible une flotte de 14 vaisseaux 
pour  transporter  à  Saint-Domingue dix mille  hommes  de 
troupes. Il ne nous a pas trompés :
 Deux  jours après lui,  l8 décembre,  la frégate La  Fine 
entre  dans  le port ayant 44 jours de traversée et met  à 
terre  l'avant-garde  de l'armée,  cent  vingt  hommes  du 
régiment de Provence. Tout le Cap a été les accueillir sur 
le  bord du rivage,  ils ont été reçus comme des sauveurs. 
Une  députation  de ces troupes et des  canonniers  de  la 
frégate est introduite dans le sein de l'Assemblée provin- 
ciale  au bruit des applaudissements les plus généraux  et 
accompagnée d'une foule immense de citoyens.
M.  La Prévoterie (36),  capitaine au régiment de Provence 
dit  en  leur nom qu'ils sont envoyés par la  France  pour 
secourir  la colonie et qu'ils venaient avec  empressement 
assurer  les  représentants du peuple  qu'ils  verseraient 
jusqu'à la dernière goutte de leur sang pour la défense de 
la  colonie  et  annonce les forces qui doivent   être  en 
route.
M.  Beauverger,  lieutenant de la frégate,  dit au nom des 
canonniers  qu'ils  ont voulu se joindre à  la  députation 
pour  venir  offrir leurs services pour notre  défense  et 
qu'ils  sont animés des mêmes sentiments que leurs  frères 
du régiment de Provence.
 M. Joubert, président, ému comme tous les spectateurs des 
expressions  touchantes  du patriotisme  de  ces  généreux 
défenseurs leur répond en ces termes :
 "Messieurs,  votre  arrivée nous confirme que malgré  les 
efforts  de nos ennemis,  la France nous chérit  toujours. 
Notre  satisfaction vous annonce qu'à cet égard nos  voeux 
les plus chers sont accomplis.
 Braves  citoyens  du Cap,  et  vous,  infortunés  colons, 
restes précieux de la plus belle partie de cette province, 
oublions  s'il  est possible l'excès de  nos  maux,  qu'un 
nouvel  espoir  nous anime,  la mère-patrie vole  à  notre 
secours  (un  mot illisible) premiers (5 mots  illisibles) 
nombreux  (un  mot illisible) vrai,  mais  ils  sont  bons 
français, bons patriotes, ils valent une armée".

 Tous les nègres en révolte ont la plus grande envie de se 
rendre  et de rentrer dans le devoir mais ils sont retenus 
par  leurs  chefs qui voudraient auparavant  s'assurer  de 
leur grâce. On serait bien fou de la leur faire. Pour nous 
engager mieux à la leur accorder,  ils disent qu'ils  sont 
prêts  à  nous  rendre un grand nombre  de  blancs  qu'ils 
détiennent  prisonniers depuis longtemps.  Cette  considé- 
ration  pourrait bien nous faire relâcher un peu de  notre 
fermeté; mais il faut qu'ils commencent à nous livrer tous 
ces malheureux captifs.
 MM.  les commissaires nationaux civils (37) ont néanmoins 
jugé  à  propos d'accorder à ces traîtres  une  suspension 
d'armes  qu'ils avaient demandée,  et le maudit général J. 
François,  pour  leur  témoigner combien il  était  recon- 
naissant à cette première grâce, le Jour de l'An (38) nous 
a rendu 14 blancs,  mais dans quel état grand Dieu  !  Les 
monstres,  les  tigres  furieux qui dévorent ces  fertiles 
contrées trouvent des partisans,  des amis chauds dans une 
Assemblée   auguste  et  respectable,   dans   l'Assemblée 
Nationale. Exécrables Brissots tremblez ! Tous les bras de 
Saint-Domingue s'élèvent contre vous...
 (la fin de la lettre manque)

(34) Paul Cadusch (ou Cadouche ),  colon,  président de la 
seconde Assemblée coloniale,  offre St-Domingue à l'Angle- 
terre dès octobre 1791. En 1793 il organisera la livraison 
aux Anglais des villes de la côte ouest de Saint-Domingue. 
Personnage important sous l'occupation anglaise.
(35) Texte restitué grâce à l'ouvrage de Pierre Pluchon.
(36) Dans l'Etat militaire de la France pour l'année 1790, 
son nom s'orthographie La Provoterie.
(37) Roume, Mirbeck et St Léger arrivés le 22 11 1791.
(38) Donc le 1er janvier 1792.

BIBLIOGRAPHIE.
- Bénot  (Yves):  La  révolution française et la  fin  des 
colonies, La Découverte, Paris, 1988.
- Begouen  Demeaux  (Maurice):  Mémorial d'une famille  du 
Havre,  2 tomes.  Sté française d'histoire d'outre-mer  et 
Société d'émulation de la Seine Maritime, Paris, 1982.
- Bodinier   (Gilbert):   Dictionnaire  des  officiers  de 
l'armée royale qui ont combattu aux Etats-Unis pendant  la 
guerre d'Indépendance, S H A T Château de Vincennes, 1982.
- Moreau de Saint-Méry: Description topographique, etc. de 
la partie française de l'isle Saint Domingue,  réédition 3 
volumes, Paris 1984.
- Pluchon (Pierre): Toussaint Louverture,Fayard Paris 1989
- Revue d'hist.  des colonies,  1958, pp. 119-279: lettres 
du marquis et de la marquise de Rouvray à leur fille.
- de Roussel : Etat militaire de France pour l'année 1790, 
Onfroy, Paris, MDCCXC.                                     




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