G.H.C. Numéro 38 : Mai 1992 Page 569
COMPTE RENDU DE LECTURE Pierre Bardin
Les petites Antilles de Christophe Colomb à Richelieu
Jean-Pierre Moreau
Khartala, 22-24 bd Arago 75013 Paris, janvier 1992, 130F
Jean-Pierre Moreau a un cursus universitaire qui lui
permet de faire sortir de l'onde, telle Vénus, la réalité
historique dans toute sa splendeur. Ce phénomène s'accom-
pagne, on s'en doute, de nombreux remous. Ainsi, lorsqu'en
1987 il fait paraître "Un flibustier français dans la mer
des Antilles 1618-1620", ce furent plus que des vague-
lettes qui s'abattirent sur tous ceux qui croyaient,
confiants en l'histoire enseignée, que la rencontre entre
les "Sauvages Caraïbes" et les Français avait eu lieu en
1625 avec l'arrivée aux Petites Antilles de d'ESNAMBUC.
L'ouvrage qu'il fait paraître aujourd'hui, après des
années de recherches dans différents pays, l'Espagne entre
autres, ressemble à un cyclone après le passage duquel il
va falloir reconstruire l'HISTOIRE de cette partie du
monde que Christophe Colomb découvrit presque dans sa
totalité lors de son deuxième voyage, entre 1493 et 1496.
Il est vrai qu'officiellement, entre la découverte de
l'Amérique en 1492 et l'arrivée de d'ESNAMBUC, il
n'existait aucun document, relation de voyage, de
commerce, etc. On donnait bien, par ci par là, le nom de
quelques hardis navigateurs partis de Cancale ou Dieppe,
dont les récits parvenaient jusqu'au Trône; on parlait de
pétun, de bois à teinter; on avait même vu des "Sauvages"
à Paris, mais une sorte de censure, où l'Espagne jouait un
rôle primordial, on s'en doute, ne permettait pas de
s'apercevoir "qu'un choc des mondes entre 1503 et 1550"
venait de se produire, et que la France y participait;
seules les chartes-parties en faisaient foi.
Pour Jean-Pierre Moreau, cette absence d'Histoire est
due essentiellement à un seul homme, le Père DUTERTRE,
chroniqueur officiel du début de notre colonisation. Cela
veut-il dire qu'il est malhonnête ? Pas du tout. Il n'est
pas aux "isles" pour raconter ce qu'il sait, ou non, des
132 ans qui viennent de s'écouler; il est venu évangéliser
les Sauvages que Pierre BELAIN d'ESNAMBUC devait
transformer en loyaux sujets de Sa Majesté, après avoir
obtenu l'appui de Richelieu pour fonder un établissement
aux Petites Antilles. Et, comme quelqu'un doit raconter
cette aventure, il va être, en quelque sorte, et toutes
choses égales entre elles, à BELAIN d'ESNAMBUC, ce que
Philippe de COMMYNES fut à Louis XI.
Ce livre, s'il vient combler un tel trou historique,
pose, à mon avis, une question fondamentale, y apportant,
me semble-t-il, chapitre après chapitre, la réponse.
Pendant 132 ans, des Caraïbes, des Africains, des
Européens vont commercer, se battre, avoir des relations
amicales ou amoureuses; des civilisations vont disparaître
à jamais dans le fer et le feu, etc. Ne serait-ce pas
pendant cette "cohabitation" que s'est forgée la langue
commune dont le Père DUTERTRE signale dès 1654 "qu'elle
est parlée par tous les habitants", en un mot, le créole ?
En page 139 est évoqué le naufrage d'une des trois
caravelles qui font une aiguade à la Guadeloupe et la
difficulté de définir avec exactitude le lieu de ce
naufrage. Peut-être ne s'agit-il que d'une simple coïnci-
dence mais, dans l'ouvrage de Théodore de Bry paru en 1590
(il figure parmi les documents du catalogue "Christophe
Colomb et les premiers voyageurs en Amériques", dispersés
le 30 mars dernier à Drouot sous le marteau Ader-Tajan),
on peut voir un indien, arc et flèche en main, avec comme
paysage, en arrière-plan, une large rivière et son
estuaire à l'entrée duquel on trouve trois caravelles dont
l'une est en train de couler. Serait-ce l'actuelle
"Rivière des Pères" ?
Sources manuscrites et imprimées, annexes du plus
haut intérêt, cartographie, index des noms cités font du
livre de Jean-Pierre Moreau la référence à côté de
laquelle il va être impossible de passer si l'on veut
connaître la véritable Histoire qui s'est réellement
écrite dans le sillage de "l'Amiral de la Mer Océane".
VOYAGE AUX ILES D'AMERIQUE
Archives nationales, 87 rue Vieille du Temple Paris 3°
9 avril - 5 juillet 1992 de 12h à 18h sauf lundi
Des documents et des cartes, des tableaux et des dessins,
des meubles, des coquillages et animaux en provenance de
différentes archives et collections particulières.
L'exposition qu'il faut voir
Catalogue (180 F) en vente par correspondance à
La Documentation française
124 rue Henri Barbusse, 93308 Aubervilliers Cedex