G.H.C. Numéro 42 : Octobre 1992 Page 650
Antillais prisonniers à la Bastille
Jacques Ameil
Très exactement dix-sept Antillais furent emprisonnés
à la Bastille, en trois périodes différentes.
Août 1762
En 1762, les Anglais s'emparent de la Martinique. Trois
Français furent accusés d'avoir été responsables de cette
défaite "par la mauvaise conduite qu'ils ont tenue dans la
défense de l'île" (1).
Le conseil de guerre de la Martinique décida de les
envoyer à la Bastille, où ils passèrent une semaine, en
août 1762.
Ils furent condamnés à la prison perpétuelle à
Rochefort, après avoir été dégradés, eu leur arme cassée
et leur croix de Saint-Louis arrachée.
Il s'agit de :
- Louis Marc de LOZIèRES de LANCIZE, commandant des
troupes du roi à la Martinique,
- Charles François NADAU du TREIL, gouverneur de la
Guadeloupe,
- Charles Auguste LE ROY de LA POTHERIE, lieutenant de roi
à Basse-Terre.
Juin 1769-janvier1771
Les milices de St-Domingue, supprimées en 1763,
avaient été rétablies par ordonnance royale en date du 1er
avril 1768, ainsi que le précise le général Debarnot dans
un des Cahiers du Centre de généalogie et d'histoire des
isles d'Amérique (2). L'auteur de l'article souligne le
laconisme de l'ordonnance quant aux raisons du rétablis-
sement et aux missions pouvant être confiées aus milices.
Celles-ci doivent-elles "rassurer les colons contre des
révoltes des esclaves, flatter leur amour-propre en
distribuant grades et éventuellement des médailles, enfin,
peut-être, mettre la colonie sinon à l'abri d'un débarq-
uement de troupes étrangères régulières, du moins des
raids, toujours possibles à l'époque, de corsaires ou même
de pirates" ?
Mais qu'en pensaient les habitants de l'île ?
L'archiviste BOUYN (1) rapporte que les officiers du
Conseil Supérieur du Port-au-Prince ont été enlevés le 7
mars 1769, étant dénoncés comme coupables d'entretenir les
habitants de la colonie dans un esprit d'insubordination
et de révolte au lieu de les rassurer contre les craintes
qui les troublaient.
Ils ont été arrêtés au moment où ils étaient au Palais,
rendant la justice, et conduits sur le champ à bord du
navire le "Fidèle Jean-Baptiste" pour passer en France.
En arrivant, ils ont été enfermés au Château Trompette,
à Bordeaux, d'où ils sont sortis le 19 juin pour être
transférés à celui de la Bastille. Ils y restèrent six
mois, puis furent renvoyés à Port-au-Prince, via
Rochefort, pour y être jugés.
Les motifs qui ont déterminé la détention de ces
magistrats prennent leur source dans le rétablissement des
milices, qui avaient été supprimées cinq ans auparavant et
contre lesquelles les habitants de la colonie réclamaient,
dans la crainte que cette nouvelle formation ne ramenât
les anciens abus de pouvoir militaire et n'en produisît de
nouveaux.
Ainsi, les anciennes milices auraient laissé de mauvais
souvenirs par leur conduite.
Voici la liste de ces prisonniers :
- François LAMARQUE, négociant (condamné à l'exil)
- VIOLETTE, menuisier (décédé pendant la procédure)
- Moïse Balthasar GRESSIER
- Jean Baptiste René COLHEUX de LONGPRé
- Charles COLHEUX de LONGPRé
- Joseph DUFOURQ
- Jean Louis JAUVIN (alias JOVIN)
- JOUSSE de CHAMPREMEAUX
- Jean Pierre LEGER
- Barthélemy LE TORT
- Etienne Pierre MAIGNOL (alias MAGNOL)
- Jacques MARCEL (alias MARCHAL)
- François Scipion TAVEAU de CHAMBRUN
Comme TAVEAU de CHAMBRUN, tous (à part les deux
premiers) lavés de tout soupçon, durent rapidement être
libérés.
Décembre 1781
Le dernier prisonnier antillais de la Bastille fut
d'EU de MONTDENOIX, ci-devant commissaire ordonnateur de
la Guadeloupe, pour délits commis dans son administration;
après un séjour d'une semaine à Paris, il reçut l'ordre de
rembarquer pour la Guadeloupe où son procès devait être
instruit et jugé (1).
Sources :
(1) Frantz Funck-Brentano "Les lettres de cachet à Paris,
suivi de la liste des prisonniers de la Bastille.
(2) CGHIA n° 26, décembre 1988, pp 103 et suivantes.
Compléments par Bernadette et Philippe Rossignol
Août 1762
NADAU du TREIL et LE ROY de LA POTHERIE :
Voir en particulier le bulletin 27 (1976) de la Société
d'Histoire de la Guadeloupe, avec les articles de Jean
Barreau sur "la campagne de 1759" (prise de la Guadeloupe
par les Anglais) et de Lucien Abénon "les mémoires du
gouverneur NADAU DU TREIL". En fait, après le siège de la
Guadeloupe de 1759 et la capitulation du 1er mai, le
gouverneur se retira à la Martinique avec son état-major
et ses troupes. Un conseil de guerre (à la Martinique)
condamna NADAU et LE ROY à la détention perpétuelle et la
dégradation (15 janvier 1761). Quand la Martinique fut
prise à son tour (capitulation du 4 février 1762), NADAU
et LE ROY, prisonniers des Anglais, obtinrent d'eux la
permission de passer en Europe se justifier et c'est
alors, en 1762, qu'ils furent envoyés à la Bastille (pour
leur conduite à la défense de la Guadeloupe et non de la
Martinique).
NADAU fut libéré le 3 août 1763 et réhabilité en 1765.