G.H.C. Numéro 45 : Janvier 1993 Page 716
LE PRIX D'UN HÉRITAGE A LA MARTINIQUE EN 1676
Essayons de situer les personnes et les faits.
Pour cela nous avons principalement consulté :
(A) "Personnes et familles à la Martinique au XVII°
siècle" par Jacques Petitjean-Roget et Eugène Bruneau-
Latouche, 2 tomes, Sté d'Histoire de la Martinique 1983.
(B) "Les officiers du Conseil Souverain de la Marti-
nique..." Sté d'Histoire de la Martinique 1964.
1° Le défunt (A) : Alexandre MAUGRAS, arpenteur, prête
serment le 7 7 1658; 2165 plaintes contre lui.
Comment se fait-il qu'il puisse avoir été arpenteur alors
que son frère n'est que manouvrier ?
Il figure au recensement de 1671 dans la compagnie de Mr
Du Gas, au Carbet : Allexandre Maugras, 50 pas de large,
300 pas de haut, sucrerie et moulin à boeufs, 200 pas
plantés en vivres, 100 pas en haziers.
Places tenues des 2 côtés par François de LA JOYE et le Sr
Germain LE BARBIER
Places aboutissant par leurs 2 bouts : La mer et Philibert
Il a aussi pour voisins Jean RODRIGUES et Guillaume GOUYER
(par le côté).
Malgré le moulin à sucre il n'a que des plantations de
vivres et dans le recensement rien n'est indiqué dans la
rubrique "produit que peuvent rendre les dites terres
cultivées, chaque année par estimation".
2° L'héritier : Nicolas MAUGRAS, frère du défunt, est un
simple manouvrier qui ne doit pas rouler sur l'or et n'a
pu verser qu'une avance de 45 livres tournois pour le
voyage. Le maigre résultat financier de l'entreprise n'a
pas dû l'enrichir. La somme qu'il doit à MICHON devait
représenter quelque chose d'important pour un manouvrier.
Cependant il n'apparaît nulle part un produit de vente des
terres, et les frais engagés pour les nègres laissent
supposer qu'il y avait bien une propriété, sinon impor-
tante, du moins représentant un certain capital.
A-t-il été plus ou moins escroqué par MICHON ou bien ont-
ils fait association pour l'exploitation de l'héritage ?
Seules des recherches dans le notariat de Meaux pourraient
permettre de répondre à cette question en voyant si sa
situation financière s'est améliorée après 1676.
3° Le mandataire (A) : Christophe MICHON devait être l'un
de ces marchands qui faisaient régulièrement le trajet des
îles. Il a un correspondant à La Rochelle et un autre à la
Martinique. Il fait supporter tous les frais de son voyage
à son mandant, ce qui ne paraît pas très honnête !
Si plusieurs personnes lui confiaient des missions comme
celle-ci il devait y trouver des avantages.
La durée de son séjour à la Martinique, 13 mois du 15 juin
1675 au 27 juillet 1676, permet de penser qu'il a réglé
d'autres affaires.
Originaire de Meaux, né vers 1639, fils de Jean et Marie
FICTEL, il figure au recensement de 1680 dans la Compagnie
Dugas et il est sergent. Il possède une case. C'est proba-
blement la propriété d'Alexandre MAUGRAS, soit qu'il l'ait
eu en dédommagement des frais du voyage, soit qu'il
l'exploite pour Nicolas MAUGRAS ou en société avec lui.
En 1680 son habitation ne semble guère plus importante que
celle d'Alexandre MAUGRAS car il n'a que 2 nègres, 2
négresses et 2 négrillons, sans oublier Jean FERESTE (un
engagé ?) et LAMETH, commandeur. Dans le mémoire il n'est
question que de 3 nègres et d'une négresse ou négrillonne.
Il sera ensuite lieutenant de milice et habitant sucrier.
Décédé au Carbet le 12 7 1700 à l'âge de 70 et quelques
années, il s'était marié au Carbet le 12 8 1681 à Jeanne
COUDRAY, veuve d'Antoine RIVE, et en avait eu au moins 6
enfants. On peut penser que le voyage dont il est question
ici lui a été profitable financièrement et il a peut-être
fait connaissance de sa future épouse à ce moment là.
4° Le "garde meuble" (A) : Jean LE VILLAIN habitant le
Morne aux Boeufs au Carbet était né vers 1627, époux de
Marguerite LE TEUX, il avait au moins 5 enfants dont
François l'aîné (le fils), né vers 1654 à la Martinique et
décédé à Ste Luce le 27 2 1723, et probablement Marie,
mariée à Antoine LEFEVRE (le gendre).
En 1671 il avait une propriété importante au Carbet : une
sucrerie et un moulin à boeufs, des terres de 600 pas de
large sur 1000 pas de haut en 4 places; 400 pas sont
plantés en cannes, 100 pas en vivres et 400 pas sont en
haziers et bois debout. Sa terre peut rendre 70.000 livres
de sucre. Sans être voisin d'Alexandre MAUGRAS il n'en est
pas loin. En 1680 il n'est plus au Carbet.
5° Il faut de nombreuses démarches et le témoignage ou
l'appui de plusieurs personnes pour venir à bout de la
mauvaise volonté apparente de Jean LEVILLAIN à remettre
l'héritage. On remarquera que le "repas d'affaire" n'est
pas une invention moderne mais une pratique très usitée
déjà. On semble même essayer de trouver un accord avec la
partie adverse devant une bonne table.
Les démarches administratives exigent du papier, il faut
en acheter sur place. Quant aux frais et aux impôts il ne
faut pas les négliger. Notons que le Conseil Souverain de
la Martinique (l'assemblée) qui rendit son verdict dans
cette affaire, siégeait à l'époque à St Pierre (B), ceci
explique qu'il y ait des frais de chaloupe pour le
transport de Mr de LANNOY, entre le Carbet et St Pierre.
Le pot d'eau de vie donné aux matelots peut signifier que
la mer était mauvaise ce jour là.
6° Les personnes inconnues :
Nous n'avons aucun renseignement sur les personnes de
métropole : la dame MOISSON, apparemment tenancière de
l'auberge "le Sauvage" à la Fosse de Nantes;
SAMSON, probablement hôtelier au Croisic; le capitaine
Jean GAVINO (peut-être GAUVIN); le capitaine René GARINO,
peut-être GARIN, et le bourgeois du navire, le Sr. BRIAND.
On trouve bien un Pierre BRIAND (A), natif de Nozay,
évêché de Nantes vers 1646 et décédé à Case-Pilote le 3 3
1675, mais il ne pourrait être qu'un parent; enfin le
sieur COUDRAY ou de LA COUDRAY, marchand de La Rochelle,
bien qu'il puisse peut-être s'agir de Mathurin COUDRAY,
habitant le quartier du Carbet (A). Rappelons que
Christophe MICHON épousera en 1681 une Jeanne COUDRAY.
Aucun renseignement non plus pour les personnes de la
Martinique suivantes : Mme de ROYANCOURT qui devait avoir
connu Alexandre MAUGRAS; Mr HERPIN qui délivre une
ordonnance et qu'il faut peut-être confondre avec Monsieur
TURPIN; le Sieur SALADIN (lecture incertaine) qui est
peut-être Jean GERVAIS de SALVERT, greffier en chef du
Conseil Souverain (B).